A chaque fois qu’un fait divers violent se produisant dans un établissement scolaire est médiatisé, le même scénario se répète : des personnalités politiques exigent “le retour de l’autorité”, des sanctions exemplaires et la tolérance zéro à l’égard des écarts de discipline. Le ou la ministre de l’Education nationale promet de prendre les mesures drastiques qui s’imposent. Et finalement rien ne se passe. Faut-il voir dans cette incapacité récurrente à “restaurer l’autorité” un laxisme coupable, ou au contraire le signe que cette rhétorique répressive n’est ni réaliste, ni à la hauteur de l’enjeu ?
A mon sens, elle relève de la confusion classique entre autorité et autoritarisme. L’autorité est la capacité à faire respecter un cadre prédéfini. Il existe plusieurs moyens de l’exercer. L’autoritarisme n’est que l’un d’entre eux. Il consiste à imposer son cadre par la force. Dans le domaine scolaire, il s’appuyait jadis sur des châtiments corporels et sur des punitions sévères sanctionnant le moindre écart. Si l’autoritarisme a été jugé acceptable, voire a été la norme dans certains lieux et à certaines époques, force est de constater que ce n’est plus le cas.
Le mouvement de fond de refus de l’autoritarisme ne provient pas de 1968 comme on l’entend souvent, mais remonte à la Révolution française. Les châtiments corporels sont interdits depuis 1834. La plupart d’entre nous (même ceux qui réclament le retour de l’autorité) ne voudraient pas d’un retour de l’autoritarisme scolaire pour leurs propres enfants. Il n’y a pas lieu de voir cela comme une décadence, mais comme un progrès : l’autoritarisme n’est tout simplement pas compatible avec les valeurs d’un état de droit au XXIe siècle que sont la liberté, la justice, la démocratie, l’autonomie, le droit à l’individualité et à l’autodétermination.
Une autre source d’autorité est l’institution à laquelle on appartient et le statut qu’on y possède. Mais le même mouvement qui a rejeté l’autoritarisme a aussi sapé le prestige et l’autorité symbolique de toutes les institutions, éducation nationale comprise. Il est maintenant possible de contester toutes les institutions. Cette désacralisation est indissociable de la démocratie et de l’état de droit, mais elle a un coût social.
Il est aisé de reprocher aux enseignants d’avoir perdu toute autorité. Il faut toutefois reconnaître que l’autoritarisme n’est plus une option, et que l’autorité qu’ils peuvent tirer de leur institution est bien affaiblie. Le vrai problème des enseignants, c’est qu’on ne les a formés à aucune alternative viable entre l’autoritarisme et le laxisme. C’est là que puiser dans la recherche en psychologie pourrait aider.
Les menaces et les punitions sont peu efficaces pour modifier les comportements
Ces dernières années, la psychologie positive a mis en avant la bienveillance à l’égard des élèves et l’importance du dialogue. L’exigence de bienveillance est un impératif, mais elle n’est pas suffisante : être bienveillant et dialoguer ne confère en soi aucune autorité. Parmi les propositions les plus récentes, le développement des compétences psychosociales est une piste intéressante. L’empathie, la régulation des émotions, la maîtrise de soi et la communication constructive sont des compétences importantes qu’il est utile de travailler avec les élèves. Mais passer des compétences au comportement n’est pas automatique.
Les élèves connaissent généralement bien les comportements interdits et les sanctions associées, car c’est là-dessus que toute l’attention est constamment focalisée. Mais cela ne suffit pas pour que tous adoptent les comportements attendus. En effet, les menaces et les punitions ont une très faible efficacité pour modifier les comportements, qui ne sont pas forcément maîtrisés ni automatisés par tous les élèves. Il est donc nécessaire de les enseigner explicitement et d’y entraîner les élèves. Pour ce faire, les méthodes qui ont fait leurs preuves se basent sur la récompense des comportements positifs, plutôt que sur la punition des comportements déviants. Et elles sont d’autant plus efficaces qu’elles sont implémentées de manière cohérente à l’échelle de l’établissement, plutôt que par chaque enseignant isolément. La plus connue d’entre elles s’appelle le Soutien au comportement positif et a déjà été expérimentée avec succès en France.
Se focaliser sur les comportements attendus plutôt que sur les comportements déviants, voilà un renversement de perspective profond par rapport aux habitudes de notre système scolaire. Mais former nos enseignants à cette approche serait susceptible de leur donner enfin les moyens d’exercer une autorité qui ne tombe ni dans l’autoritarisme, ni dans le laxisme.
Franck Ramus est chercheur au CNRS et à l’Ecole normale supérieure (Paris).
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