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Recul de la natalité : “Les CAF devraient financer les abonnements aux sites de rencontres”


Les chiffres de l’Insee se suivent et se ressemblent. Depuis plus de deux ans, le nombre de naissances enregistrées chaque mois en France – 52 701 en juin dernier – est inférieur à celui du même mois un an auparavant. Dans un essai documenté au style alerte, Les Batailles de la natalité, à paraître le 30 août aux Editions de l’Aube, l’ancien directeur de la recherche à la Caisse nationale des allocations familiales Julien Damon, enseignant à Sciences Po et à HEC, analyse cette baisse récente de la fécondité française et détaille plusieurs pistes, souvent originales, pour tenter d’y remédier.

L’Express : La France est-elle entrée dans un inéluctable déclin démographique ?

Julien Damon : Il faut nuancer ce discours alarmiste. D’abord, même si la fécondité française baisse depuis le début des années 2010, nous sommes toujours – cocorico – un des pays occidentaux où elle est le moins dégradée. Pas seulement de l’Union européenne. Nous écrasons les Américains, qui, il y a encore une quinzaine d’années, étaient devant nous. Aux Jeux olympiques de la fécondité occidentale, nous sommes sur le podium. Ensuite, le niveau incontestablement bas que nous enregistrons aujourd’hui, de l’ordre de 1,7 enfant par femme en indice conjoncturel, nous l’avons déjà connu au début des années 1990.

Il est vrai que la tendance actuelle est préoccupante au sens où la baisse est continue depuis plus d’une dizaine d’années et qu’elle semble même s’accélérer. En 2023, le nombre annuel de naissances est descendu au-dessous de 700 000, contre plus de 800 000 une décennie plus tôt, soit l’étiage le plus faible depuis les préludes du baby-boom. Pour autant, on aurait tort, selon moi, de verser dans le catastrophisme. C’est un affaissement, pas un effondrement.

Comment s’explique cette baisse ?

Il y a deux réponses insatisfaisantes à cette question. La première, c’est de dire qu’il n’y a aucun facteur – socio-économique, médical, environnemental, religieux… – qui explique à lui seul ce repli. Ce qui est exact. Mais, comme il est difficile d’imputer à chaque cause une incidence précise sur la fécondité, certains convoquent abruptement, par idéologie, une raison unique. Un exemple : la réduction des avantages fiscaux liés à la présence d’enfants et la modulation des allocations familiales décidées sous François Hollande sont souvent érigées en coupables. Pourtant, il n’y a aucune corrélation entre ce qui a été décidé sous Hollande, en 2015, en matière de politique familiale et la baisse de la fécondité, qui avait commencé quatre ou cinq ans auparavant. Quoi qu’on pense de l’ancien président de la République, c’est un faux procès.

La deuxième réponse, qui n’est pas plus satisfaisante, c’est de considérer que, face à cet ensemble flou de facteurs, dont on ne peut tirer aucun enseignement irréfutable sur le temps long, il serait inutile de mettre en œuvre des politiques publiques. Là aussi, c’est une erreur. Les liens entre les dépenses de politique familiale et le niveau des naissances existent, même si le consensus des travaux académiques souligne qu’ils sont ténus. Des dispositions peuvent avoir un effet propre.

En janvier 2024, Emmanuel Marcon a appelé au “réarmement démographique” du pays à travers deux mesures phares : la lutte contre l’infertilité et la réforme du congé parental. Qu’en attendre ?

Le président de la République a effectivement mis deux cartouches dans le barillet de son “réarmement”. Je crains, hélas, qu’elles n’aient qu’un impact minime sur la cible. La lutte contre l’infertilité subie passe par un renforcement annoncé des examens préventifs et la diminution des délais pour accéder à la PMA, la procréation médicalement assistée. Aider davantage les gens qui ne peuvent pas avoir d’enfants à en avoir est une idée tout à fait recevable. Mais la natalité ainsi augmentée ne bousculera pas les taux de fécondité au regard des faibles effectifs concernés.

La réforme du congé parental, elle, est une vieille lune. Plus court mais mieux rémunéré, le congé de naissance qui doit lui succéder est censé permettre aux jeunes couples de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. Là encore, cette mesure ne constitue pas une arme de fécondité massive. Cela dit, elle s’inscrit dans la bonne voie, car elle peut apporter un début de solution à certains parents que cet âge critique – de 0 à 3 ans – préoccupe tant. Plus largement, l’accueil de la petite enfance doit être renforcé en France. C’est le pan des politiques familiales qui a le plus d’incidences potentielles en termes de fécondité.

Quand l’Ifop a interrogé en 2023 les Français ayant renoncé à avoir un ou d’autres enfants, la première raison invoquée est le désaccord ou l’absence de conjoint, suivi par la disponibilité et les coûts des modes de garde. Les difficultés liées à l’emploi, au logement, ainsi que les considérations climatiques, sont plus secondaires. D’après les économistes et les démographes, ce sont bien les aides en matière de garde d’enfants qui soutiennent la fécondité, en ce qu’elles permettent aux parents, et singulièrement aux mères, d’équilibrer travail et vie familiale.

Au début des années 1980, la relation entre fécondité et activité féminine était négative. A présent, elle est positive. C’est dans les pays où les femmes travaillent qu’elles font des enfants, dès lors qu’elles peuvent jongler entre les deux. L’investissement dans un service public de la petite enfance est très probablement la piste à approfondir. L’écueil, de taille, c’est que ces métiers sont peu attractifs aujourd’hui : les salaires sont maigres et les conditions de travail, difficiles. Les communes sont désormais, au regard du droit, les “autorités organisatrices de la petite enfance”. Il faudrait franchir une nouvelle étape, au plus près des besoins, et les doter d’une compétence obligatoire à proposer une offre, en lien avec les caisses d’allocations familiales.

