De la fin de la guerre d’Indochine, à l’affaire du Watergate, jusqu’à la nomination d’Emmanuel Macron à Bercy, redécouvrez à travers nos archives, les temps forts des étés de chaque décennie entre avancées diplomatiques, crises politiques et progrès scientifiques. Cette semaine, l’été 1994.
EPISODE 1 – Eté 54 : l’espoir Mendès France, la fin de la guerre d’Indochine, un coup d’Etat au Guatemala
EPISODE 2 – Eté 64 : fin de la ségrégation raciale aux Etats-Unis, naissance de l’ORTF, premières photos de la Lune
EPISODE 3 – Eté 74 : le choc de la démission de Nixon, l’abaissement de la majorité et la lutte du Larzac
EPISODE 4 – Eté 84 : la manif pour l’école libre, Fabius à Matignon, les JO de Los Angeles
Pour ou contre des primaires à droite
En juin 1994, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, propose aux ténors du RPR d’organiser des primaires en vue de l’élection présidentielle de 1995. Entre Giscard, Chirac et Balladur, les hostilités sont déclarées et chacun a ses bonnes raisons de bouder ce mode opératoire.
“Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République se conjuguent deux facteurs délétères : la droite, à tort ou à raison, a la quasi-certitude de l’emporter en 1995 ; et il s’agit, pour la plupart des “éléphants” de ce camp, du dernier round. Certains attendent depuis treize ans – les gaullistes depuis vingt ans – de retrouver l’Elysée : comment renonceraient-ils à leur ultime chance avant de passer la main à la génération suivante ?
Les primaires sont donc ressorties du placard où le ministre de l’Intérieur les avait soigneusement rangées, attendant le moment propice pour les offrir au public de la majorité. Cette heure est arrivée : les candidatures implicites à la prochaine échéance suprême se multiplient, avec leur lot de critiques “constructives” et de projets alternatifs. Autant d’occasions d’accentuer les divisions. D’où l’idée de Pasqua de canaliser cette pléthore d’énergies en amont du premier tour, fixé le 23 avril 1995. Son texte prévoit que les électeurs, à la demande des partis, puissent être préalablement consultés, directement, en un ou deux dimanches, pour départager leurs champions. Objectifs : donner le temps aux perdants de digérer leur défaite ; et permettre au candidat légitimé par les électeurs de la majorité d’affronter le second tour avec une bonne avance. […]
Lorsqu’on ajoute que les électeurs sont massivement favorables aux primaires (l’enquête Figaro -Sofres vient de le démontrer) et que les élus locaux le sont davantage encore (pas un maire ou un aspirant édile qui ne plaide pour l’union, les municipales se déroulant dans la foulée de la présidentielle), on se demande comment le projet Pasqua n’est pas déjà voté… Mais tel que le train est parti, il y a fort à parier qu’il n’entre pas en gare : les primaires resteront sans doute en rase campagne, sabotées par tous ceux – et ils sont nombreux – qui estiment ne pas y avoir intérêt. Et tant pis s’ils ont tous signé la fameuse charte les instituant ! Giscard dit “Trop tard !”, Chirac fait dire “Non, mais” à Bernard Pons, puis carrément “Niet” à Jean-Louis Debré.”
L’Express du 7 juillet 1994
Arafat de retour à Gaza après 27 ans d’exil
Moins d’un an après la signature des accords d’Oslo, Yasser Arafat effectue un retour triomphal en Palestine le 1er juillet 1994. Après plus d’un quart de siècle d’errance entre la Jordanie, le Liban et la Tunisie, le fondateur du Fatah est accueilli par une foule en liesse à Gaza. Réputé pour son autoritarisme, le leader de l’OLP va devoir composer avec les extrémistes du Hamas s’il veut assoir sa crédibilité.
“En retrouvant sa terre, après vingt-sept ans d’exil, Yasser Arafat, comme par magie, illuminait ce 1er juillet la ténébreuse existence de ceux qui ont le malheur d’appartenir aux peuples de trop. Alors, oubliée leur enfance misérable dans les sordides camps de réfugiés ! Ressuscité, cet avenir dont ils avaient fait leur deuil après tant d’espoirs déçus. En somme, tout en haut de leur luxuriant promontoire, les “chebab”, ces jeunes de l’Intifada, se croyaient presque au ciel. …
Les plus âgés, ceux qui en ont vu d’autres, savent déjà, comme vient de le rappeler la semaine dernière Shimon Peres, ministre israélien des Affaires étrangères, que les accords de paix et d’autonomie entre Israéliens et Palestiniens ont été conclus “non sur les rêves, mais sur la réalité”. C’est à cette dernière que le leader de l’OLP va se trouver confronté en s’établissant bientôt à Gaza. Pour le “vieux renard” qui a survécu à toutes les guerres et déjoué tous les pièges, voici l’aube de la plus incertaine des batailles.
“En décidant cette visite sans avoir réussi au préalable à obtenir d’Israël la libération de nos quelque 6 000 frères encore prisonniers, il a sans doute commis sa première grande erreur stratégique !” s’inquiète un notable de Gaza proche du Fatah. Et d’ajouter : “Il est temps qu’il écoute les avis des siens et tolère les critiques.” Parmi les Palestiniens “de l’intérieur”, beaucoup doutent, en effet, de la capacité de leur chef à renoncer à un autoritarisme nécessaire dans un contexte révolutionnaire.
