Que pense Gabriel Attal de la quête soulignée, surlignée même, par Emmanuel Macron de la “stabilité”, formule répétée une fois de plus dans le communiqué publié lundi soir par l’Elysée ? Lui, tout jeune et tout frais Premier ministre, fauché en plein décollage par un président qui n’avait que faire, alors, de la fameuse stabilité… A moins que le mot, aujourd’hui, ne soit qu’un moyen d’éloigner le Nouveau Front populaire des responsabilités.
Charivari institutionnel : le président ne sait plus sur quel pied danser. Ce qui ne se conçoit pas bien doit être énoncé clairement – pour faire illusion. Lundi soir, l’Elysée souligne qu’Emmanuel Macron a reçu les délégations partisanes “dans son rôle constitutionnel d’arbitre, garant de la stabilité institutionnelle et de l’indépendance de la Nation”. A l’évidence, il fait des efforts. Ses interlocuteurs de vendredi ont remarqué qu’il cherchait vraiment à s’élever au-dessus de la mêlée. “Il affectait de montrer qu’il était président et non chef de gouvernement”, souligne un visiteur de l’ex-majorité, qui ajoute : “Emmanuel Macron, structurellement, ne comprend pas bien ce que ça peut être de ne pas gouverner complètement.”
Depuis le second tour des législatives, le chef de l’Etat donne l’impression de ne plus savoir où il habite. Il accepte la réalité à un rythme de tortue et contraint ses équipes à ramer pour tenter de dissimuler les décalages.
Le 22 août, l’Elysée organise un briefing avec les journalistes : “La première leçon, c’est que la majorité sortante a perdu. Le président en a parlé très clairement d’ailleurs, dans ses interventions du mois de juillet.” Il est devenu urgent de mettre en exergue ce point, car il est évidemment faux que le chef de l’Etat en ait parlé “très clairement” en juillet. Dans sa lettre du 10 juillet, il écrit : “Personne ne l’a emporté.” Ce qui ne veut pas dire que son camp a été défait.
Il faudra attendre son intervention télévisée du 23 juillet pour qu’il reconnaisse que “la majorité sortante a perdu cette élection”. Premier retard à l’allumage. Le deuxième vient de la marge de manœuvre qu’Emmanuel Macron pense garder sur la politique mise en œuvre. En juillet, il est encore question d’une feuille de route. A la télévision, il remarque que “l’urgence du pays n’est pas de détruire ce qu’on vient de faire, mais de bâtir et d’avancer”, il dit sa volonté que ne soit pas remise en question la politique de lutte contre le chômage et d’attractivité de la France, il ajoute même qu’il faut “consolider” la compétitivité.
Les mots sont devenus vides
Sauf que la politique économique qui sera menée, y compris le sort de la réforme des retraites, ne dépend plus de lui. Là encore, l’Elysée, la semaine dernière, est obligé de remettre l’église au milieu du village : “A partir du moment où il y a eu défaite du camp présidentiel, c’est au futur Premier ministre et au futur gouvernement de proposer des mesures.” Pas au président d’indiquer le chemin qu’il convient d’emprunter.
Les temps ont changé, il peine tant à le comprendre. De là vient aussi la difficulté à nommer un Premier ministre. “Il a tardé à acter que ce ne pouvait être quelqu’un issu de son camp”, note l’un de ses ministres sortants. Il arrive désormais à Emmanuel Macron d’évoquer de plus en plus souvent une “coalition”. Il y a même fait allusion lors du 80e anniversaire de la libération de Paris, le 25 août.
Cette fois, c’est François Bayrou qui bondit en entendant cela : le centriste, qui se veut aujourd’hui plus gaulliste que le dernier des gaullistes, considère que le président n’est pas là pour se mettre dans la main des partis et que l’exécutif ne procède pas du législatif – sans quoi le gouvernement serait la somme de délégations parlementaires. Quid du fameux article 8 de la Constitution, qui indique que “le président nomme le Premier ministre” ? Selon La Tribune dimanche, Emmanuel Macron a répondu à François Bayrou vendredi dernier que “personne n’accepterait que je décide tout seul”.
Le front républicain ne se porte pas mieux que les institutions. On le croyait revigoré par la dissolution, il est en réalité en lambeaux. L’exécutif paie aujourd’hui les manœuvres de Gabriel Attal pendant l’entre-deux-tours : LFI appelé à la rescousse hier, cloué au pilori aujourd’hui. “J’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir”, disait Emmanuel Macron au soir de sa réélection face à Marine Le Pen, le 24 avril 2022. “Les partis politiques de gouvernement ne doivent pas oublier les circonstances exceptionnelles d’élection de leurs députés au second tour des législatives. Ce vote les oblige”, indique le communiqué de l’Elysée lundi soir. Les mots sont devenus vides. C’est aussi à cela que se mesure l’étendue d’un chaos.
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