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Patron de Telegram arrêté : pourquoi Pavel Durov est devenu Français


Depuis août 2021, la France compte un citoyen français pas comme les autres : un magnat des nouvelles technologies qui collectionne les passeports comme les philatélistes traquent les timbres-poste. Né en Russie, Pavel Durov, fondateur de la messagerie Telegram, est aussi de nationalité christophienne – depuis mai 2013 – et émirienne – depuis février 2021. La même année, il a également obtenu un passeport français, bénéficiant pour cela d’une procédure facilitée extrêmement rare. A l’époque, cette attribution avait interrogé, entraînant des enquêtes dans la presse. La question revient aujourd’hui en pleine lumière, alors que l’intéressé a été interpellé ce 24 août à son atterrissage à l’aéroport du Bourget. Questionné par les autorités françaises, le milliardaire était sous la menace d’un mandat de recherche. Il lui est reproché d’avoir laissé proliférer sur sa plateforme des contenus illicites – pédocriminalité, trafic de drogue, apologie du terrorisme, pour ne citer qu’eux – et de ne pas répondre aux réquisitions judiciaires.

Sur le fichier protégé du Journal officiel annonçant les naturalisations, on le trouve entre un certain “Dukuray” et une “Dutton” : “Pavel Durov, né le 10/10/1984, à Léningrad, République de Russie (URSS), NAT” – l’abréviation de “naturalisé”. Traditionnellement, l’obtention de la citoyenneté française via la naturalisation est une procédure longue, qui se déroule en plusieurs étapes. Mais, avant toute chose, il faut que la personne à l’origine de la demande ait habité en France. “Normalement, un étranger doit résider en France pour une durée légale de cinq ans avant sa naturalisation, ce que l’on appelle la ‘durée de stage'”, explique Fabienne Jault-Seseke, professeure de droit privée à l’Université Paris-Saclay, spécialiste du droit des étrangers.

La procédure de “l’étranger émérite”

Cette durée peut-être réduite dans certaines conditions, à deux ans par exemple, quand il s’agit d’étudiants ayant réussi leur diplôme. Ce n’est pas le cas de Pavel Durov. Il ne vient pas non plus d’un Etat appartenant à la liste des pays francophones reconnus par le Code civil (à l’exemple des Comores, du Congo, ou encore du Vanuatu). Comme le relevait Le Monde dans un article l’année dernière, le fondateur de Telegram n’a pas accompli un service militaire au service de la France et ne possède pas non plus le statut de réfugié. Il n’a donc pas pu obtenir de dispense de stage pour ces raisons-là.

Pavel Durov détient aujourd’hui un passeport français par l’intermédiaire de la procédure “l’étranger émérite”, selon des informations de France Inter que L’Express s’est fait confirmer mardi 27 août. “Le gouvernement peut accorder une dispense de la procédure habituelle en raison d’un intérêt exceptionnel présenté par l’intéressé”, précise Maxime Tandonnet, chargé de cours de droit des nationalités à l’Université Paris-Est Créteil.

Inscrite en 1993 à l’article 21-21 du Code civil, réalisée à l’initiative du ministre des affaires étrangères, cette disposition permet de naturaliser “un étranger francophone qui en fait la demande et qui contribue par son action émérite au rayonnement de la France et à la prospérité des relations économiques internationales”. Le site de l’administration française indique qu’il “peut s’agir, par exemple, d’une personnalité ou d’un chef d’entreprise dont l’action dans ce domaine est reconnue”. Ce chemin de naturalisation est extrêmement rare. “Il se compte en quelques dizaines de demandes par an. Sur ces dernières, seules une poignée de personnes obtiennent la nationalité française”, explique un bon connaisseur du dossier.

Un joueur de rugby et un autre entrepreneur dans le même cas

Lorsque ces naturalisations sont publiées au Journal officiel accompagnées de celles réalisées via la procédure “classique”, il est impossible de distinguer les unes des autres. Seule l’inscription du “département 99” peut éventuellement indiquer une demande effectuée depuis l’étranger. “Mais ce n’est qu’un indice : dans les cas similaires à celui de Durov, aucun communiqué n’est fait pour indiquer qu’une personne a bénéficié de cette procédure”, note Jules Lepoutre, professeur de droit public à l’université Côte d’Azur.

Pour le savoir, il faut éplucher le Journal officiel. Une tâche fastidieuse, le nombre de naturalisations par décret oscillant d’après les chiffres de l’Insee entre 75 000 en 2021 et 40 000 l’année dernière. Quelques rares cas sont toutefois remarqués, comme celui du joueur sud-africain Maks Van Dyk, qui avait demandé la nationalité française à Emmanuel Macron en finale du Top 14, en 2019 – “Banco ! On lance la procédure”, lui avait alors répondu le chef de l’Etat. La même année, Les Echos révélaient que le patron de Snapchat avait aussi profité avec son fils de cette procédure. L’un comme l’autre parlent couramment français, le premier l’ayant appris lors de son arrivée en club en 2016, le second l’ayant étudié à l’Alliance française de Los Angeles. C’est aussi le cas Pavel Durov, qui a obtenu en 2021 un certificat B1 de langue française.

Refus de commenter les “décisions individuelles”

Mais en quoi peut-on dire que Spiegel et Durov, géants de la tech américains et russes qui ne travaillent pas en France et n’y habitent pas, contribuent au “rayonnement de la France” ? Difficile de répondre à la question, tant l’exécutif est discret sur le sujet. Dans le cas de Spiegel, sa présence auprès d’investisseurs français et son amitié avec plusieurs entrepreneurs stars français, comme Xavier Niel ou Alexandre Arnault, ont pu être avancées comme hypothèse. L’explication est autre pour Durov : patron d’une plateforme aux 900 millions d’utilisateurs à travers le monde, il aurait obtenu la nationalité française en raison de son poids et influence économique et des difficultés rencontrées dans son pays d’origine, avance-t-on dans les cercles proches du pouvoir. En dehors de cette indication, difficile d’en savoir davantage : interrogés, le Quai d’Orsay et le ministère de l’Intérieur – dont dépend la direction de l’intégration et de l’accès à la nationalité – se renvoient la balle, les premiers refusant de “commenter toute décision individuelle”.

Pavel Durov a en tout cas un historique tumultueux avec le pouvoir russe. En conflit avec les autorités depuis les grandes manifestations contre le Kremlin en 2011, il a quitté la Russie deux ans plus tard. L’année suivante, Moscou a tenté d’interdire la plateforme dans le pays. Et si la fin officielle du blocage de Telegram en 2020 est le signe pour une partie de l’opposition russe du rapprochement entre Vladimir Poutine et l’entrepreneur, ce dernier ne semble pas prêt à rentrer au pays. Chantre du libertarianisme, Durov a posé ses valises à Dubaï et semble préférer parcourir le monde. Avec sa fortune et ses quatre passeports, il en a largement les moyens.




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