Malgré le formidable élan de l’agriculture biologique, la filière vin souffre. Six millions d’hectolitres sont partis en distillation l’année dernière et une centaine de milliers d’hectares vont être arrachés, soit près de 15 % de la surface totale. La faute au désamour qui frappe le sang de la vigne en France : moins 70 % en soixante ans – les rouges étant plus à la peine que les autres. Pour conjurer l’inexorable tendance, les initiatives se multiplient. Comme, pour recouvrer la faveur des palais féminins et des milléniaux, réduire le taux d’alcool, casser les codes de la consommation. Ou encore relancer la production de blanc. De quoi redonner des couleurs à notre viticulture ? Notre guide.
Opportunisme ? Retour aux origines ? Le vignoble bordelais, dont l’étoile pâlit dans les vins rouges, est saisi d’une frénésie de blancs. Et pas seulement à Pessac-Léognan, l’une des rares appellations déclinées dans les deux couleurs. On plante du sauvignon et même du chardonnay à proximité de Saint-Emilion et de Pomerol, à Castillon, Fronsac, Lussac, Lalande… pour faire des bordeaux blancs ou des Vins de France. Au diable les étiquettes. A Sauternes, les châteaux mettent leurs liquoreux au régime sec : Climens, Rieussec, Guiraud, Sigalas Rabaud, Lafaurie-Peyraguey ou Rayne Vigneau s’inscrivent dans le sillage des Doisy-Daëne et d’Yquem qui avaient commencé il y a un demi-siècle. Mais dans un mouvement de défense plus que d’innovation… Enfin, le Médoc, synonyme de flacons tanniques, finalise un dossier d’AOP médoc blanc auprès de l’Inao. Hérésies collectives au royaume des rouges ?
Un besoin de se diversifier
Dans un vignoble globalement en crise, les domaines ont besoin de se diversifier pour se mettre au goût du jour. Ils renouent en fait avec le passé, puisque le vin blanc domina la région du XVe siècle au milieu du XXe. Il ne fut supplanté par le rouge qu’après les restructurations massives consécutives au grand gel de 1956. Aujourd’hui, les blancs secs sous AOC représentent 11 % des volumes. En Gironde, les plantations s’accélèrent hors appellations : les 1 400 hectares de blancs sans indication géographique revendiquée ont grossi de 51 % en 2023.
Dans le Médoc, où 40 hectares supplémentaires ont été créés en 2023, le Caillou Blanc de Talbot, commercialisé depuis 1952, et le Merle Blanc de Clarke, produit dès 1898, témoignent d’une tradition encore vivace. Hélène Larrieu, la directrice du syndicat Médoc-Haut Médoc, attend les enquêteurs de l’Inao début juillet, et espère “un premier millésime de médoc blanc en 2025”. Il épouserait la grande aire médocaine de 22 000 hectares, dont 16 000 sont réellement plantés – 200 en blanc. “Attention, prévient Eloi Jacob, directeur général du château Fourcas Hosten, à Listrac. On ne veut pas voir surgir des centaines d’hectares.” Il est un fervent promoteur de l’initiative “à condition de se cantonner à des terroirs spécifiques, avec des critères de production très qualitatifs”. Le domaine a planté, en 2012, une parcelle identifiée sur une belle veine calcaire, telle qu’il en existe notamment à Listrac et dans les villages les plus septentrionaux de l’estuaire, Valeyrac, Saint-Christoly, Jau-Dignac-et-Loirac. Estampillé bordeaux, le blanc de Fourcas Hosten est vendu à un prix très supérieur dans cette catégorie : “L’appellation médoc blanc aurait le mérite de valoriser l’origine”, estime Eloi Jacob. C’est aussi le pari du monochromatique Clos Albus : une co-création en 2023 du château Bellerive (famille Gouache) et du Clos Manou (Stéphane Dief), dynamiques acteurs des prometteurs terroirs du nord.
Les grands crus s’y sont mis depuis longtemps
Une vingtaine de grands crus (la plupart classés) de la rive gauche élaborent déjà de grands blancs, comme Lynch-Bages, Margaux, Mouton Rothschild, Cantenac Brown, Cos d’Estournel, Lagrange… Mais beaucoup regardent ce dossier d’assez loin, leur notoriété faisant loi en matière de qualité et de tarifs. Tactique ou accident, tous ne rentreront pas dans le cahier des charges, comme sans doute Kirwan, qui fait le pari de l’originalité avec un 100 % chardonnay. Reste que la plupart des 90 producteurs médocains de vins pâles sont dans les clous des cépages autorisés : les traditionnels sauvignon, sémillon et muscadelle, après avoir essayé – vainement – d’accréditer le chenin, le viognier et le gros manseng. C’est à peu de chose près l’assemblage du Tertre Blanc, tandis que le Retout a introduit du savagnin et de la mondeuse blanche.
