“Toutes ces nuits, pourquoi, pour qui… Et ce matin qui revient pour rien.” Le classique de Gilbert Bécaud résonne-t-il dans les oreilles des lieutenants du Nouveau Front populaire ? Car lundi 26 août, trois phrases dans un communiqué élyséen auront suffi pour réduire comme peau de chagrin les objectifs d’une intense campagne, commencée le mois dernier. “Au terme des consultations, le président de la République a constaté qu’un gouvernement sur la base du seul programme et des seuls partis proposés par l’alliance regroupant le plus de députés serait immédiatement censuré par l’ensemble des autres groupes de l’Assemblée nationale. Un tel gouvernement disposerait donc immédiatement d’une majorité de plus de 350 députés contre lui, l’empêchant de fait d’agir. Compte tenu de l’expression des responsables politiques consultés, la stabilité institutionnelle de notre pays impose donc de ne pas retenir cette option.” Lucie Castets, candidate du NFP à Matignon, produit d’un douloureux accouchement entre les forces de l’union, le 23 juillet dernier, est courtoisement renvoyée à ses affaires, à l’Hôtel de Ville de Paris. Insoumis, socialistes, écologistes et communistes enjoignent au chef de l’État de respecter leur lecture du résultat des urnes. “Et maintenant, que [vont-ils] faire ?”
Condamner le choix d’Emmanuel Macron, dans un premier temps. “La démocratie ne signifie rien aux yeux du président”, enrage Lucie Castets. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, déplore une “décision lunaire”, quand Marine Tondelier, patronne des écologistes, juge le communiqué présidentiel “honteux”. Dans un deuxième temps, tenter de comprendre – ou pas – la prise de position du président de la République. “Il ne veut pas de la gauche pour gouverner, s’indigne le patron des sénateurs PS, Patrick Kanner. Il a quand même réussi ce tour de force auprès des Français, les rendant amnésiques de sa participation à un gouvernement socialiste.” Jérémie Iordanoff, député écolo de l’Isère, lui, se trifouille les neurones. “S’il n’a pas à préjuger de la durée de vie d’un gouvernement, c’est quand même difficile à comprendre, d’un point de vue tactique. Admettons qu’ils arrivent à torpiller le NFP : Wauquiez a d’ores et déjà annoncé que la droite ne voulait pas participer à un gouvernement !”
“Macron se moque de la rue”
Agir, dans un troisième temps. Mais le répertoire d’action est maigrelet… Les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon avaient dégainé – seuls et sans concertation avec leurs camarades du NFP – la procédure de destitution du président de la République. “Une mauvaise hypothèse car elle est irréaliste : le Sénat ne validerait jamais cela”, euphémisme un député socialiste. Il faut dire qu’au PS, on a peu goûté la grossière manœuvre qui ne se résume qu’à faire “du bruit médiatique avec sa bouche” – l’expression est d’un cadre du NFP. “Un sale coup”, dixit les proches de François Hollande lui-même qui s’en était ému auprès d’Olivier Faure, le premier secrétaire (et son ancien collaborateur).
Autre option, la rue. Les mêmes Insoumis n’ont pas abandonné la carte de la destitution et y ajoutent un appel à manifester lancée aux organisations de jeunesse et aux forces syndicales et politiques. L’idée avait d’abord été lancée par les communistes. Fabien Roussel a lancé un appel à la mobilisation “partout, devant les préfectures, dans les villes” contre un Emmanuel Macron qu’il qualifie de “méprisant de la République” pour protéger une “République menacée”, dit-il. Manifestation, marche… Quelle différence entre l’appel des communistes et celui des Insoumis ? “Nous ne sommes pas dans la logique d’accentuer le chaos pour l’accentuer”, temporise Christian Picquet, contre-amiral du PCF. Les socialistes ne sont guère emballés par l’idée, même si Olivier Faure a fait savoir qu’il s’y rendrait. “Ça ne sert pas à rien, ça permet à ceux qui ne sont pas parlementaires, aux gens, aux Français, d’agir, mais cela n’est pas efficace d’un point de vue institutionnel”, abonde un proche du premier secrétaire, qui renchérit : “D’autant plus qu’Emmanuel Macron se moque de la rue, on l’a vu avec les gilets jaunes puis avec les milliers de gens qui marchaient contre la réforme des retraites.”
