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Que lire en cette rentrée littéraire ? Notre sélection des romans à dévorer (ou à éviter)

Mort à Venise et Elle et lui, des dystopies, un nazi et des “malgré-nous”, des confinements en appartements ou dans un monastère… Pour cette troisième salve de critiques de romans de la rentrée littéraire, le service Culture de L’Express s’est aventuré dans des genres très différents. Une seule constante : une même liberté de ton pour dire nos engouements comme nos emportements.

Jean-Pierre Montal

Elle et lui (et eux)

Certains films ont un pouvoir ensorcelant. C’est le cas d’Elle et lui de Leo McCarey, avec Deborah Kerr et Cary Grant. Sorti en 1957, il continue de passer dans certains cinémas parisiens. Le narrateur de La Face nord, Pierre, est fou de cette histoire d’amour contrariée entre un homme et une femme qui se rencontrent sur un paquebot, se donnent rendez-vous six mois plus tard en haut de l’Empire State Building, mais ne reverront que bien après… A 48 ans, Pierre pleure chaque fois qu’il revoit cette “perfection”. Un soir où il y retourne, à la Filmothèque du Quartier latin, il croise le regard d’une spectatrice. Le lendemain, se retrouvant à une nouvelle projection, ils se présentent l’un à l’autre : elle s’appelle Florence et a 72 ans. La foudre les frappe. Plus tard, au début de leur singulière aventure, Pierre notera ceci : “Il y a un trouble inexplicable à caresser une peau beaucoup plus âgée que la sienne. Je sais ce qu’un psychanalyste en dirait et je sais aussi qu’il aurait tort. Cette peau ridée et distendue était en avance sur moi. Elle en savait plus que moi. Cette peau m’intimidait.”

Malgré l’évidence de leur rencontre, racontée avec une grande délicatesse par Jean-Pierre Montal, Florence se montre fuyante. Pierre va découvrir son passé à Vienne, et les raisons profondes de ses atermoiements. Au cœur d’une surproduction éditoriale pleine d’écrivains éléphantesques, le dandy Montal se distingue par trois qualités devenues rares : sa sensibilité, son style et son esprit. Ecrivain et éditeur, il est aussi chanteur, leader du groupe Les Mercuriales, dont on recommande l’album Les choses m’échappent. Aucun doute qu’il connaît le titre A Lady of a Certain Age, l’un des chefs-d’œuvre de The Divine Comedy. Avec Florence, sa femme d’un certain âge, il a créé un superbe personnage, qui serrera le cœur de tous les esthètes émotifs. Louis-Henri de La Rochefoucauld

La Face nord, par Jean-Pierre Montal. Séguier, 151 p., 19 €.

Carole Martinez

Quand la nature se rebelle

Carole Martinez

Il est loin le temps où il avait fallu plus d’une année pour que les médias, tout comme son éditeur, Gallimard, s’intéressent vraiment au premier roman d’une inconnue, Carole Martinez, qui avait fini par glaner, au fil des mois, moult “petits” prix et lecteurs. Plus de seize ans après Cœur cousu et treize après Du domaine des Murmures, prix Goncourt des Lycéens, voici, traité comme il se doit, Dors ton sommeil de brute, cinquième roman de la Parisienne de 57 ans. Une fiction tout à son image, enjouée et fiévreuse, entre conte onirique et dystopie “ancestrale”. Marquée par l’éco-anxiété des jeunes générations et par ses propres craintes, Carole Martinez puise dans les mythes bibliques (les dix plaies d’Egypte) pour exorciser le présent. Aussi faut-il se laisser emporter sans crainte dans son long rêve, tout aussi ambitieux que cruel.

Eva, neurologue parisienne spécialiste du sommeil, ne voulait pas d’enfant. Mais voilà, Lucie est née et est devenue la prunelle de ses yeux. Confrontées à la violence du père, elles partant se terrer dans la Camargue sauvage avec, pour seul lointain voisin, Serge, un mystérieux colosse solitaire au doux regard. Une nuit, Lucie, prise de somnambulisme, hurle à pleins poumons. Un cri que tous les enfants du globe poussent au fil de la nuit et de la rotation terrestre. Quelque temps après, la planète est aux prises avec une autre épidémie inquiétante : cette fois, c’est vers l’eau que se dirigent les petits en pleine nuit, sans pour autant se noyer. Puis, des milliers de moustiques envahissent leurs chambres. Plus tard, les mères s’en prennent à leurs enfants qui dégagent une odeur pestilentielle… Religieux et scientifiques tentent d’élucider ces étranges phénomènes, sans succès. Ce sont là des coups de semonce de la nature, sous-entend Carole Martinez tout au long de son thriller surnaturel qui enjoint les adultes à réenchanter le monde. Chiche ! Marianne Payot

Dors ton sommeil de brute, par Carole Martinez. Gallimard, 400 p., 22 €.

