*.*.*.

Rentrée littéraire : les dix romans français ou étrangers à lire absolument


Après avoir passé au crible les dix romans français les plus attendus (mais pas forcément les meilleurs…), le service Livres de L’Express vous recommande ses coups de cœur pour cette rentrée littéraire. Au menu : des couples en déréliction, des évocations irrévérencieuses d’académiciens (Yourcenar, Robbe-Grillet), des vedettes étrangères (Colm Toibin, Arturo Pérez-Reverte) et des confirmations françaises (Marie Vingtras, Clémentine Mélois). Tous sont vivement recommandés.

Colm Toibin

Le magicien des sentiments

Paru en 2009 avant d’être adapté au cinéma avec la merveilleuse Saoirse Ronan, Brooklyn avait fait basculer Colm Toibin du statut d’écrivain à prix à celui d’auteur à succès. Le best-seller racontait l’émigration new-yorkaise, dans les années 1950, d’une jeune Irlandaise, Eilis Lacey, puis son retour à Enniscorthy, petite ville près de la côte sud-est de l’Eire, alors qu’elle était déjà secrètement mariée à un plombier italo-américain. Après son chef-d’œuvre Le Magicien sur Thomas Mann et les siens traduit en français il y a deux ans, Toibin revient à son héroïne fétiche. Au printemps, la parution en anglais de Long Island a été un événement mondial. Nous sommes désormais dans les années 1970, et Eilis mène une existence banlieusarde et routinière au milieu d’un clan italien. Apprenant que son mari Tony va avoir un enfant illégitime, elle décide de retourner sur ses terres natales, où elle a laissé sa mère revêche, son ancienne meilleure amie Nancy et un amour de jeunesse, Jim. En pleine crise de la quarantaine, Eilis a beau traverser un océan, elle ne fait que passer d’une communauté étouffante et catholique à une autre.

Les suites sont un exercice périlleux, souvent artificiel et décevant (Le Parrain et Star Wars font exception). Mais dans ce Vingt ans après transatlantique, Toibin renoue avec la magie des débuts. Le retour en Irlande de Long Island fait écho à celui de Brooklyn, sauf qu’Eilis est désormais une femme d’âge mûr, a deux enfants et pas mal de regrets. Passé maître dans les non-dits et la confusion des sentiments à travers une économie de mots, le romancier irlandais va jusqu’à reprendre des scènes avec différents points de vue pour mieux montrer les complexités d’un triangle amoureux. Bonne nouvelle : la fin, qui a tout d’un cliffhanger, laisse entrevoir un troisième épisode de la saga. Thomas Mahler

Long Island, par Colm Toibin. Trad. de l’anglais par Anna Gibson. Grasset, 400 p., 24 €.

Marie Vingtras

L’Amérique à portée de plume

Quel caméléon ! Avec Blizzard, en 2021, l’avocate à la Cour de cassation Marie Vingtras (pseudo choisi en référence à Jules Vallès) nous invitait dans les territoires d’un Alaska, plus inhospitalier que féerique, à la poursuite effrénée d’un gamin perdu dans le blizzard. Bluffant de réalisme ! La revoilà dans les immensités américaines chères à cette fan de Faulkner, Cormac McCarthy et Russell Banks. Immense mais étriqué, à l’instar de cette petite ville de Mercy dans le Massachusetts pétrie de rumeurs et cadre de l’action de ce deuxième roman choral, Les Ames féroces, scandé par les quatre saisons et tenu de bout en bout par un sens du suspense digne de ses admirations.

C’est au printemps que le drame a eu lieu, le 26 avril 2017. La narratrice de ce premier tempo, Lauren, élevée à la ferme et shérif de son état, doit faire face à son premier mort, en l’occurrence la jeune Leo Jenkins. L’enquête commence, mais Marie Vingtras prend soin au préalable de faire les présentations du petit monde de Mercy : Seth, le père accablé de Leo, garagiste ruiné ; les deux adjoints de Lauren, soit le géant débonnaire Donegan et le malveillant Sean ; le maire, pas plus bienveillant que ce dernier ; Janis, la compagne de la shérif, rescapée de l’incendie provoquée par son avocat de mari ; Emmy, la seule amie de Leo, fille de notables du coin ; Livia, la mère de Leo, évaporée en Italie ; et Benjamin, romancier et professeur de français au lycée (“une langue qui ne servait à rien”) venu de la côte Est et, pour cette première raison, hautement soupçonnable d’autant qu’il a été accusé dans le passé de détournement de mineures… C’est lui le narrateur de la deuxième saison, mais il faudra écouter les confidences d’Emmy puis de Seth pour connaître le pot aux roses, tandis que Marie Vingtras excelle dans son exploration des âmes, des désirs et des hypocrisies. Marianne Payot

Les Ames féroces, par Marie Vingtras. Editions de l’Olivier, 272 p., 21,50 €.

