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Exportations de blé : “La stratégie menée par la Russie est payante”


Premier pays européen exportateur de blé tendre, la France connaît cette année une moisson exceptionnellement mauvaise. La baisse des semis, l’excès de pluie et le manque d’ensoleillement ont plombé les rendements et la qualité des grains. La production, estimée à 26,3 millions de tonnes, est en recul de 23,9 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années et pourrait être la plus faible depuis 1987, selon le ministère de l’Agriculture.

Une année noire pour le blé à laquelle s’ajoutent les difficultés d’un autre secteur clef des exportations françaises : la vigne. Ces perspectives moroses pourraient affaiblir encore un peu plus la balance commerciale agricole française, en retrait depuis plusieurs années, du fait notamment de tensions géopolitiques croissantes, analyse Thierry Pouch, responsable des études économiques à l’assemblée permanente des Chambres d’agriculture.

L’Express : Le ministère de l’Agriculture annonçait dernièrement que la moisson de blé constituait, en 2024, “l’une des plus faibles récoltes des quarante dernières années”. Qu’est-ce que cela signifie pour les exportations françaises ?

Thierry Pouch : La récolte de blé attendue pourrait être de 26 millions de tonnes cette année, contre une moyenne de 36 millions, soit une baisse de 10 millions de tonnes sur les cinq dernières années. Cela va nécessairement réduire le surplus exportable. La France exporte environ 50 % de sa production de blé, avec des clients très importants au Maghreb, comme l’Algérie, qui compte pour près de la moitié de nos exportations hors Union européenne.

Or cette baisse historique arrive au pire moment. Car, si la production a été particulièrement mauvaise en France, elle a été meilleure ailleurs, chez nos grands concurrents américains et russes surtout. Ajoutons à cela le contexte de guerre commerciale avec la Russie, qui pratique des prix très bas et joue de son influence en Afrique pour distribuer parfois gratuitement du blé à certains pays. On assiste à une russification du marché mondial, à laquelle nous aurons d’autant plus de mal à faire face.

Faut-il craindre des effets durables sur certains clients de la France ?

C’est possible, car la stratégie menée par la Russie est payante : elle commence à gagner des parts de marché là où nous étions des fournisseurs historiques. Elle est ainsi parvenue à devenir le premier fournisseur de l’Egypte, et à évincer les Français. En Algérie également, il y a une forte influence de Moscou pour que le pays achète du blé russe. Sur ce plan, l’alignement de la France sur le Maroc au sujet du Sahara occidental ne va pas faciliter les choses, car cette position risque de susciter des tensions entre la France et l’Algérie, au bénéfice de la Russie sur les exportations de blé.

Notre balance commerciale agricole, déjà en retrait, devrait de nouveau en prendre un coup…

On voit effectivement depuis quelques années la balance commerciale alimentaire française connaître une certaine érosion. Il n’y a pas de doute là-dessus. Il n’en reste pas moins que, depuis 1977, nous n’avons pas connu un seul déficit. L’agriculture reste donc l’un des secteurs de l’économie française parmi les plus performants. Aujourd’hui, plus de 95 % de notre excédent provient de pays hors Union européenne. Mais, depuis 2017, on est en déficit par rapport à l’UE, ce qui n’était jamais arrivé avant.

L’amorce de l’inversion des courbes entre l’Union européenne et les pays tiers a eu lieu avec la crise financière de 2008. Certains de nos partenaires européens, comme l’Espagne, le Portugal ou la Grèce, ont été durement affectés par la crise et par des politiques d’austérité. Ils ont modifié leurs comportements alimentaires, fait des arbitrages et cela au détriment de la production française. On l’a vu très nettement sur la consommation de viande d’origine française, qui a largement diminué dans l’Union européenne. Heureusement, donc, que les pays tiers – qui ont pour la plupart des taux de croissance élevés et dont les niveaux de vie progressent – nous ont permis de garder notre excellence agroalimentaire. La situation reste néanmoins précaire, surtout si les exportations vers ces pays hors UE s’érodent encore.

Quels sont les risques à voir la balance commerciale agricole française dévisser ?

Souvent exprimés en valeur, les échanges commerciaux agroalimentaires pourraient pâtir d’un reflux des prix, même modéré. C’est déjà le cas pour les céréales. Depuis 2023, le solde excédentaire a reculé dans ce domaine. De plus, le risque est de voir les marchés arbitrer entre les céréales françaises et celles produites ailleurs, en Russie, en Argentine ou aux Etats-Unis. Le ralentissement de la croissance économique dans certains pays, comme la Chine, qui est aujourd’hui le premier importateur mondial de produits agricoles et alimentaires, pèse aussi dans l’équation. La géopolitique est devenue un facteur clef.

L’autre risque, on le voit bien avec le blé tendre, réside dans les volumes disponibles. Avec moins de récoltes, on diminue mécaniquement les surplus exportables. Il est probable que le solde de 2024, s’il est encore excédentaire, sera inférieur à celui de 2023, lui-même en repli par rapport à l’année exceptionnelle de 2022. C’est une perspective qu’il convient d’examiner, car, comparativement, les Etats-Unis, qui étaient excédentaires depuis les années 1950, sont depuis quatre années en déficit commercial agroalimentaire. Veillons à ne pas connaître le même sort.