Jean-Noël Orengo

Le nazi de la rentrée

Que serait une rentrée littéraire sans son dignitaire nazi ? Après Josef Mengele (Olivier Guez), le fictif Maximilien Aue (Jonathan Littell) ou Hermann Göring et les patrons allemands (Eric Vuillard), Jean-Noël Orengo se penche sur Albert Speer. Dans la médiocrité ambiante des cadres du IIIe Reich, le personnage se distingue : architecte chargé de mettre en œuvre les visions mégalomanes de Hitler, puis ministre de l’Armement et des munitions à partir de 1942, ce technocrate a réussi, à Nuremberg, à sauver sa peau grâce à un incroyable numéro d’illusionniste, se déclarant “responsable mais pas coupable” face à la Shoah. Après vingt ans de prison à Spandau, il a même réussi sa reconversion médiatique dans la République fédérale.

Orengo s’intéresse à la fascination réciproque entre Hitler et Speer, qu’il nomme “le guide” et “l’architecte”. Le premier se pique d’architecture, le second se rêve en homme de pouvoir. Hélas, à la lecture de phrases comme “l’art est le contraire de l’humilité du bien public, du bien tout court, comme du mal d’ailleurs”, on comprend vite que cette “fiction non fictionnelle” (sic) s’avère aussi ampoulée que les projets de Speer pour le Berlin de l’après-guerre, rebaptisé Germania. L’ouvrage se veut une réflexion sur le conflit entre “Fiction” et “Vérité” (avec majuscule bien sûr). Mais, à la fin, l’auteur ne peut s’empêcher de confier son embarras face au projet (“je suis parfaitement conscient que les gens ‘n’en peuvent plus’, conscient de l’hostilité virulente, moqueuse, désolée, faite à ce cliché d’écrire encore sur les nazis”), avant d’avancer un contrat d’édition signé avec son éditeur, Grasset. “Comment écrire sur un homme qui a rendu la fiction plus séduisante que la vérité ?”, s’interroge la quatrième de couverture. En s’abstenant, a-t-on envie de répondre. Thomas Mahler

“Vous êtes l’amour malheureux du Führer”, par Jean-Noël Orengo. Grasset, 264 p., 20,90 €.

Stephen Markley

L’effondrement qui vient

Ne pas se laisser intimider par l’épaisseur du livre, ou par son poids. Le Déluge ferre le lecteur dès le premier paragraphe, et son millier de pages se dévore, non pas d’une traite, certes, mais avec avidité et, il faut l’admettre, un certain effroi. Le thème de ce récit d’anticipation à court terme, courant de 2013 aux années 2040, essentiellement situé aux Etats-Unis, est une musique familière des Terriens du XXIe siècle : le réchauffement climatique. Plusieurs personnages alimentent un récit choral, qui incarnent chacun une approche du problème, sans s’y réduire : Tony, scientifique affirmant l’effondrement à venir ; Shane, fondatrice d’une cellule visant à saper le lobby Big Oil par tous les moyens, bâtons de dynamite inclus ; Jackie, communicante chargée des intérêts du même lobby ; Ashir, statisticien surdoué capable de modéliser les évolutions du climat ; Keeper, un pauvre hère de l’Ohio dont le rôle ne sera révélé qu’à la toute fin ; et, enfin, Kate, militante écologiste au charisme solaire devenue icône mondiale, à la tête d’une organisation ambitionnant de changer le système de l’intérieur.

Le Déluge n’a rien d’un roman théorique. S’il décortique la profonde complexité des mécanismes politiques, sociaux, économiques, financiers, religieux qui risquent d’advenir sous les coups de butoir de Mère Nature, le livre connaît quelques climax dignes des meilleurs thrillers (un sauvetage dans une Los Angeles en proie aux flammes, par exemple). C’est un roman d’une grande lucidité, qui stipule que les changements de cap réels ne seront enclenchés qu’à la suite de grandes dévastations, que les intérêts privés feront dérailler bien des processus, mais qui exposent aussi un certain nombre de solutions, concrètes et détaillées. Un livre essentiel, à mettre entre le plus grand nombre de mains possibles. Bertrand Bouard

Le Déluge, par Stephen Markley, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé. Albin Michel, 1 056 p., 24,90 €.