Camille Pascal

La main au collier

On sait que Napoléon estimait que la mort de Marie-Antoinette datait de l’affaire du collier. Rappelons les faits : huit ans avant son exécution, un scandale l’éclabousse en 1785. Trois escrocs (Nicolas et Jeanne de La Motte et leur associé Rétaux de Villette) se jouent du cardinal de Rohan. Le pauvre prélat, mal aimé de la reine, aimerait sortir de la disgrâce. A l’aide de fausses lettres, le trio diabolique lui fait croire que, s’il acquiert pour Marie-Antoinette un collier hors de prix (jadis créé pour la Du Barry mais finalement jamais acquis par Louis XV) elle le recevra à nouveau à la Cour. Le naïf Rohan tombe dans le panneau, et tout le monde avec lui, notamment la reine : en voulant prouver son innocence, elle va alimenter la légende noire de l’Autrichienne dépensière plombant les finances de la France, faute qui lui sera fatale quand se déclenchera la Révolution…

Depuis L’Eté des quatre rois (Grand Prix du roman de l’Académie française en 2018), Camille Pascal est passé maître dans l’art du roman historique. Avec La Reine du labyrinthe, il rend à merveille les décors, coulisses et personnages de cette ténébreuse affaire – Rohan et le ménage La Motte, bien sûr, mais aussi le baron de Breteuil, qui cherche à tirer profit de l’embrouille pour enfoncer le cardinal, qu’il déteste. On sent dans son style riche, qui pastiche avec gourmandise et esprit la langue du XVIIIe siècle, que Pascal s’amuse follement – ce qui nous change des éteignoirs de la littérature contemporaine. Mine de rien, cette vieille arnaque reste moderne : elle nous rappelle que le complotisme n’est pas né avec notre temps et que l’intrigant qui essaie de manipuler une grenade risque de se la faire exploser au visage. Car au cœur de l’affaire du collier, tout le monde finira dupe. Sauf le lecteur de ce livre, qui se divertira autant que l’auteur. Louis-Henri de La Rochefoucauld

La Reine du labyrinthe, par Camille Pascal. Robert Laffont, 422 p., 22,50 €.

Nathan Hill

Anatomie d’un déclin

Bien-être commence comme une de ces comédies romantiques dans lesquelles on se vautre les jours de pluie et de déprime. Dans un quartier bohème de Chicago, au début des années 1990, Elizabeth et Jack habitent face à face. Ils s’observent, s’épient, tombent amoureux dans un jeu de regards cachés, d’ombres et de lumières. Formidable entrée en matière où l’on vit les premiers pas d’une histoire d’amour dont on voudrait qu’elle dure toute la vie tant elle est belle, évidente. Mais Nathan Hill n’est pas un auteur de romance, il est un fin observateur de l’âme humaine et de la société américaine comme le savent ceux qui ont lu son premier roman Les Fantômes du vieux pays. Il était alors question d’une mère et de son fils, il s’agit ici d’un homme et d’une femme, de ce qui fonde l’amour et l’érode dans nos impatiences contemporaines.

D’une construction ambitieuse, faite de sauts non chronologiques dans le temps, il nous raconte l’histoire d’Elizabeth et Jack vingt ans durant. Tous deux ont fui leurs familles pour se réinventer mais les années passant, qu’ont-ils encore en commun ? De petits détails en moments clés, Nathan Hill dessine une fresque originale qui va de l’origine de la fortune de la famille d’Elizabeth dans les chemins de fer du Connecticut à l’infinie tristesse qui imprègne celle de Jack dans les prairies américaines, des rêves d’artiste que l’on peut avoir à 20 ans, de ce qu’ils deviennent à 40 ; il aborde des sujets aussi divers que l’influence des algorithmes sur nos comportements, l’éducation des enfants, le poids des violences passées, la tentation actuelle de laisser les technologies choisir pour nous. Pour, finalement, n’en aborder qu’un : qu’est-ce que l’amour moderne ? Réponse dans ces 670 pages de Bien-être, le grand roman américain de la rentrée. Agnès Laurent

Bien-être, par Nathan Hill. Trad. de l’anglais par Nathalie Bru. Gallimard, 690 p., 26 €.