Exploitant cette frustration grandissante, les fondamentalistes du Hamas sapent chaque jour un peu plus l’autorité et la crédibilité du chef de l’OLP. Insensibles à la main tendue de ce dernier – “Mon frère, nous sommes avec toi”, déclare-t-il dans ses discours à l’intention du cheikh Yassine, le fondateur du Hamas, condamné à la prison à vie – les responsables du mouvement islamique assimilent la visite d’Arafat à une “humiliante capitulation”, comparable à celle du “traître” Sadate, en 1977, à Jérusalem.”
L’Express du 7 juillet 1994
La Corée du Nord pleure son dictateur Kim Il-sung
Après un demi-siècle de règne, le dictateur nord-coréen Kim Il-sung s’éteint le 9 juillet 1994 en plein bras de fer nucléaire avec l’Occident. La communauté internationale s’inquiète de voir son fils Kim Jong-il lui succéder. La dynastie des Kim s’installe au pouvoir.
“Kim Il-sung sera-t-il encore plus encombrant mort que vivant ? Aux yeux de son peuple, soumis à une propagande officielle débilitante, le dictateur nord-coréen, décédé vendredi 9 juillet à l’âge de 82 ans, devait évoquer une sorte de démiurge. Pour le reste du monde, l’homme était d’autant plus dangereux qu’il disposait, peut-être, de l’arme nucléaire. Kim Il-sung laisse, en principe, le pouvoir entre les mains de son fils, Kim Jong-il. De cet héritier de 52 ans on ne sait presque rien : la Corée du Nord est l’un des pays les plus fermés, les plus secrets. De nouveau, le reste de la planète a peur. Vu de Pyongyang, la capitale, c’est là un formidable exploit. Près de cinquante ans après que Staline eut installé Kim-Il-sung aux commandes, voici la communauté internationale inquiète à cause des risques d’instabilité en Asie. Malgré elle, elle rend une sorte d’hommage posthume au “Grand Leader” disparu. Inspirer la frayeur, c’est ce qu’il faisait le mieux. …
Depuis les années 60, cet inquiétant dictateur organisait un culte de la personnalité sans précédent depuis Staline. Née de la guerre de Corée et de la partition de la péninsule le long du 38e parallèle, en 1953, la Corée du Nord a souvent été assimilée à un “cauchemar éveillé”. Un peuple de robots y acclamait le Grand Leader à l’occasion de rassemblements spectaculaires (le plus célèbre étant les “faux” Jeux olympiques, organisés en 1988 alors que les Sud-Coréens accueillaient les vrais J.O. à Séoul). Le pays vit en vase clos. Hormis quelques minutes d’interview accordées tout récemment à la chaîne américaine CNN, Kim Il-sung ne s’était pas entretenu avec un journaliste occidental depuis 1972…”
L’Express du 14 juillet 1994
Déclenchement de l’opération Turquoise au Rwanda
Entre avril et juillet 1994, le génocide des Tutsi fait plus de 800 000 morts au Rwanda dans l’indifférence quasi générale de la communauté internationale. Le 15 juin 1994, François Mitterrand, proche du président hutu Juvénal Habyarimana assassiné le 6 avril 1994, décide de déclencher l’opération Turquoise.
Trente ans après, plusieurs rapports ont été publiés sur le rôle de la France à l’époque et des personnalités comme Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, ont pris la parole pour explorer les zones d’ombre de l’attitude du président français. En 2021, Emmanuel Macron a reconnu des “responsabilités” dans le rôle joué par la France à l’époque mais il a écarté toute notion de complicité refusant toutes demandes d’excuses ou pardon.
“Il y avait ce coupable abandon que rien ne pouvait justifier. Le Rwanda, petit morceau d’Afrique cliniquement mort, avait cessé ses appels au secours. Pour cause de génocide. Depuis douze semaines, en effet, le pays des Mille Collines n’est plus qu’un immense cimetière. 500 000 morts, peut-être davantage, 350 000 réfugiés hors des frontières, 2 millions de personnes déplacées à l’intérieur de cet abattoir ethnique. Un désastre humanitaire sans précédent et le silence assourdissant de la communauté internationale…
“Ce n’est pas acceptable, il faut sans tarder faire quelque chose. J’en assume l’entière responsabilité.” En ce mercredi 15 juin, François Mitterrand a réuni, en conseil restreint, le chef du gouvernement, Edouard Balladur, Alain Juppé, François Léotard et Michel Roussin, respectivement ministres des Affaires étrangères, de la Défense et de la Coopération, et l’amiral Lanxade, chef d’état-major des armées. Décrivant l’indicible massacre, le président de la République ne peut cacher son émotion. Ni sa colère. Il ne peut laisser dire que, face à cette tragédie, il est resté les bras croisés. Que la France a abandonné l’Afrique. Question : la France est-elle bien placée pour faire valoir le principe du droit d’ingérence en cas de non-assistance à population en danger ? Après tout, Paris a apporté son soutien au régime du président assassiné, Juvénal Habyarimana, et précipité le retrait des Bérets rouges chargés d’évacuer les Occidentaux de Kigali, alors que le signal de la boucherie avait été donné.”
L’Express du 30 juin 1994
La semaine prochaine, retrouvez l’été 2004 en archives.
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