Gwenaëlle Aubry

Encore un confinement !

Les critiques sont en première ligne. A chaque rentrée, nous devrions être vaccinés contre la littérature snob, si contagieuse en France. Les piqûres de rappel ne suffisent pas à être immunisé. Tous les mois d’août, le virus mute. Cette année, un des variants les plus virulents s’appelle Zone base vie. Il s’est échappé du bureau de Gwenaëlle Aubry (Prix Femina en 2009) et traîne dans les librairies. Si les abonnés suicidaires de Télérama vous soutiendront que l’on peut se passer de masque, on préfère mettre en garde les personnes vulnérables : nous sommes en guerre.

Vous l’aurez compris : Zone base vie est un roman sur les confinements. A travers un hommage (bien lourd) à La Vie mode d’emploi de Georges Perec, Gwenaëlle Aubry raconte la vie d’un immeuble au temps du coronavirus. Défile une galerie de personnages tous plus prétentieux et artificiels les uns que les autres, qui permettent à la romancière d’accumuler des références savantes qui divertiront sans doute les agrégés de grammaire mais plongeront dans le coma le commun des mortels. Connaissiez-vous La Corona du poète anglais John Donne ? Non, on ne parle pas de la bière mexicaine qu’aimait Jacques Chirac… Philosophe de formation, Gwenaëlle Aubry se fait une très haute idée de sa littérature, hélas il est un peu gênant de se prendre pour Virginia Woolf quand on écrit comme Véronique Olmi. Quant à vouloir pasticher Perec sans l’humour et la fantaisie de ce dernier, quelle drôle d’idée. Ne reste qu’un exercice de style complètement vain, à lire sous assistance respiratoire. A part Olivier Véran et quelques universitaires masochistes nostalgiques des confinements, on ne voit pas qui un tel pensum pourra intéresser. Cela donne envie de remplir une attestation de déplacement dérogatoire et de sortir courir. A quand un vibrant éloge du gel hydroalcoolique par Eric Reinhardt ?

Zone base vie, par Gwenaëlle Aubry. Gallimard, 268 p., 21 €. L.-H. L. R.

Joël Egloff

Défense du “malgré-nous”

Depuis Edmond Ganglion & fils (1999) jusqu’à J’enquête (2016) en passant par L’Etourdissement (prix du Livre Inter 2005), Joël Egloff s’est fait une belle réputation de prince de l’absurde et de l’humour noir, à coups d’antihéros savoureux. Ici aussi, avec ce septième roman, il est question d’anonymes antihéros, sauf qu’il s’agit des parents de l’auteur mosellan et on ne rigole plus. Et pour cause, ils ont eu la “malchance” de naître français en Moselle dans les années 1920 avant de devenir allemands, comme leurs parents et grands-parents le furent de 1871 à 1919, avec “pour seul territoire” le dialecte du platt. Comble du pire, le père de Joël Egloff, incorporé à l’âge de 17 ans, fut l’un des 130 000 “malgré-nous”.

C’est en septembre 1939 que son village, coincé entre la ligne Maginot et la frontière, est devenu “zone rouge” et qu’il a fallu partir pour prendre la direction du Sud-Ouest, où il va somme toute couler des jours heureux. Native du village voisin, la mère de l’auteur est, elle, embarquée pour le Pas-de-Calais, à Liévin, où “tout est brique et métal, poussière et fumée”. Puisant dans la mémoire familiale, Joël Egloff alterne les chapitres paternel et maternel, évoquant avec une même tendresse leur destin presque parallèle. “Rapatriés” “chez eux”, où l’aigle a remplacé le coq, la mère de Joël Egloff vit désormais au cœur de la tempête, tandis que son père, mobilisé de force le 5 octobre 1943, est affecté à la défense aérienne de Munich, pilonnée par les bombardements alliés, puis dans la 6e Panzerarmee de la Waffen-SS, du côté de l’enfer des Ardennes.

“Je me suis perdu dans les livres, des livres d’histoire, des récits de bataille… tous les livres du monde ne répondront pas aux questions que je ne t’ai pas posées”, écrit l’auteur à propos de son père, qu’il ressuscite pourtant ici admirablement. M. P.

