Les médecines alternatives consistent en un tas de traitements bizarres. C’est ce que pensent la plupart des gens, mais ils se trompent : les médecines alternatives offrent plus, beaucoup plus. Elles comprennent leurs propres concepts de physiopathologie, leur propre état d’esprit et elles ont même leurs propres diagnostics, pratiquement inconnus ou rejetés par la médecine conventionnelle. Nous pourrions les appeler “diagnostics alternatifs”, mais cela ne rendrait pas tout à fait compte de leur essence. L’essentiel, c’est qu’ils n’existent pas : ils sont le fruit de l’imagination. Le meilleur nom à leur donner reste donc celui de “faux diagnostics”.
Les praticiens de médecines alternatives convainquent leurs patients en bonne santé que quelque chose ne va pas du tout chez eux. A les croire, ces faux diagnostics seraient à l’origine d’un très large éventail de symptômes, tels que l’anxiété, le brouillard cérébral, la constipation, la dépression, les vertiges, la fatigue, les maux de tête, les palpitations cardiaques, l’insomnie, l’irritabilité, les douleurs musculaires et articulaires, la perte d’appétit, la perte de libido et la prise de poids. Ces maux ont un point commun : nous sommes tous confrontés à l’un ou l’autre d’entre eux de temps en temps.
Par la suite, les charlatans prétendent pouvoir rétablir la prétendue anomalie en administrant une longue série de traitements inefficaces ou en vendant une multitude de remèdes inutiles, mais coûteux. Une fois que le consommateur a été suffisamment effrayé et copieusement exploité, le praticien annonce fièrement la bonne nouvelle : l’affection a été guérie ! L’alarmisme est rentable et il n’y a rien de plus facile que de se débarrasser d’une maladie qui n’existait pas au départ. En voici quelques exemples parmi les plus fréquents.
La fatigue surrénale
La fatigue surrénale est un terme inventé par un chiropracteur pour qui le stress de la vie moderne épuisait les glandes surrénales, entraînant une lassitude généralisée. Une affirmation parfaitement farfelue : une étude systématique l’a clairement démontré en concluant que “rien ne prouve que la fatigue surrénale soit une affection médicale réelle”.
Pourtant, de nombreux praticiens alternatifs se plaisent à diagnostiquer la fatigue surrénale et conseillent à leurs patients d’y remédier à l’aide d’une série de compléments alimentaires, tels que l’huile de poisson, l’ashwagandha (ginseng indien), la Rhodiola rosea, la Schisandra et le basilic sacré, la réglisse, le magnésium, diverses vitamines, des régimes spéciaux, des ajustements du mode de vie ou encore des méthodes de gestion du stress. La plupart de ces thérapies ont en commun que leur efficacité n’est pas étayée par des preuves convaincantes issues d’essais cliniques rigoureux.
Les intoxications chroniques
Les intoxications chroniques existent, mais elles sont rares. Dans les médecines alternatives, elles sont au contraire diagnostiquées très fréquemment, même chez des personnes en parfaite santé ; en fait, il n’est guère possible d’identifier une seule thérapie alternative qui ne soit pas censée nous “désintoxiquer”. La raison invoquée est que notre corps serait surchargé de toutes sortes de substances nocives, provenant par exemple de l’environnement, de notre alimentation, des médicaments modernes ou de notre propre métabolisme.
L’objectif principal des thérapeutes est bien sûr de vendre divers traitements de “désintoxication”. En nous débarrassant prétendument des toxines, ces traitements sont également censés augmenter les niveaux d’énergie, améliorer la digestion et la clarté mentale, réduire le stress et favoriser un plus grand sens de l’équilibre et de l’harmonie intérieure. Aussi divers que soient ces “traitements”, ils ont tous en commun le fait qu’il n’existe aucune preuve qu’ils éliminent quoi que ce soit d’autre que l’argent du portefeuille du patient.
Faut-il le rappeler ? Notre corps dispose déjà de mécanismes puissants de détoxification, via le foie ou les reins notamment, et rien ne prouve qu’il soit possible de stimuler ces processus, encore moins avec les techniques proposées par ces thérapeutes.
La maladie de Lyme chronique
La maladie de Lyme est une infection bactérienne aiguë provoquée par la morsure d’une tique. En revanche, la maladie de Lyme chronique est une pure fantaisie. Ce diagnostic est souvent utilisé pour expliquer des douleurs persistantes, de la fatigue et des symptômes neurocognitifs, même chez des patients qui n’ont jamais eu de maladie de Lyme aiguë.
Une fois qu’un patient a été convaincu de souffrir de cette “pathologie”, des traitements prolongés avec divers agents antimicrobiens ainsi qu’une multitude de thérapies alternatives sont préconisés. La gamme comprend des perfusions intraveineuses de peroxyde d’hydrogène, des traitements électromagnétiques, des suppléments d’ail et même des greffes de cellules souches. Sans surprise, aucune de ces thérapies n’a permis d’atténuer les symptômes prétendument causés par ce faux diagnostic.