Les conséquences de cette année difficile peuvent-elles être durables ?

Sur le plan de la production, l’expérience montre que la barre peut être redressée rapidement. L’année 2016, par exemple, a été catastrophique pour la production de blé. Nous étions descendus à moins de 30 millions de tonnes. Les céréaliers avaient même des revenus négatifs. Mais on a observé une véritable reprise par la suite. Le blé est l’une des denrées les plus consommées dans le monde, près de 25 % de la production mondiale est exportée. Le marché est très important, avec des besoins spécifiques dans certaines régions, comme en Afrique subsaharienne. Nous avons donc les moyens de rebondir.

Un bémol tout de même : le contexte géopolitique actuel a considérablement changé la donne. Avant la guerre en Ukraine, on pouvait espérer récupérer les parts de marché perdues. C’est beaucoup plus difficile désormais avec la pression mise par la Russie. Et si l’Ukraine, qui est un grand pays producteur de blé, rétablit son outil de production comme c’est actuellement le cas, cela pourrait nous être préjudiciable. D’autant plus qu’il est prévu que le pays intègre un jour l’Union européenne. Ces deux gros acteurs céréaliers mondiaux peuvent nous déstabiliser durablement.

Des difficultés économiques chez les céréaliers français sont-elles à craindre ?

La chute de la production et la faiblesse des rendements laissent à penser que les trésoreries pourraient être endommagées de 25 000 à 50 000 euros par exploitation. D’où les mesures qui ont été prises il y a quelques jours par le ministère concernant les assurances, le report des versements de cotisations ou le règlement anticipé des aides de la PAC. Pour autant, certains céréaliers expriment leur découragement et parlent d’arrêter.

Que ce soit pour les céréales, les oléagineux ou les betteraves, les aléas climatiques rendent la production de plus en plus erratique, sans que les mesures d’accompagnement se révèlent suffisamment robustes. Les progrès de la recherche agronomique et génétique qui promettent des cultures plus adaptées à ces évolutions du climat prennent du temps. Et trouver des variétés résistantes à ce type d’aléas est compliqué. Lorsque les comptes des exploitations plongent, il est logique que certains agriculteurs envisagent de quitter la profession.

Les vignerons, aussi, connaissent une année noire, avec une baisse de la production attendue dans la quasi-totalité des bassins viticoles en France…

Les aléas climatiques n’ont pas épargné la vigne, avec les effets conjugués du mildiou, du gel et de la grêle. Après deux ou trois années de hausse, on est retombé au-dessous des 45 millions d’hectolitres de production. Par ailleurs, le secteur connaît des difficultés structurelles, liées à l’affaiblissement régulier de la consommation de vin. Le débouché intérieur est de plus en plus difficile, et la demande de vin dans le monde s’érode. La Chine, par exemple, n’est plus un marché aussi porteur que ces dix dernières années, quand elle importait énormément de vin de Bordeaux. C’est une profession qui est aujourd’hui fragilisée.

La France peut-elle perdre sa place de première exportatrice mondiale de vin ?

Je ne pense pas que ce leadership soit menacé, même si la situation devient plus critique d’année en année. Le rang de premier producteur mondial se joue entre la France et l’Italie, mais, en termes d’exportations, on reste devant. Ce sera encore le cas en 2024, car les vignerons disposent de stocks importants. Si la production diminue, ce peut être l’opportunité d’écouler les surplus des années précédentes.

Outre le blé et le vin, une troisième filière affronte des vents mauvais : celle de la viande. On a observé en 2023 un recul de la production de bovins de 5,3 %, et un repli du cheptel français de 1,1 %. Ce sont des tendances statistiques que l’on connaît depuis 2015-2016. Parce que la consommation est là aussi en baisse. Pour rester sur la problématique du commerce extérieur, en termes de bovins vifs, la France affiche encore un léger excédent. En revanche, si l’on inclut la viande transformée, elle enregistre un déficit commercial. Le solde commence à se creuser : les importations progressent et les exportations régressent.

La balance agricole française est-elle vouée à ce déclin ?

Je n’en suis pas convaincu. Sur la viticulture, les céréales, les produits laitiers, le sucre, ou quelques animaux vivants comme le porc, nous sommes encore structurellement excédentaires. Quant aux exportations de produits laitiers, en particulier les fromages, elles ont progressé comparativement à l’année dernière. En mai 2024, le cumul sur douze mois par rapport à 2023 était supérieur de 16 %. Ce n’est pas rien. Cela veut dire qu’il faut tenir compte de tous les secteurs pour maintenir notre position et cibler les marchés porteurs, que l’on peut conquérir.

Quels sont nos atouts ?

Les produits laitiers en sont un. On sait qu’au Maghreb et dans une partie de l’Afrique subsaharienne, il y a des débouchés solides. Les besoins vont également être importants au Pakistan, par exemple, un pays traversé par la nouvelle route de la soie chinoise et qui pourrait voir son niveau de vie s’élever, et avec lui la consommation de lait. Ce sont des dynamiques qu’il faut anticiper. Sur les céréales, c’est la même chose : les accidents climatiques sont là, mais nous sommes capables de repartir de l’avant.




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