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Comment l’extrême gauche (et Rima Hassan) reste bloquée sur la nostalgie d'”Alger la rouge”


Entre deux tours d’élections législatives suffocantes, début juillet, l’eurodéputée insoumise Rima Hassan a choisi de passer quelques jours de détente en Algérie. Loin du stress de la campagne en France, la juriste franco-palestinienne se balade tout sourire dans les rues d’Alger, publie des photos de ses rencontres avec des enfants et assiste à la finale de la Coupe d’Algérie de football, le 5 juillet. Celle qui, au soir du premier tour, est apparue aux côtés de Jean-Luc Mélenchon avec un keffieh palestinien sur les épaules, s’empare de son clavier et clame sur les réseaux sociaux : “La Mecque des révolutionnaires et de la liberté est et restera Alger.”

Devant cette affirmation, plus d’un Algérien s’étrangle… “Dire cela signifie qu’elle ne connaît tout simplement pas l’Algérie, tranche Lahouari Addi, professeur émérite à Sciences Po Lyon et auteur de La crise du discours religieux musulman (Presses universitaires de Louvain, 2023). Dans les années 1960 et 1970, Alger, Le Caire et Damas étaient effectivement les villes où s’organisait la lutte contre l’impérialisme américain et pour la liberté des peuples du tiers-monde, mais ce n’est absolument plus le cas aujourd’hui. Rima Hassan a cinquante ans de retard.”

“Alger la rouge”, terre d’accueil du Che et de Mandela

Comme une partie de l’extrême gauche, l’eurodéputée insoumise semble bloquée dans la nostalgie d'”Alger la rouge” : pendant plus d’une décennie, après l’indépendance conquise en 1962, le pouvoir algérien accueille et finance des dizaines d’organisations indépendantistes dans sa capitale, de l’Organisation de libération de la Palestine à l’ANC de Nelson Mandela, en passant par le Front de libération du Québec. “Alger est la Mecque des révolutionnaires, formule alors l’indépendantiste guinéen Amilcar Cabral : les musulmans vont en pèlerinage à la Mecque, les chrétiens au Vatican et les mouvements de libération à Alger.”

Che Guevara séjourne régulièrement dans la capitale algérienne et y installe la base arrière de plusieurs groupes marxistes sud-américains. Même les Black Panthers américains fondent leur bureau international à Alger. Puis, au fil des ans, le projet de “socialisme révolutionnaire” laisse place à un régime entièrement contrôlé par l’armée, qui accapare les ressources énergétiques au détriment de la population – plus d’un quart des jeunes Algériens sont au chômage.

Après soixante-deux ans d’indépendance, “la Mecque de la liberté” fait grise mine dans les baromètres internationaux : 110e sur 167 dans l’index de démocratie publié chaque année par The Economist, ou encore 139e sur 180 au classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. “C’est simple, il n’y a jamais eu autant de prisonniers politiques en Algérie, poursuit Lahouarri Addi. Avant le Hirak [NDLR : les manifestations qui ont fait tomber le président Abdelaziz Bouteflika en 2019], le régime était sûr de lui et permettait une certaine liberté d’expression critiquant le “pouvoir formel”, c’est-à-dire les ministres civils désignés par les militaires. Mais avec cette vague de protestation, le régime militaire a chancelé et aujourd’hui il n’est plus possible d’exprimer une opinion politique autre que celle du régime.”

Une peur qui a contaminé la diaspora

Depuis la chute de Bouteflika, le pouvoir algérien multiplie les lois répressives, assimilant toute critique du gouvernement ou de l’armée à du terrorisme. Des journalistes sont mis en prison, des médias fermés. Le cas le plus emblématique reste celui d’Ihsane El Kadi, fondateur de Radio M et de Maghreb Emergent, condamné à sept ans derrière les barreaux pour ses écrits. “Ce journaliste n’a rien à faire en prison, dénonce Khaled Drareni, représentant de RSF pour l’Afrique du Nord. Toute peine le privant de liberté, quelle que soit sa durée, est inique.”

Pour éviter toute nouvelle révolte, le pouvoir sème la peur et la paranoïa, y compris dans la diaspora. “Des milliers d’Algériens usent de leur liberté de parole à l’étranger et critiquent le régime, raconte une intellectuelle algérienne qui préfère rester anonyme, par crainte de représailles. Ils peuvent entrer en Algérie, mais au moment de passer la frontière, ils découvrent qu’ils sont accusés de complot contre la sécurité de l’Etat et se retrouvent interdits de quitter le territoire, souvent pendant plusieurs années et sans procès. Le régime a ainsi réussi à faire taire une grande partie de la diaspora.”

Le 7 septembre, les Algériens sont appelés aux urnes pour la première fois depuis 2019. Le nom du vainqueur est déjà connu, puisque le président Abdelmadjid Tebboune conserve le soutien militaire. A Alger, les révolutionnaires dorment désormais en prison. Tout comme la liberté.




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