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Macron et le choix d’un Premier ministre : cette ahurissante inconscience du président


Comment expliquer l’ahurissante inconscience du président Macron, l’absence scandaleuse, anticonstitutionnelle de gouvernement depuis plus d’un mois ? Il est devenu fou, disent certains, au comptoir du bar. Evidemment pas. Le président est en lui-même ce qu’il a toujours été, un disciple de Paul Ricœur (1913-2005).

Le philosophe avait de tout temps une incapacité à se repérer dans l’espace. Il ne retrouvait jamais son chemin, ni dans Paris, ni à Préfailles. J’avais failli le perdre quand nous étions allés ensemble à l’Opéra assister au Saint-François d’Assise de Messiaen, au début des années 1980.

Cette désorientation topographique, qui n’est pas une agoraphobie, est un handicap rare dont il a souffert toute sa vie, qui l’a complexé et certainement contribué à faire de lui cette caricature d’intellectuel enfermé dans sa tour d’ivoire, décidé à ne plus en sortir, à nourrir ses travaux philosophiques de lectures et seulement de lectures, sans tenir compte de ce qui se passe dehors.

Trop de conscience de la conscience tue la conscience

C’est ainsi que, durant les cinq années de captivité dans le camp de Gross-Born, en Pologne, il va passer son temps à traduire le livre du philosophe allemand Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie. La légende veut que, n’ayant pas à sa disposition le papier nécessaire, il écrit sa traduction sur les marges du livre de Husserl, plus de 800 pages constituant les fondements de cette science qui se veut nouvelle et purement descriptive des structures de la conscience : de quoi et comment est faite la conscience, qu’est-ce que c’est, et comment elle fonctionne. Chaque fois que Paul a tenté de me le faire comprendre, un axiome me venait à l’esprit : trop de conscience de la conscience tue la conscience. Autrement dit, j’avais l’impression que la phénoménologie était un moyen pour Paul d’échapper à ce que je croyais être “les phénomènes” : des manifestations, des émanations du réel. Pour moi, lui disais-je, les phénomènes c’est la vie du réel. Mais je voyais à son sourire que c’était plus compliqué que ça. Et puis, je sentais qu’il n’aimait pas ce concept de “réel”.

Traduire Husserl en captivité pendant cinq ans, de la façon dont il en parlait et il le confessait sans détour, c’était s’abstraire de la réalité douloureuse dans laquelle il se trouvait, prisonnier, et qu’il ne voulait pas penser comme telle : réalité. Husserl, c’était parfait pour ça puisque c’est justement un des principes, une des expériences de la phénoménologie, “l’épochè”, la suspension du jugement. Paul l’appliquait à fond, cette suspension, à l’excès, et c’est pourquoi, dans son journal de captivité, on ne trouve pas la moindre trace de sa personne souffrante, pas la moindre évocation de la douleur de la séparation d’avec sa famille, rien sur les conditions d’existence, au sens concret du terme, la bouffe, le sommeil, le froid et les autres prisonniers. Seule intrusion dans le monde : il donne des conférences sur la révolution nationale au Cercle Pétain, c’est dire s’il est déconnecté.

Tout se passe comme si, à force de penser le monde, il en oubliait de penser au monde, celui qui l’entoure, dans lequel se trouve le penseur. Mais cette “mise en pratique” de la phénoménologie, cette application déductive est un abus, une dérive, une tournure pervertie de la pensée de Husserl. C’est la ruse ricœurienne, celle qui permettra à Paul de s’envisager soi-même comme un autre. Et c’est probablement ce qui a séduit Macron : la suspension du jugement, l’épochè, qui en use aujourd’hui à l’envi. Il s’empêche de juger, de décider, de choisir, il pense tellement au pouvoir d’un point de vue phénoménologique qu’il s’en échappe et qu’il lui échappe.

Il n’a plus le pouvoir, il est au pouvoir, paralysé, inerte, mais au summum de sa jouissance narcissique, dans une sorte de petite mort présidentielle. Ça ne peut pas durer, mais le fait d’avoir décrété les Jeux olympiques comme la vacance du pouvoir complique encore le retour sur Terre, qui est l’opération la plus périlleuse de la conquête de l’espace.




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