Vous plaidez aussi pour l’attribution des allocations familiales dès le premier enfant. Pourquoi ?

La politique familiale française repose sur un postulat, qui n’a pas changé depuis la Seconde Guerre mondiale : le premier enfant arrive tout seul, le deuxième n’est pas si compliqué, c’est à partir du troisième que la cellule familiale se modifie en profondeur. D’où le saut, dans le système sociofiscal actuel, à partir du troisième enfant. Ce modèle, fondé sur la progressivité des allocations et des réductions d’impôt, a vécu : le grand bouleversement dans l’existence des couples résulte surtout aujourd’hui de l’arrivée du premier enfant.

Sauf dans les outre-mer, la France est l’un des rares pays riches à ne pas s’en préoccuper. La première naissance est prise en compte en matière de fiscalité, ou de RSA, alors que les allocations familiales l’ignorent. Ma proposition serait de forfaitiser ces dernières, en fonction de l’unité enfant et non plus en fonction de son rang dans la fratrie. L’idée serait d’avoir une allocation d’un montant mensuel d’environ 70 euros par enfant, pour gagner en simplicité et en équité. L’opération ne changerait rien pour les familles avec deux enfants, mais constituerait une perte pour les familles nombreuses. Cependant, aujourd’hui, pour enclencher la dynamique, il faut que le premier enfant, au même titre que les suivants, devienne une cible clairement définie du système des prestations familiales.

Certains pays vieillissants, comme l’Allemagne, ont fait le choix de l’immigration. Vous n’y croyez guère dans le contexte français actuel…

La question migratoire doit passer par une analyse froide, loin des controverses autour de la “créolisation” de la population ou de son “grand remplacement”. Sur un plan factuel, incontestablement, la contribution des immigrées à la natalité – le nombre de naissances – progresse en France. Mais leur contribution au taux de fécondité n’est pas aussi évidente, car leurs comportements s’ajustent, avec le temps, sur celui des femmes nées en France. Par ailleurs, l’effet propre de la nationalité peut se discuter au regard du niveau social des populations immigrées. Enfin, au vu de notre débat national hautement inflammable sur la question, cette voie est politiquement impossible. L’arithmétique bute sur l’impopularité.

Sur un ton plus léger, vous évoquez un autre sujet dans votre livre : celui de l’écart d’âge dans les couples…

C’est une piste que je qualifie d’hétérodoxe, c’est vrai. Mais on peut aborder avec joyeuseté des sujets sérieux. Qu’en est-il ici ? Compte tenu des disparités de revenus entre femmes et hommes, il est souvent moins pénalisant financièrement d’arbitrer pour que la mère s’investisse plus dans la vie familiale, tandis que le père ne change rien, voire s’implique davantage au bureau. Lorsque l’enfant arrive, 1 mère sur 2 interrompt ou réduit son activité professionnelle. C’est seulement le cas de 1 père sur 9.

Or ce décalage, qui pèse au moment de discuter d’une organisation familiale avec enfant, a aussi pour origine une dimension qui ne doit pas être occultée : dans les couples hétérosexuels, l’homme est, en moyenne, plus âgé que la femme de deux ans. Les préférences déclarées des femmes demeurent toujours dans le sens d’une valorisation d’un partenaire masculin plus âgé, et celles des hommes vont vers des conjointes plus jeunes. Ce constat, qui relève de l’intime, ne commande évidemment pas l’intervention des pouvoirs publics ou des entreprises. Mais, si l’on part du principe, établi statistiquement, que l’amélioration de l’égalité professionnelle et domestique a quelque incidence sur la fécondité, il faut enjoindre aux femmes de trouver des conjoints plus jeunes qu’elles. Mesdames, lorsqu’il s’agira de négocier qui fait quoi, vous serez mieux armées !

Dans la même veine iconoclaste, vous expliquez que les caisses d’allocations familiales devraient tout faire pour encourager les rencontres entre célibataires…

C’est l’évidence même ! Les CAF financent déjà de la médiation familiale en cas de séparation. Pourquoi ne financeraient-elles pas du conseil matrimonial, pour les individus seuls, sans ou avec enfant(s), qui souhaitent se (re)lancer dans l’aventure à deux ? Comme le rappelle tout bon traité de démographie, les rencontres et les constitutions de couples sont la base de la fécondité.

Deux possibilités : créer un grand service public de la rencontre, en complément ou en remplacement des sites Internet bien connus – Meetic, Tinder et consorts. Ou, dans une approche plus libérale, proposer des chèques ou des bons permettant d’avoir accès à ces outils numériques. Pour les adeptes de la drague à l’ancienne, les pouvoirs publics pourraient aussi soutenir les bars, restaurants et salles de sport qui organisent des moments de rencontre. Et pourquoi pas un bal de la CAF ?

L’idée fait évidemment pouffer. Mais, si la monoparentalité est un sujet douloureux, que l’Etat est sommé de prendre à bras-le-corps, la recomposition peut devenir un thème heureux, à encourager. On pourrait même l’intégrer dans une perspective plus large, qui fait consensus : la lutte contre l’isolement. On l’oublie souvent, mais les familles nombreuses au sens de l’Insee ne sont plus les familles traditionnelles : ce sont les familles recomposées.




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