Ces Féroces Soldats, par Joël Egloff. Buchet-Chastel, 240 p., 20,50 €.

Grégoire Bouillier

Pavé dans l’étang

Le nouvel ouvrage de Grégoire Bouillier est audacieux et fascinant.

Ayons tout d’abord une pensée pour les courageux éditeurs de Grégoire Bouillier et Philippe Jaenada qui, pour cette rentrée, ont réussi l’exploit de limiter ces polygraphes à moins de 500 pages. Comme son ami Jaenada, Bouillier, après avoir fait le tour de sa vie personnelle, s’est spécialisé dans des enquêtes prétextes à moult digressions hilarantes et réflexions plus mélancoliques. Pavé dans la mare aux nénuphars, Le Syndrome de l’Orangerie part d’un sentiment d’angoisse et de malaise ressenti par l’écrivain en admirant les Nymphéas de Claude Monet. La “Sixtine de l’impressionnisme” cacherait-elle un lourd secret ?

Grégoire Bouillier, ou plutôt son double, le détective Bmore, en est persuadé : si Monet a été autant obsédé par ces fleurs d’eau dans les dernières décennies de sa vie, c’est qu’il a enterré dans l’œuvre monumentale exposée au musée de l’Orangerie des choses très personnelles. “Un cadavre se cache quelque part dans cette salle ou dans l’autre”, pressent-il, avant de tenter de le démontrer. On ne sait ce que penseront les historiens de l’art de sa thèse, mais sur le plan littéraire, c’est irrésistible. L’écrivain passe de la vie personnelle de Monet au dernier James Bond, de la botanique à ses propres névroses (on ne se réinvente pas). Même Pascal Obispo a le droit à un caméo. Il aurait simplement fallu couper une dizaine de pages, dans lesquelles Bouillier, sans doute trop sûr de sa capacité à sauter du coq-à-l’âne, établit un parallèle entre sa visite à Giverny et celle à… Auschwitz-Birkenau. Une “idée débile”, concède-t-il. Un moment surtout très embarrassant, mais que la verve et l’inventivité de cette enquête picturale font vite oublier. T. M.

Le syndrome de l’Orangerie, par Grégoire Bouillier. Flammarion, 427 p., 22 €.

Daphné Tamage

Des femmes et des dieux

Dieu serait-il le meilleur remède aux errances sentimentales ? Apolline, l’héroïne du Retour de Saturne, n’a rien d’une nonne recluse : elle accumule les histoires foireuses. Après une énième aventure décevante, elle court chez son psy dans l’espoir qu’il lui prescrive des cachets. A la place, il lui conseille… un mois sans hommes : “Qu’importe la méthode, je m’en fiche. Barricadez-vous au monastère des dominicaines cloîtrées de Lourdes, partez aux îles Lofoten, enfermez-vous où vous voulez. Pas d’hommes, pas de flirts, pas de parties de jambes en l’air, rien. Revenez me voir dans un mois.” La jeune femme fait appel à sa marraine, Suzanne, qui lui prête sa maison à Conques. Et voilà qu’Apolline commence une retraite dans ce charmant village aveyronnais dominé par l’abbatiale Sainte-Foy, aux vitraux signés Pierre Soulages…

“Ne m’enlevez pas mes démons, vous emporteriez aussi mes anges”, écrivait Rilke, cité ici par Daphné Tamage. On sent qu’elle a dû baigner dans une éducation chrétienne, qu’elle s’en est détournée et qu’elle y revient quand elle ne s’y attendait plus. A Conques, cadre poétique où passent les pèlerins qui marchent vers Saint-Jacques-de-Compostelle, Apolline relit sa vie sentimentale, de sa première fois à ses derniers déboires. Un chanoine, frère Charles, traîne dans les parages, et l’invite à venir prier à l’abbatiale. Peu à peu, le ciel s’éclaircira pour Apolline, trentenaire espiègle et volage soudain touchée par la grâce. Le Retour de Saturne, dans l’idéal, ce serait la rencontre d’Emma Becker et de Bernanos. En vérité, le roman a des défauts, mais son ton enlevé charme et touche. Daphné Tamage a de la chance : elle est belge, et semble échapper à l’esprit de sérieux qui sclérose la littérature française. En cette rentrée, dont elle est l’une des révélations, on lui donne notre bénédiction. L.-H. L. R.

Le Retour de Saturne, par Daphné Tamage. Stock, 231 p., 20 €.