Le syndicat défend encore le chardonnay dans les variétés accessoires. Le cépage bourguignon occupe déjà une cinquantaine d’hectares en Gironde, dont une dizaine en Médoc. Il a conquis la rive droite : Clos Dubreuil, Mouty, les vignobles Thunevin avec leur cuvée Bad Boy, et le dernier en date, La Croix de Labrie (Camille). “Il a de fortes dispositions à Bordeaux sur des terroirs frais”, assure Hubert de Boüard, qui en cultive à la Fleur de Boüard. “Il faut sortir des clichés, encourage-t-il. En restant prudent, sans tomber dans l’excès de production.”
Valandraud (encore Jean-Luc Thunevin) avait montré l’exemple dès les années 1990 avec un blanc iconoclaste issu de parcelles pourtant classées en saint-émilion. Sa réussite (plus de 70 euros la bouteille en primeurs) fait des émules : le Blanc du Milieu d’Angélus, produit sur Castillon depuis 2020, comme celui tout juste sorti de Fleur Cardinale, voisin du “Bad Boy” – deux hectares de sauvignon et de sémillon plantés en 2018. “L’équation économique est différente dans les grands terroirs, souligne Axel Marchal, œnologue-consultant. C’est prendre un grand risque d’utiliser des parcelles classées en saint-émilion ou pomerol : même avec des vins chers, les vignes perdent de leur valeur.”
Mille et une recettes pour transformer le rouge en blanc
D’ailleurs, certains ont trouvé l’astuce pour produire des flacons à la robe pâle sans raisins jaunes : le blanc de noirs. Le concept a fait son apparition cette année au Château Castéra (une réussite à l’esprit “rosé” par ses arômes fruités), à Courlat (un 100 % cabernet franc plutôt zesté), ou encore à Paloumey – ce dernier accompagné par Axel Marchal. L’assemblage décoloré de cabernets-sauvignons et de merlots prend ici des accents très floraux. “Le pressurage est court, les jus séparés très vite des peaux, sans passer par la phase de macération, et une filtration au charbon permet d’ôter les excès de teinte”, explique l’œnologue.
Julien Meyre travaille depuis plusieurs années sur ce produit dans son chai de Cap Léon Veyrin, à Listrac-Médoc, poussé “par la nécessité de se diversifier, mais pressé par le temps : cela prend sept à huit ans d’amener une vigne replantée en production.” A force d’essais avec le laboratoire Rolland, il a trouvé un moyen (“top secret”) d’éviter “la manipulation” de l’éclaircissage, alors même qu’il a choisi le cabernet-sauvignon, réputé le plus foncé. Elevé en cuve inox, Blanc of Black sonne comme un riff de heavy metal avec son étiquette dans l’esprit AC/DC : “Je casse les codes du marketing et de l’aromatique, entre le chenin et le gewurztraminer.”
Pour Axel Marchal, le blanc de noirs reste une anecdote : “Une réponse économique intéressante avec un produit différent. Mais ce n’est pas un révélateur de terroirs.” Dans un tout autre registre, le grand blanc de Cos d’Estournel, qui rivalise avec ses saint-estèphe, est issu de vignes surgreffées il y a une quinzaine d’années. Une méthode qui a peut-être plus d’avenir…
“Le grand Emile Peynaud disait : ‘Le vin est le fils du client’, cite Axel Marchal. Si les gens veulent boire du blanc, il y a tout intérêt à en produire à Bordeaux – mais pas en allant déloger les meilleurs cabernets sauvignons. Il y a encore de la place dans les sols argilo-calcaires pour produire des vins à forte identité dans les deux couleurs.”
BLANCS DE BORDEAUX : NOS 40 COUPS DE CŒUR
1 LES BORDEAUX BLANCS CLASSIQUES
Issus d’un assemblage traditionnel de l’appellation, leurs profils changent selon la proportion de chacun des cépages autorisés et les terroirs où ceux-ci sont plantés. Le sauvignon blanc joue le registre de la fraîcheur, de la tension et développe des notes florales (buis, bourgeon de cassis écrasé, genêt), de citron jaune et de fruits blancs (pomme, poire). Doté d’une acidité moins élevée, le sauvignon gris donne, lui, des vins plus corsés, avec des arômes de pain grillé, de pamplemousse blanc, de groseille à maquereau et de fruits de la passion. Surtout connu pour les merveilleux liquoreux qu’il offre à Sauternes et à Barsac, le sémillon, vinifié en sec, apporte au vin de la richesse et de la complexité, qui s’expriment dans des arômes frais d’agrumes (citron vert, mandarine, pamplemousse rose), d’ananas et de fruits exotiques. La muscadelle, souvent utilisée comme une épice dans l’assemblage (de 5 à 10 %), imprime au vin un caractère musqué et intensément floral, avec des nuances soutenues de chèvrefeuille, d’acacia et de fruits exotiques.