L’hypersensibilité électromagnétique
L’hypersensibilité électromagnétique est un état dans lequel les individus attribuent des symptômes à l’exposition à des champs électromagnétiques. Il ne s’agit pas d’un diagnostic médical reconnu. Les symptômes sont les suivants : maux de tête, fatigue, stress, troubles du sommeil, picotements de la peau, sensations de brûlure et éruptions cutanées, douleurs, détresse psychologique et bien d’autres problèmes de santé.
La véritable cause de ces symptômes semble être psychosomatique et sans rapport avec les champs électromagnétiques. Les praticiens alternatifs recommandent néanmoins toutes sortes de thérapies, y compris la chélation, la désintoxication, les régimes, les tocophérols, les caroténoïdes, la vitamine C, la curcumine, le resvératrol, les flavonoïdes ou la thérapie par la lumière bleue, dont l’efficacité n’a pas été démontrée.
La surcharge vaccinale
La surcharge vaccinale repose sur l’idée que l’administration de plusieurs vaccins à la fois pourrait submerger ou affaiblir le système immunitaire d’un patient. Ce phénomène entraînerait à son tour des effets indésirables graves. Les enfants étant dotés d’un système immunitaire immature, ce sont eux qui seraient le plus souvent touchés. Il n’existe aucune preuve de l’existence d’une surcharge vaccinale, ni du fait qu’elle puisse entraîner une maladie. Par exemple, on a prétendu que le vaccin combiné contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) créerait une surcharge vaccinale.
En réalité, il n’a pas entraîné davantage d’hospitalisations pour cause d’infections, et il protège efficacement contre les pathologies visées. Cela n’empêche pas les praticiens alternatifs d’appliquer ou de recommander toutes sortes de traitements pour leur faux diagnostic. Les régimes détox, l’homéopathie et un large éventail de compléments alimentaires à base de plantes tels que le curcuma ou le gingembre sont particulièrement appréciés. Bien entendu, ces recommandations ne sont étayées par aucune preuve solide.
La subluxation vertébrale
Les chiropracteurs affirment que les subluxations vertébrales entravent la circulation de l'”inné”, une forme fictive d’énergie vitale qui nous maintiendrait en bonne santé. Les chiropracteurs qui adhèrent à l’évangile de leur père fondateur, Daniel David Palmer, diagnostiquent des subluxations chez 100 % de leurs patients. Ils ne se laissent pas décourager par le fait que les subluxations vertébrales ne sont que le produit de leurs vœux pieux.
De nombreux ostéopathes et chiropracteurs vont même jusqu’à diagnostiquer le syndrome de Kiss (kinetic imbalance due to suboccipital strain, traduit en français par un “trouble de la symétrie induit par les hautes cervicales”) chez les bébés. Ils expliquent aux parents que leur nouveau-né a besoin de toute urgence d’ajustements manuels parce que la contrainte intra-utérine ou le traumatisme de la naissance ont provoqué des subluxations de la colonne vertébrale, au niveau des cervicales, de leur bébé. Sans cette intervention, affirment-ils, le pauvre enfant risque de graves troubles du développement.
La vérité, cependant, est que le syndrome de Kiss est aussi faux que le concept de subluxation vertébrale, et que la vie des bébés est mise en danger non pas à cause de ce pseudo-syndrome, mais plus probablement à cause d’ajustements manuels dangereux. Une revue systématique a conclu que “compte tenu de l’absence de preuves des effets bénéfiques des manipulations vertébrales chez les nourrissons et au vu des risques, la thérapie manuelle, la chiropraxie et l’ostéopathie ne devraient pas être utilisées chez les nourrissons”. En Australie, ce débat a fait les gros titres et le Chiropractic Board of Australia (la plus grande association de chiropracteurs et d’étudiants en chiropraxie en Australie) a récemment été contraint par le ministre de la Santé du pays de rétablir l’interdiction des manipulations vertébrales sur les jeunes enfants.
Le déséquilibre du yin et du yang
Selon les hypothèses de la médecine traditionnelle chinoise (MTC), tous les problèmes de santé proviennent d’un déséquilibre entre les deux forces vitales, le yin et le yang. Pour rétablir l’équilibre, les praticiens de la MTC ont recours à une série de thérapies telles que l’acupuncture, les mélanges d’herbes, les massages, etc. Mais ces forces vitales n’existent pas.
Cette notion est issue de la philosophie taoïste et va à l’encontre de la science et des faits physiologiques. Les forces vitales ne peuvent donc pas être déséquilibrées et, par conséquent, ce déséquilibre ne peut pas être à l’origine d’une maladie. Les praticiens de la MTC ne veulent rien entendre de tout cela. Pourquoi ? Oui, vous l’avez deviné : s’ils reconnaissaient ces faits, ils devraient cesser de pratiquer.
Edzard Ernst, professeur émérite, université d’Exeter, Royaume-Uni.
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