Guillaume Perilhou

Le damné de Visconti

Le temps d’un film, il a été “le plus beau garçon du monde”. Boucles blondes, visage pâle et blouse de matelot, Björn Andrésen crève l’écran, sans quasiment prononcer un mot, dans le Mort à Venise de Luchino Visconti. Il restera à jamais Tadzio, ange de la mort fantasmé par Thomas Mann dans la nouvelle éponyme. Mais sélectionné par Visconti après plusieurs mois de recherche en Scandinavie et en Europe de l’Est, l’adolescent suédois sera rapidement jeté comme une poupée qu’on a déshabillée. “Il a déjà perdu de sa beauté”, raille le “maestro” à Cannes en 1971. Icône gay alors qu’il n’est pas homosexuel, véritable idole au Japon (où il inspirera Lady Oscar, l’héroïne androgyne du manga La Rose de Versailles) l’ange déchu ne se remettra jamais de ce rôle.

Ce destin tragique avait, en 2021, fait l’objet d’un documentaire de Kristian Petri et Kristina Lindström. C’est au tour de Guillaume Perilhou d’en tirer un beau roman épistolaire, qui alterne les points de vue entre Visconti et Andrésen. D’un côté, le rejeton flamboyant d’une des plus illustres familles italiennes, fin lettré qui écrit à son “Schatz” Helmut Berger ou à sa “cara” Maria Callas. De l’autre, un orphelin suédois poussé par une grand-mère obsédée par la célébrité, qui ne touche que 4 000 dollars pour un long-métrage auquel il ne comprend rien. Abstraction faite de quelques passages se voulant pédagogiques pour le lecteur, mais peu crédibles dans des correspondances personnelles (Visconti qui rappelle à Berger qu’il a joué dans Les Damnés…), Guillaume Perilhou réussit avec style son double numéro de ventriloque. Une évocation subtile d’une époque, de Balthus à Natalie Portman dans Léon, qui a longtemps jugé acceptable l’érotisation d’enfants et d’adolescents tant qu’elle était recouverte d’un vernis esthétique. T. M.

La Couronne du serpent, par Guillaume Perilhou. L’Observatoire, 219 p., 20 €.

Benjamin de Laforcade

Au cœur de Berlin-Est

13 août 1961-9 novembre 1989 : durant plus de vingt-huit ans, Berlin-Est, zone d’occupation soviétique en 1945, fut matériellement séparée de Berlin-Ouest, et fit office de capitale de la RDA. Agé de 30 ans, Benjamin de Laforcade n’a pas connu l’ambiance surréaliste du “Gross-Berlin” coupé en deux, mais ce salarié de l’hôtellerie, prestidigitateur à ses heures et citoyen berlinois depuis plus de sept ans, est profondément “habité” par l’histoire de sa cité d’adoption, jusqu’à en faire le cadre de son premier roman, Rouge nu, en 2022, et l’un des personnages de sa nouvelle fiction, Berlin pour elles.

Elles, ce sont Hannah et Judith, dont l’amitié indéfectible commence à l’âge de 6 ans, dans un terrain vague non loin du mur. Leurs familles sont bien différentes. Hannah est la fille de la célibataire Rita, qui a choisi pour géniteur l’un de ses camarades de la mine de charbon de Lusace avant de se faire embaucher dans une usine de câbles de Berlin. Judith a pour mère une ex-laborantine de Leipzig et pour père Peter, un rigide fonctionnaire de la Stasi, convaincu du bien-fondé de ses idéaux, qui voit d’un très mauvais œil l’amitié de sa fille avec celle de “l’asociale” Rita. D’autres protagonistes peuplent ce beau roman incisif, tableau à la fois réaliste et profondément humain de la dureté du régime communiste : Werner, ex-soldat nazi alcoolisé, clodo et clown ; Harald, le pasteur réfractaire aux lois liberticides de son pays et son fils Karl, fouineur en chef. La censure est omniprésente, la surveillance du parti aussi, tout comme la misère. Foulard bleu des Jeunes Pionniers de la fière République démocratique allemande au cou, Hannah et Judith n’en ont cure. Mais les ombres s’accumulent sur leur jeunesse paradoxalement enchantée, les voilà séparées… Jusqu’à la chute du mur. Rédemptrice. M. P.

Berlin pour elles, par Benjamin de Laforcade. Gallimard, 208 p., 19,50 €.




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