Emmanuelle Lambert

Un “pape” pas très orthodoxe

Que reste-t-il d’Alain Robbe-Grillet ? “Je suis surtout connu pour ma notoriété”, disait-il du temps de sa grandeur, en citant Warhol. Facétieux, pas mécontent de son petit personnage, il aimait enfumer le monde. Après son élection à l’Académie française, il avait ainsi refusé d’avoir une épée et déniché dans le règlement de l’institution un alinéa précisant que les ecclésiastiques en sont dispensés. Ne pouvait-on pas lui appliquer cette règle, vu qu’il était… le pape du Nouveau Roman ?

On trouve d’autres anecdotes du même tonneau dans Aucun respect d’Emmanuelle Lambert. A la fin des années 1990, âgée de 24 ans, la future commissaire d’exposition avait été engagée par l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (Imec) pour une mission particulière : aider Robbe-Grillet à trier ses archives. Ainsi avait-elle eu affaire au pape ainsi qu’à sa femme, Catherine, elle-même papesse d’une autre discipline – le sadomasochisme. Bien que ce livre se présente comme un roman, on sent que les souvenirs portent le récit. On suit la narratrice allant voir le maître dans son château normand : il la reçoit avec son éternel col roulé, lui sert l’aquavit qu’il propose à ses invités, frime plus qu’un paon. Plus tard, lors d’un cocktail à Paris, Robbe-Grillet attrape sa collaboratrice par la taille et lui pince la hanche. Ce n’est pas la première fois qu’elle le repousse, il s’en étonne encore : “Mais enfin pourquoi ne veux-tu pas que je te tripote ? Je t’ai déjà dit pourtant, les filles cherchent des pères.” Réponse de la jeune femme : “Pas des grands-pères.” Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts… Sans tomber dans la chasse aux sorcières, Emmanuelle Lambert relit cette étrange expérience vécue lors de sa vingtaine. On peut admirer l’auteur de La Jalousie (“un des plus beaux romans du XXe siècle”) et le croquer avec esprit. L.-H. L. R.

Aucun respect, par Emmanuelle Lambert. Stock, 225 p., 20 €.

Arturo Pérez-Reverte

Plongée en eaux troubles

Au début, il y a un corps sur la plage, qui semble sans vie. Elena s’en approche, constate un faible souffle, ramène l’homme chez lui, le soigne. D’autres viennent le récupérer et le naufragé semble disparaître de la vie d’Elena Arbués, une libraire, veuve depuis quelques mois. Nous sommes en 1942, à La Linea, pointe sud de l’Espagne. Plus au sud encore se trouvent la ville et le port de Gibraltar, propriété de la Couronne britannique, où sont amarrés les bâtiments de la Royal Navy. L’homme qu’Elena a secouru s’appelle Teseo Lombardo, c’est un plongeur de la marine italienne. Lui et son équipier, ainsi qu’une poignée d’autres, descendent au fond de la Méditerranée, l’un derrière l’autre sur leur “maiale”, une torpille qu’ils doivent piloter jusqu’à la coque du navire ennemi pour y déposer une charge explosive, puis repartir. Tout ça à la lumière de la lune, en franchissant le filet qui protège le port, et en évitant les cartouches de dynamite jetées dans la mer par les patrouilles anglaises. Bien sûr, Elena et Teseo vont se recroiser. Admettre des sentiments réciproques qui mettront, forcément, leur morale à l’épreuve et leur existence en danger.

Il y a chez Pérez-Reverte un sens du détail qui ne fait jamais défaut, même quand il s’agit de décrire le fonctionnement d’une antique “maiale”. Il y a aussi une malice narrative, visant à surprendre le lecteur en même temps qu’à renforcer le réalisme du récit : les pages dans lesquelles il décrit le travail d’enquête d’un journaliste qui lui ressemble en tous points. Il y a surtout, derrière ce récit d’aventure aux scènes de plongée à couper le souffle, d’autres enjeux : Elena trompe-t-elle sa patrie et son défunt mari en se rapprochant de Teseo ? Celui-ci compromet-il ses équipiers en lui faisant confiance ? En définitive, entre trahir son drapeau et ses sentiments, Elena et Pérez-Reverte ont choisi depuis longtemps. Bertrand Bouard