Alors, que vont-ils faire ? La gauche maintient la pression sur le chef de l’État, et cherche la faille. Aux Insoumis, le premier rôle. Aux autres, et en particulier les socialistes, les conversations de palais, à l’abri des regards curieux, pour “trouver un chemin” selon l’expression consacrée, mais “sans compromission”, prévient un cacique du PS. Ainsi, les relations ne sont pas si mauvaises avec les députés de Renaissance, du MoDem ou d’Horizons. Certains se voient et bavardent entre deux couloirs, autour d’un café, voire partagent un taxi. N’ont pas échappé au député Arthur Delaporte les mots d’Aurore Bergé dans Libération : “Il y aura une déclaration de politique générale et c’est sur cette base que je pourrai me décider sur une censure ou non. De la même manière que je ne dis pas : je signe un chèque en blanc et par principe, je ne censure pas, je ne peux pas dire : peu importe la DPG, censure immédiate.”
Le premier de saluer son adversaire politique : “C’est positif, constructif. On peut avancer comme cela.” D’autant que la Macronie ne comprend plus vraiment le premier d’entre eux, le président de la République. “Il est carbonisé”, disent certains élus, qui ne prennent pas plus au mot Gabriel Attal – “affaibli”, selon les mêmes – quand il affirme que la censure d’un gouvernement NFP serait “inévitable.” “Inévitable oui, automatique pas forcément”, temporise un MoDem. Le chef de file des députés socialiste Boris Vallaud l’assure : “Ce n’est pas nous qui avons jeté une grenade dégoupillée mais le président de la République. Nous, nous cherchons à être constructifs. Et parmi les macronistes, quoique certains en disent, il y en a qui sont moins opposés à la possibilité d’un gouvernement du NFP que leur président.”
Le coup de pression de François Hollande
Mais puisque personne ne traverse de pont, il faut tenir tête au président. “La stabilité, c’est l’argument des autocrates qui refusent l’alternance”, fustige Arthur Delaporte, en réponse au communiqué du président de la République. La menace d’une motion de censure reste la clef de voûte de la stratégie d’opposition de la majorité relative du NFP au président de la République. Mardi matin 27 août, en réunion de groupe, les socialistes se sont mis d’accord sur trois points : ils ne participeront pas aux manifestations, contrairement à la déclaration d’Olivier Faure le matin même, n’offriront aucun soutien à la procédure de destitution, et censureront tout ce qui est une reproduction du macronisme.
François Hollande, l’ancien président devenu député du NFP, n’en a pas dit moins. Furieux contre le communiqué de l’Elysée la veille, il a déploré la double faute d’Emmanuel Macron, “institutionnelle et politique”, en refusant de nommer Lucie Castets. Pour lui, la participation aux consultations voulues par le chef de l’État n’a plus lieu d’être, pas plus que les manifestations voulues par les Insoumis. “De quoi aurions-nous l’air à aller devant les préfectures pour défendre le gouvernement de Castets qui n’a pas été nommé ou de dire comme Ruffin qu’il va falloir aller chercher le président ?” a-t-il lancé devant ses pairs. Il assure d’autant plus n’avoir aucun problème avec la censure d’un Premier ministre qui serait dans la continuité du macronisme. Emmanuel Macron est prévenu, par son prédécesseur.
Mais au bal des prétendants, tous ne sont pas suspects de continuité avec Emmanuel Macron. Outre les rumeurs lançant Bernard Cazeneuve ou le maire socialiste de Saint-Ouen Karim Bouamrane, d’autres noms virevoltent dans les couloirs de l’Élysée, et notamment de chefs d’entreprise, comme le directeur général de la Maif, Pascal Demurger, ainsi que l’a rapporté L’Opinion. Selon les informations de L’Express, un nouveau nom agite désormais le Château : Éric Lombard, le directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations. En 2022, le quotidien Les Echos lui consacrait un portrait, titré : “Eric Lombard, le banquier qui se verrait bien ministre”. L’ancien rocardien, conseiller ministériel de Michel Sapin, y est décrit comme “compatible avec la Macronie et apprécié par la gauche”. “C’est un homme de gauche comme Olivier Dussopt ? On connaît la chanson, il ne suffit pas de se décréter de gauche”, prévient, ironique, un cadre du PS. La chanson de Bécaud entête… “Et puis un soir dans mon miroir, je verrai bien la fin du chemin.”
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