1.1 Château Le Grand Verdus 2 023 8,50 €
70 % sauvignon blanc, 30 % sémillon
Dourthe N° 1 2 023 9 €
100 % sauvignon blanc
Château de Crane Jardiner… 2 023 9 €
50 % sauvignon gris, 25 % sémillon, 25 % muscadelle
Pavillon de Trianon 2 023 12 €
50 % sauvignon blanc, 50 % sémillon
Château de Sours Quarry 2 021 13,95 €
100 % sauvignon blanc
Croix de Labrie Stella Solare 2 021 45 €
60 % sémillon, 20 % sauvignon blanc, 20 % sauvignon gris (complantés)
Fleur Cardinale Blanc 2 023 54 € (primeurs)
57 % sauvignon blanc, 43 % sauvignon gris
1.2 LES MÉDOCAINS
Les cépages blancs couraient sur tout le vignoble de la presqu’île jusqu’au phylloxera. A l’aube du troisième millénaire, néanmoins, quelques hectares subsistaient, notamment du côté de Listrac-Médoc, dont les vins blancs conservent toujours une solide réputation ; et dans quelques grands crus classés de margaux, pauillac, saint-julien, saint-estèphe…, qui donnent de véritables icônes très recherchées et, souvent, très chères. Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses parcelles de sauvignon — surtout —, et de sémillon ou de muscadelle fleurissent un peu partout dans le Médoc, livrant millésime après millésime, de vrais petits nectars.
Parfaitement Sauvignon de Fourcas Dupré 2 023 15 €
100 % sauvignon blanc
Château Doyac Le Pélican Blanc 2 022 18,50 €
100 % sauvignon blanc
Château Malleret Blanc 2 023 19,50 €
100 % sauvignon blanc
Le Cygne de Fonréaud 2 022 25 €
60 % sauvignon blanc, 25 % sémillon, 15 % muscadelle
Château Fourcas Hostens Blanc 2 022 28 €
65 % sauvignon blanc, 20 % sauvignon gris, 15 % sémillon
Le Merle Blanc de Château Clarke 2 023 32 €
70 % sauvignon blanc, 10 % sauvignon gris, 10 % sémillon, 10 % muscadelle
Clos Albus 2 023 32 €
51 % sauvignon blanc, 36 % sémillon, 13 % muscadelle
1.3 LES BORDEAUX-BLANCS DES GRANDS CRUS CLASSÉS DU MÉDOC
Arums de Lagrange 2 022 23,50
73 % sauvignon blanc, 12 % sauvignon gris, 15 % sémillon
Alto de Cantenac-Brown 2 022 30 €
90 % sauvignon blanc, 10 % sémillon
Château Talbot Caillou Blanc 2 022 43,70 €
71 % sauvignon blanc, 29 % sémillon
Pagode de Cos d’Estournel 2 022 60 €
57 % sauvignon blanc, 43 % sémillon
Blanc de Lynch Bages 2 022 60 €
67 % sauvignon blanc, 22 % sémillon, 11 % muscadelle
2. LES PESSAC-LÉOGNAN
Les seigneurs des Graves comptent les seuls crus classés en blanc sec. Complexes, charnus et ronds, ils sont longs en bouche et d’une très grande persistance aromatique. Beau potentiel de garde.