L’Italien, par Arturo Pérez-Reverte. Trad. de l’italien par Robert Amutio. Gallimard, 448 p., 24 euros

Christophe Bigot

La dernière passion de Marguerite Yourcenar

Ce qui frappe d’abord dans ce septième roman de Christophe Bigot, c’est le style, étincelant. Puis c’est l’intelligence du regard, la pertinence de l’analyse de l’improbable couple que forma Marguerite Yourcenar à l’âge de 75 ans avec l’opportuniste photographe américain Jerry Wilson, de quarante-cinq ans son cadet. Une histoire démente nourrie ici par les multiples lectures de Bigot mais aussi par son imagination qui donne de la substance aux dialogues d’Un autre m’attend ailleurs et aux méditations intimes de l’auteure des Mémoires d’Hadrien et de L’Œuvre au noir, ouverte à tous les désirs. Nul doute, Christophe Bigot, 48 ans, professeur de littérature, passionné par la période révolutionnaire, est à son affaire ici avec ses deux personnages détonants.

Ils se sont rencontrés chez elle, à Petite Plaisance, en mai 1978, sur son île américaine de Monts-Déserts, à l’occasion du tournage d’une émission pour la télé produite par Maurice Dumay, le petit ami de Jerry. Marguerite vit alors en ermite avec Grace, sa traductrice et compagne depuis quarante ans. Tout de suite, elle est remuée par “le bleu transparent” de l’éphèbe blond. Ils reviennent à l’automne, puis c’est seul qu’il fera le pèlerinage pour offrir ses services tandis que le cancer finit par terrasser Grace. Commence alors une série de voyages dantesques (Caraïbes, Europe, Maghreb, Egypte, Japon, Inde, Afrique) relatés avec le même bonheur que la réception à l’Académie française, le 22 janvier 1981, de Marguerite, mélange “de bonze tibétain et de sorcière médiévale” avec son port de sphinx et son carré à la Jeanne d’Arc. Maurice se meurt (du sida), Jerry, ange et démon, multiplie les crises de violence, la tempête couve, et connaît son acmé avec l’irruption d’une petite frappe droguée, amant de Jerry. La “romance” se referme, on n’a qu’une hâte, la relire. M. P.

Un autre m’attend ailleurs, par Christophe Bigot. Editions de La Martinière, 314 p., 20 €.

Clémentine Mélois

La gloire de son père

Contrairement à ce que défend à longueur de pensums plaintifs la littérature actuelle, il n’y a pas que la lamentation dans la vie. Le sculpteur Bernard Mélois le notait dans ses carnets en 1981 : “Nous sommes tous des clowns. Moi-même, je revendique le droit d’être grave dans une pirouette.” A la mort de ce drôle de zèbre, en 2023, sa fille Clémentine n’a pas voulu se noyer dans un paquet de mouchoirs. Elle a préféré réserver à son père un “enterrement de pharaon” en transformant ses funérailles en œuvre d’art. Alors c’est bien raconte par le menu cette installation pas comme les autres…

Membre de l’Oulipo et adepte des détournements drolatiques, Clémentine Mélois devrait se lancer dans les pompes funèbres. Le monde serait moins triste. Il faut la suivre en train de peindre en bleu le cercueil de son père ou faisant émailler sa croix, puis préparant la cérémonie : à partir d’une épreuve douloureuse, elle crée un événement fantaisiste et joyeux auxquels participent la famille et les amis. Le récit qu’elle en tire est un petit bijou d’oraison funèbre décalée, comme peut l’être In Memoriam de Paul Léautaud. Sauf que là où Léautaud est souvent grinçant, elle reste toujours tendre. Alors c’est bien (dernière phrase prononcée par le défunt) est aussi l’occasion pour Clémentine Mélois de retracer la carrière de sculpteur de son père, les années de vache enragée, l’amour inconditionnel du couple qu’il a formé toute sa vie avec la mère de ses deux filles. Il avait composé ce haïku : “J’ai mes lois/Je les suis/Je suis Mélois/Je suis.” Sa fille a hérité de son humour oscillant entre légèreté et inquiétude. Avec Cœur de Thibault de Montaigu, Alors c’est bien est la plus émouvante déclaration d’amour à un père que l’on pourra lire en cette rentrée littéraire. La preuve que tous les enfants ne sont pas ingrats. L.-H. L. R

Alors c’est bien, par Clémentine Mélois. Gallimard, 202 p., 19,50 €.

