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Varian Fry : une exposition retrace l’épopée du journaliste qui a sauvé des juifs

Il débarque à Marseille le 14 août 1940 avec pour seuls bagages le soutien moral de la first lady Eleanor Roosevelt, 3 000 dollars et une liste de 200 noms, tous portés par des proscrits du nazisme et des lois de Vichy. Missionné par le tout nouveau Emergency Rescue Committee, le journaliste américain est envoyé ici pour trois semaines. Il restera finalement un peu plus d’un an dans la cité phocéenne, avec un objectif : permettre à ces opposants politiques et juifs de fuir l’Europe vers les Etats-Unis.

En treize mois de combat acharné, Varian Fry en sauvera près de 2000. Parmi eux, nombre d’artistes pointés comme “dégénérés” par le régime hitlérien. A travers la singularité et les œuvres de ces figures liées au surréalisme, dont on célèbre cette année le centenaire du Manifeste, le Lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) retrace l’épopée marseillaise de Fry sous le commissariat éclairé d’Emmanuelle Polack, historienne spécialiste de l’art sous l’Occupation.

Portrait de Varian Fry, Marseille, 1940-1941.

Il a été témoin d’un pogrom

A l’été 1940, Varian Fry, 32 ans, est un antinazi convaincu et sans illusions : cinq ans plus tôt, lors d’un reportage à Berlin, il a été témoin d’un pogrom, événement qui constitue l’élément fondateur de son engagement. Dès son arrivée à Marseille, port ouvert sur la Méditerranée devenu antichambre de l’exil, il transforme sa mansarde du Splendide Hôtel, boulevard d’Athènes, en bureau d’accueil pour les réfugiés allemands, autrichiens, polonais, tchèques ou français.

Les candidats à la traversée affluant, le journaliste loue la villa Air-Bel, dans le quartier de la Pomme. Cette grande bastide, rebaptisée par ses occupants “château Espère-Visa”, voit ainsi se côtoyer, pour un long séjour ou l’espace d’un dimanche, les couples formés par André Breton et Jacqueline Lamba, Marc et Bella Chagall, Max Ernst et Peggy Guggenheim, mais aussi Jean Arp, Hans Bellmer, Marcel Duchamp, ou André Masson. Dans l’attente d’un bateau salvateur, pour tuer le temps, ils signent des créations collectives : la revisite du cadavre exquis, lancé par Prévert en 1925, ou l’invention du jeu de Marseille dont ils dessinent les cartes à l’aquarelle.

Dessin collectif par André Breton, Oscar Dominguez, Wifredo Lam et Jacqueline Lamba, 1940.

A l’occasion de la visite du maréchal Pétain, en décembre 1940, comme d’autres milliers de personnes alors jugées “suspectes”, Varian Fry et ses hôtes sont arrêtés et détenus sur le paquebot-prison Sinaïa, mais relâchés au bout de trois jours grâce à l’intervention du vice-consul américain Hiram Bingham IV. Au cours de ces treize mois, ce dernier est un rouage essentiel de l’entreprise salvatrice initiée par son compatriote, délivrant, à la barbe d’un apathique département d’Etat des Etats-Unis soucieux de ne pas se brouiller avec Vichy, un nombre incalculable de visas – vrais ou faux – aux réfugiés.

Etroitement surveillé, Fry finit par être expulsé hors des frontières françaises le 16 septembre 1941. De retour outre-Atlantique, il n’a de cesse d’alerter l’opinion sur le sort des juifs en Europe face à une Amérique méfiante qui peine à reconnaître son héros comme tel. Seul honneur reçu de son vivant : le grade de chevalier de la Légion d’honneur que lui octroie la France en 1967, quelques mois avant sa mort. Vingt ans plus tard, Varian Fry devient, à titre posthume, le premier Américain “Juste parmi les Nations”, tandis que le secrétaire d’Etat étasunien Warren Christopher admet officiellement qu’il n’a pas reçu de son pays le soutien qu’il méritait. Un hommage tardif à celui qui évoquait “l’empreinte indélébile laissée par cette année passée à mener [sa] propre petite guerre”.




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