La Chine serait-elle en train de faire sa mue ? La deuxième puissance économique mondiale, et première émettrice annuelle de gaz à effet de serre, est scrutée de près, tant ce qu’il s’y joue aura des répercussions sur notre capacité commune à endiguer le réchauffement climatique.
Dans ce contexte, les résultats d’une étude récente du site Carbon Brief sur les émissions trimestrielles de la Chine donnent de l’espoir. Selon les chiffres présentés par Lauri Myllyvirta, analyste principal au Centre for Research on Energy and Clean Air (CREA) et auteur de l’article, les émissions de la Chine ont chuté de 1 % au deuxième trimestre 2023. Une première depuis la fin de l’épidémie de Covid-19 et la réouverture économique.
Depuis les années 2000, les rejets de gaz à effet de serre du pays connaissaient une croissance continue, portée par les secteurs de l’énergie et de l’industrie. Cette inflexion, qui confirme la baisse de 3 % observée sur le seul mois de mars par Lauri Myllyvirta, pourrait permettre à la Chine de réduire ses émissions annuelles. Mieux, selon l’auteur, le pays pourrait même avoir atteint son pic l’an dernier. Réjouissante perspective… qui pose encore plusieurs questions.
La baisse se maintiendra-t-elle en dehors de tout contexte conjoncturel, alors que l’économie chinoise tourne au ralenti sous l’effet d’une reprise fragile et d’une crise de surproduction ? Une partie du recul constaté est due à la morosité ambiante dans le BTP, qui affecte la production de ciment et la consommation de pétrole – “le secteur de la construction étant une source majeure de demande de produits pétroliers pour le fret et les machines”, rappelle l’expert.
Electrification du parc automobile
Il n’empêche : ce phénomène conjoncturel ne doit pas éclipser les mesures structurelles volontaristes, qui sont autant de signaux d’une transformation du système énergétique chinois. Cette année, le développement, déjà massif, des énergies renouvelables dans le pays pourrait atteindre un nouveau record. En 2024, la Chine a ajouté 102 gigawatts (GW) d’énergie solaire et 26 GW d’énergie éolienne au cours du premier semestre, soit une croissance respectivement de 31 % et 12 % par rapport à la même période en 2022. Pour prendre un point de comparaison, Lauri Myllyvirta précise que l’augmentation de la production d’électricité verte en Chine au cours du premier semestre a dépassé l’approvisionnement total en électricité du Royaume-Uni sur la même période.
“C’est énorme, et personne ne s’attendait à un tel engouement sur le solaire”, souligne Thibaud Voïta, chercheur associé au Centre Énergie & Climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Ainsi, malgré une économie toujours plus gourmande en électricité – + 4,2 % au deuxième trimestre -, la croissance de la demande a été largement compensée par les nouvelles capacités dans le solaire et l’éolien, ce qui a permis de limiter le recours aux énergies fossiles comme le gaz et le charbon. Même constat du côté du parc automobile. Les véhicules électriques, qui représentent 11,5 % des nouvelles ventes, participent de manière de plus en plus sensible à la moindre consommation de carburant, en chute de 4 % cette année.
En dépit de ses investissements dans les énergies renouvelables, le mix énergétique chinois reste encore très largement carboné : en 2023, plus de 60 % de sa production énergétique provenait du charbon. Mais certaines tendances donnent, là aussi, le sourire. Le recours au charbon s’est amenuisé sous l’effet des nouvelles capacités d’énergie verte. Une tendance qui pourrait même laisser penser que “le déclin absolu de l’électricité produite à partir du charbon est en vue”, soulignait un rapport du think tank Ember Climate, publié début août. Les politiques publiques, de plus en plus ciblées, sont au diapason : depuis plusieurs mois, les autorités ne délivrent plus de permis pour de nouvelles aciéries alimentées au charbon.
Des gages au reste du monde
Tout cela finira-t-il par faire de la Chine un bon élève du climat ? “Il y a des problématiques environnementales et sociales encore monumentales, mais quand on analyse les décisions du gouvernement en matière de politique monétaire ou de normalisation comptable, on commence à voir les signaux faibles d’un véritable changement”, note Alexandre Rambaud, maître de conférences en comptabilité à AgroParisTech – Université Paris-Saclay. Début août, l’agence de planification économique chinoise a annoncé un changement dans la manière dont la Chine comptabilisera désormais ses réductions d’émissions de CO2.
Le pays, qui se fixait jusqu’à présent des ambitions climatiques fondées sur l’intensité carbone de sa croissance, c’est-à-dire les émissions de gaz à effet de serre rapportées à la richesse produite, a indiqué qu’il allait désormais se donner des objectifs de réductions exprimés en volume. Une manière de rentrer dans le rang de la comptabilité carbone, et d’affirmer son dessein environnemental. “L’avenir des discussions internationales portera pour beaucoup sur le climat et la durabilité, et la Chine veut envoyer un message aux Etats-Unis et au reste du monde pour montrer qu’elle peut être un champion, aussi, dans ce domaine”, explique le chercheur.
Pékin a promis d’arriver à un pic d’émissions d’ici à 2030 et d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2060. Le chemin est encore long. Bien que les émissions de CO2 aient diminué au cours du deuxième trimestre de cette année, la baisse de l’intensité carbone du pays n’a pas atteint le niveau nécessaire qui lui permettrait de respecter ses propres engagements… pour 2025. En progrès, donc. Mais pas encore tête de classe.
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