Andrew O’Hagan

Il était une fois Manchester

Sont-ce les références impeccables qui nous ramènent à notre propre jeunesse (The Smiths, New Order, Il était une fois en Amérique…) ? Les aphorismes qui fusent (“Etre jeune est une sorte de guerre dans laquelle le grand ennemi est l’expérience”) ? Le fait qu’écouter du Phil Collins soit ici considéré comme la pire des punitions imaginables ? Très vite, on a la certitude que ces Ephémères occuperont une place durable dans notre bibliothèque.

D’inspiration autobiographique, le roman s’ouvre dans le Royaume-Uni des années Thatcher. Gravitant autour du charismatique Tully Dawson, une bande de jeunes Ecossais de la working class se rend à Manchester pour un festival célébrant le dixième anniversaire du punk. Il y a le narrateur James, alias Noodles, futur écrivain, l’alcoolique Limbo, le marxiste Tibbs, le geek Dr Clogs… Le week-end dans cette Mecque musicale culmine avec le concert des Smiths. “Le groupe était à son apogée, romantique et injurieux, féroce et sublime, leurs coupes de cheveux en guise de revendication. Morrissey arriva en brandissant un permis, une sorte de laissez-passer général, comme si une nouvelle sorte d’appartenance pouvait être créée sur la base du sentiment d’exclusion, comme si personne ne vous connaissait aussi bien que lui”, écrit magnifiquement Andrew O’Hagan. La deuxième partie se déroule trente ans plus tard, lors que Tully annonce qu’il est atteint d’un cancer incurable. La nostalgie prend le dessus sur l’énergie juvénile, les regrets du crépuscule remplacent les promesses de l’aube, et on bascule de Trainspotting à Peter’s Friends. Mais l’essentiel est de ne pas trop trahir ce qu’on a été. “Et que la mort soit fière de nous prendre”, se répètent Tully et Noodles, citant le Antoine et Cléopâtre de Shakespeare. Rarement un roman aura sonné aussi juste sur la fin de l’adolescence comme sur l’âge mur. T. M.

Les Ephémères, par Andrew O’Hagan. Trad. de l’anglais par Céline Schwaller. Métaillié, 286 p., 21,50 €.

Patrice Jean

Mieux qu’un Houellebecq pour adultes

Il y a quelques années, le chanteur Bertrand Burgalat avait trouvé cette formule impeccable pour qualifier Patrice Jean : “un Houellebecq pour adultes”. Il est vrai que, avec ses deux derniers livres (voire plus), l’auteur jadis inspiré des Particules élémentaires a sombré dans un autopastiche geignard limite infantile. Pendant ce temps-là, plus ambitieux, Patrice Jean n’a cessé de monter en puissance : L’Homme surnuméraire, Tour d’ivoire, La Poursuite de l’idéal ou Rééducation nationale l’ont imposé comme l’un des meilleurs satiristes de notre modernité. A tel point qu’il est devenu insultant de le comparer à Houellebecq quand il rappelle plutôt Flaubert, Schopenhauer, Swift ou Molière.

Page 443 de La Vie des spectres, le narrateur Jean Dulac fait cette remarque : “La caricature, de nos jours, court après le réel, un réel toujours en avance d’une connerie sur sa représentation romanesque.” Dulac n’en finit plus de manger son pain noir. Journaliste dans la presse locale à Nantes, il doit écrire des portraits de personnalités toutes plus sottes les unes que les autres. Sa femme et son fils ne remontent pas le moral de ce bon père de famille. Un jour, alors que son épouse et leur rejeton se retournent injustement contre lui, Dulac claque la porte et s’installe seul dans un petit appartement. Le fantôme d’un ami de jeunesse lui apparaît et lui parle, tandis qu’une étrange épidémie crée la panique dans la société – le livre bascule alors dans une ambiance mélancolique et onirique qui renvoie plus à Gogol qu’à Philippe Muray (ce pourfendeur de lieux communs devenu lui-même un cliché). A rebours des romans les plus niais de cette rentrée (ceux de Véronique Olmi et Alice Zeniter), Patrice Jean ne tire pas le lecteur vers le bas. On conseillera son livre à ceux qui aiment réveiller les esprits – et notamment l’esprit critique. L.-H. L. R.

La Vie des spectres, par Patrice Jean. Le Cherche Midi, 452 p., 22,50 €.




Source
Exit mobile version

..........................%%%...*...........................................$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$--------------------.....