Les Chênes de Bouscaut 2 021 21 €
70 % sauvignon blanc, 30 % sémillon
Domaine de la Solitude 2 022 21 €
60 % sauvignon blanc, 40 % sémillon
Les Demoiselles de Larrivet Haut-Brion, 2 019 22 €
95 % sauvignon blanc, 5 % sémillon
Lagrave-Martillac 2 022 27 €
60 % sauvignon blanc, 40 % sémillon
Château Haut-Bergey Feu. Air. Eau. Terre. 2 019 35 €
95 % sauvignon blanc, 5 % sémillon
Château Carbonieux 2 022 36 €
65 % sauvignon blanc, 35 % sémillon
Les Hauts de Smith 2 022 38 €
100 % sauvignon blanc
Château Malartic-Lagravière 2 023 53,75 € (primeurs)
80 % sauvignon blanc, 20 % sémillon
3. LES BLANC de NOIRS
Comme leur nom générique l’indique, ces blancs sont vinifiés à partir de raisins à peau noire de l’appellation bordeaux : merlot, cabernet-sauvignon et cabernet- franc pour l’essentiel. Leur chair blanche livre un jus qui demeure quasi translucide tant qu’il reste éloigné des anthocyanes contenus dans la pellicule des grains. Une approche iconoclaste qui les tient en dehors des AOC du Bordelais. D’où leur classement en Vin de France. Outre l’assemblage qui les compose, nous indiquons aussi le vignoble et l’appellation dont ils sont issus.
Anthoinette Cap-Castera 2 023 12 €
(Château Castéra, médoc) 70 % cabernet-sauvignon, 30 % merlot
Blanc de Nuit 2 023 13 €
(Domaines de l’Émissaire, bordeaux) 100 % merlot noir
Blanc de Paloumey 2 023 14 €
(Château Paloumey, haut-médoc) 65 % cabernet-sauvignon, 35 % merlot
Blanc of Black 2 023 15 €
(Château Cap-Léon Veyrin, listrac-médoc) 100 % cabernet-sauvignon
Blanc de Noirs du Courlat 2 023 18 €
(Château du Courlat, lussac-saint-émilion) 100 % cabernet-franc
4. LES CHARDONNAYS DE LA RIVE DROITE
Les terroirs calcaires de la rive droite, notamment dans le Libournais, ont donné l’idée à des vignerons du cru de planter du chardonnay, cépage emblématique de la Bourgogne, friand de ces sols. En dehors du cahier des charges de l’appellation bordeaux-blanc, ils sont classés en Vin de France pour la plupart.
Camille de Croix de Labrie 9 €
Vin de France
(Château Thieuley) Les Truffières Chardonnay 2 022 15 €
Vin de France
Jean-Luc Thunevin Bad Boy 2 023 18 €
Vin de France
Anthologie de Marjosse Cuvée Chardonneret 2 022 25 €
Vin de France
La Fleur de Boüard Chardonnay 2 021 28 €
IGP Atlantique
Dubreuil Chardonnay 2 022 65 €
Vin de France
5. LES AVENTUREUX
Des deux côtés du fleuve, certains domaines ont choisi de pousser le bouchon encore plus loin dans le choix des cépages qu’ils ont plantés. Sur ces terres bordelaises, le pyrénéen gros manseng, le ligérien chenin, le rhodanien viognier, la savoyarde mondeuse, l’alsacien riesling, ou encore le jurassien savagnin et le portugais alvarinho (récemment autorisé par l’Inao) semblent bien exotiques…
Le Retout Blanc 2 022 16 €
Vin de France 50 % gros manseng, 40 % sauvignon gris, 10 % savagnin
Tertre Blanc 2 022 29,50 €
Vin de France 39 % gros manseng, 23 % chardonnay, 19 % viognier et 19 % sauvignon blanc
(Château Petit Val) Orfèvre du Val 2 020 69 €
Vin de France 100 % riesling
6. LES SAUTERNES SECS
Confrontés à la baisse de la consommation des liquoreux, de plus en plus de domaines de Sauternes et de Barsac, notamment les crus classés, vinifient une partie (10 %) de leur récolte en sec. Le succès de ces cuvées excellentes à petits prix s’est révélé si probant que beaucoup de propriétés proposent aujourd’hui une version premium de leur blanc sec, à l’attrait qualité-prix moins évident.
Le Sec de Rayne Vigneau 2 022 12,50 €
100 % sauvignon
Clos des Lunes Lune d’Argent 2 022 13 €
70 % sémillon, 30 % sauvignon blanc
G de Château Guiraud 2 023 13,50 €
60 %, sémillon, 40 % sauvignon blanc
Lions de Suduiraut 2 022 14 €
52 % sémillon, 48 % sauvignon blanc
Château de Rolland Clos des moines 2 022 18 €
100 % sauvignon
Château Doisy-Daëne Grand Vin Sec 2 022 19 €
100 % sauvignon
R de Rieussec 2 022 26,50 €
55 % sauvignon blanc, 45 % sémillon
Château Lafaurie-Peyraguey Blanc Sec 2 022 40 €
67 % sauvignon blanc, 33 % sémillon
Clos des Lunes Lune d’Or 2 022 45 €
70 % sémillon, 30 % sauvignon blanc
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