Les Jeux olympiques de Paris viennent à peine de s’achever sur un immense succès populaire que déjà l’entrepreneur australien Aron D’Souza prépare la suite. Pas les Jeux olympiques de 2028 à Los Angeles. Mais les “Enhanced Games”, ou “Jeux augmentés”, qu’il espère voir se tenir dans les prochaines années, après avoir rassemblé les fonds nécessaires. Ces Jeux seront spéciaux en cela que le dopage, chimique, génétique ou mécanique, sera non seulement autorisé mais activement encouragé, afin de repousser les limites de la performance humaine.
Derrière cette idée un peu folle, on trouve l’investisseur libertarien Peter Thiel, cofondateur de PayPal. Aron D’Souza l’avait aidé à mener une guerre par procuration contre un média américain – Thiel avait financé la plainte en diffamation du catcheur Hulk Hogan qui a conduit à la faillite de Gawker, site de potins auquel le milliardaire vouait une haine féroce depuis qu’il avait révélé son homosexualité. Dans le viseur du duo, cette fois, le Comité international olympique (CIO), qu’ils dépeignent comme corrompu et cupide. D’après eux, les athlètes ne seraient pas correctement récompensés par le système olympique à but non lucratif alors que les Jeux généreraient 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Ils envisagent ainsi d’accorder un prix d’une dizaine de millions de dollars, soit la totalité des récompenses gagnées par Usain Bolt pendant sa carrière, pour un record du monde sur 100 mètres.
Des frictions existent bel et bien sur le sujet – il suffit de voir comment les athlètes ont protesté contre les limites imposées aux sponsors personnels avant les JO de Tokyo en 2021. La hausse des coûts menace par ailleurs le modèle actuel des Jeux, en témoigne l’annulation des Jeux du Commonwealth en 2026, faute de ville candidate. L’autre moteur de cette initiative est le transhumanisme affiché de ses promoteurs. Peter Thiel est un investisseur averti dans le secteur de la longévité, aux côtés du pionnier des biotechnologies Christian Angermayer. Il soutient la Fondation Mathusalem, qui vise à prolonger la durée de vie humaine en bonne santé et a lui-même demandé à être cryogénisé à sa mort.
De l’amélioration au dopage
Aron D’Souza a qualifié l’Agence mondiale antidopage de “force de police anti-science”. A ses yeux, les Jeux augmentés signeraient la fin d’une hypocrisie car l’amélioration et le dopage ont des frontières floues. Aucune substance n’a été interdite aux JO avant 1968. La caféine n’a pas été prohibée à l’origine, puis l’a été de 1984 à 2004. Elle ne l’est plus aujourd’hui. En somme, le dopage ferait partie de l’histoire des Jeux.
L’étude des échantillons prélevés aux JO de Londres par l’Agence internationale de contrôle a conduit au retrait de 31 médailles olympiques et à la réattribution de 46 autres. Certains records établis à une époque où les tests étaient moins stricts sont détenus par des athlètes sur lesquels pèsent de forts soupçons, issus notamment de l’ex-Allemagne de l’Est. L’idée que les fédérations nationales couvrent leurs athlètes respectifs a fait, de nouveau, l’objet de vifs débats cet été, sur fond de rivalité entre la Chine et les Etats-Unis au classement des médailles.
Le débauchage des athlètes a commencé
A première vue, le projet des “Enhanced Games” est absurdement ambitieux. Quel athlète s’engagerait dans une compétition aussi controversée ? Quelles marques sponsoriseraient un événement aussi compromis sur le plan éthique ? Quelle ville en serait l’hôte ? Le monde sportif a, dans l’ensemble, accueilli avec dédain le dessein de D’Souza. Travis Tygart, le directeur de l’Agence américaine antidopage, a même évoqué les menaces juridiques qui pèseraient sur les organisateurs en cas d’incident sur la santé des sportifs.
Pour autant, il ne faut pas enterrer cette initiative trop vite. Elle a des chances non négligeables d’aboutir. D’abord, parce que l’attitude de la société à l’égard des risques associés aux améliorations humaines évolue. Aron D’Souza, qui a débuté sa campagne de débauchage d’athlètes, aurait, en outre, déjà levé une centaine de millions de dollars auprès d’investisseurs de premier rang. Le sport, enfin, ne cesse de tendre vers un modèle lucratif. Circuit LIV dans le golf, Super League dans le football… Les projets privés se multiplient pour concurrencer des institutions établies en attirant les champions.
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