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Mélenchon est-il antisémite ? Ce qu’en disent les maths, par Gérald Bronner


Le leader de La France insoumise est-il antisémite ? La question n’est pas neuve. Depuis plus de dix ans, Jean-Luc Mélenchon est soupçonné d’entretenir des rapports ambigus avec les stéréotypes sur les juifs. Ce soupçon est-il une “ignominie” comme s’en indigne l’accusé ? Ou, au contraire, a-t-il donné des signes patents de son antisémitisme ? Le problème est de savoir si l’on peut avancer des arguments rationnels à ce sujet. Il me semble que oui.

Prises séparément, les déclarations tonitruantes de Mélenchon peuvent parfois – dans le doute – être exonérées des suspicions qu’elles suscitent. D’autres fois, c’est plus difficile : comme lorsqu’il écrit sur son blog, alors que les actes antijuifs explosent après le 7 octobre : “Contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France.” Le problème est justement que ces différentes déclarations ne doivent pas être analysées séparément. Le fait est que l’on ne peut répondre à la question de savoir quelle est la probabilité exacte que cette allégation-ci ou cette autre soit réellement antisémite. En revanche, parce qu’elles sont émises par la même personne, il est nécessaire de voir ces probabilités comme liées les unes aux autres.

Pour innocenter tout à fait le leader des insoumis, la seule question qui vaille est : quelle est la probabilité que telle déclaration soit ingénue et telle autre et telle autre… L’adjonction de ces probabilités se calcule très facilement en les multipliant. Comme la valeur de chacune est comprise entre 0 et 1, pas besoin d’être mathématicien pour comprendre qu’en accumulant les discours de nature douteuse, l’estimation globale de son innocence tend vers 0. Supposons qu’on puisse établir à 50 % la chance que telle déclaration qui relève de stéréotypes antisémites ait été émise en toute naïveté (comme le prétendent les défenseurs de Mélenchon), il n’y aurait alors en réalité que 6 % de chances que cette interprétation soit recevable s’il en avait fait 4 du même genre. Or les articles qui ont tenté de dénombrer ces dérapages en ont relevé bien plus depuis des années.

Du dog whistle ?

Sans pouvoir établir clairement le résultat de ce calcul, on peut cependant dire deux choses. D’une part, le résultat de ce type de structure probabiliste entraîne souvent un optimisme excessif – comme j’ai pu le montrer dans mon livre L’incertitude (PUF) –, c’est-à-dire que, dans le cas présent, on surestimera intuitivement l’innocence de Mélenchon. On le fera évidemment d’autant plus que sa sensibilité politique ira dans le sens de la gauche radicale et que l’on jugera ces déclarations au cas par cas, comme le traitement de l’actualité nous y invite.

D’autre part, si la conjonction de ces déclarations suspectes ne fonde pas en toute certitude l’antisémitisme du leader insoumis, on ne peut, en revanche, en raison de leur accumulation, croire rationnellement à un simple hasard. Quoi alors ? On peut a minima conclure que Mélenchon pratique le dog whistle. Il s’agit d’une technique dite aussi du “sous-discours” qui consiste à utiliser un langage suggestif qui sera décodé par des groupes sociaux particuliers sans susciter la désapprobation des autres. L’opération n’est pas tout à fait réussie en l’espèce mais, tant que le plus grand nombre n’est pas convaincu de la culpabilité du messager, cela peut être un calcul politique intéressant. Intéressant, si l’on est d’un cynisme sordide.

Ce que l’on peut donc dire, sans pouvoir répondre fermement au titre de cette chronique, c’est que Mélenchon n’entretient plus d’éthique de conviction concernant l’antisémitisme : cette lutte ne lui paraît plus assez importante pour qu’il s’interdise d’émettre des symboles ambigus à des parties de la population que l’on suppose – et c’est déjà problématique – sensibles à ce type de discours. Cette triste conclusion marque la déchéance de rationalité d’une figure importante de la vie politique contemporaine. Lorsque l’on perd ses valeurs et l’inconditionnalité que certaines devraient entraîner, comme le combat sans ambiguïté contre l’antisémitisme, c’est que l’on n’a pas assez de colonne vertébrale pour être grand. A chercher la tempête, on se retrouve sans sextant.

Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.




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