C’est un budget “provisoire”, qui donne déjà des sueurs froides aux spécialistes de la transition écologique. La “lettre plafond” envoyée fin août par le Premier ministre Gabriel Attal au ministère de la Transition prévoit une forte baisse des crédits dans certains domaines clés pour la décarbonation. Selon le média spécialisé Contexte, ce coup de sabre amputerait le Fonds vert de 1,5 milliard d’euros et l’électrification des véhicules d’un demi-milliard.
Une “vision budgétaire à court terme”, dénonce Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et membre du Haut Conseil pour le Climat. Celle qui a été coprésidente jusqu’en juillet 2023 du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) prévient : une baisse des financements verts pourrait entraîner un accroissement des difficultés à lutter contre le changement climatique, et donc un risque accru pour les populations.
L’Express : Le budget 2025 n’est pas arrêté, mais les éléments récents communiqués par Matignon semblent montrer une baisse des crédits nécessaires pour la transition écologique. Quel regard portez-vous sur la trajectoire préconisée par le gouvernement démissionnaire ?
Valérie Masson-Delmotte : Malheureusement, la lettre que nous avions envoyée — avec le Haut Conseil pour le Climat — à Gabriel Attal, au printemps, reste tout à fait d’actualité. On prévenait déjà des risques qu’il y avait à décaler le calendrier pour un ensemble de textes structurants, comme la révision de la Stratégie française énergie climat, la Stratégie nationale bas carbone et le Plan national d’adaptation au changement climatique. Ces textes sont associés à des besoins et des priorités d’investissement essentiels, et aujourd’hui encore les retards s’accumulent avec l’absence de gouvernement.
Désormais, à ces incertitudes, s’ajoute un projet de budget particulièrement préoccupant par rapport aux investissements nécessaires pour tenir nos engagements sur la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre. Or, on perçoit nettement les impacts du changement climatique. Et comme les récentes inondations en montagne nous l’ont rappelé, cela engendre toujours plus de coûts. Face à ces événements climatiques extrêmes, nous percevons bien notre impréparation et nous devons changer d’échelle. Certes, il y a des risques de “pourrissement politique”, comme le qualifient certains, mais une chose est sûre : si on ne s’attaque ni aux causes, ni aux conséquences du changement climatique, le coût des dommages ne fera que s’amplifier.
Dans une période de réduction des dépenses de l’Etat, l’écologie peut-elle être une variable d’ajustement budgétaire ?
Ce qui me préoccupe le plus, c’est la difficulté du gouvernement à avoir une vision sur une trajectoire de long terme. La gestion budgétaire à court terme prévaut. Il est extrêmement inquiétant de voir que les discussions n’évoquent pas les implications climatiques très concrètes de ces décisions. Pourtant, il serait intéressant de construire une vision partagée entre les groupes politiques sur la trajectoire que nous souhaitons avoir à l’horizon 2030. Cela permettrait ensuite d’avoir une discussion qui porterait sur le budget. Mais pour le moment, la réflexion se fait dans l’autre sens. Avec une vision purement comptable et court-termiste.
Le budget de l’Ademe, consacré aux collectivités et aux entreprises, pourrait lui aussi être amputé, passant de 1,3 milliard à 900 millions d’euros. Avec quelles conséquences ?
Cette nouvelle, si elle est confirmée, serait très dommageable. Il faut souligner que toutes les coupes budgétaires sur les services de l’Etat et la transition écologique risquent de se payer en pertes nettes de savoir-faire pour des opérateurs critiques. C’est-à-dire pour l’accompagnement de la décarbonation des collectivités ou pour l’adaptation. Affaiblir le budget de l’Ademe, c’est aussi affaiblir une forme de décentralisation, qui est importante pour que les mesures mises en œuvre soient le plus adaptées aux territoires, y compris par rapport aux opportunités d’emplois et de maîtrise des coûts énergétiques, deux thèmes chers aux élus locaux.
Le problème est que l’on n’a pas eu d’estimation des gains engendrés par les investissements de l’Etat dans la transition, et donc une analyse rationnelle qui présenterait une vision intégrée des bénéfices de ces investissements. Le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), rattaché à Matignon, pourrait tout à fait faire ce travail car la trajectoire qui a été définie est associée à des moyens chiffrés. Traduire ces coupes en opportunités qui se ferment, en retards qui s’accumulent, et en risques qui peuvent augmenter, serait très instructif.
La France, malgré tout, est parvenue cette année à réduire ses émissions pour se mettre sur la bonne trajectoire. Cela signifie que l’on peut y arriver, même avec un budget restreint ?
Effectivement, c’est la première fois que l’on se trouve sur une trajectoire nous permettant d’atteindre nos objectifs. Mais cela comporte une condition, celle de tenir la déclinaison de ces mesures dans les secteurs clés. On parle des transports, du bâtiment… Ce sont précisément ces secteurs qui sont touchés de plein fouet par les propositions de coupe. Il faut aussi noter que ces bons résultats sont en partie liés à des facteurs conjoncturels. La baisse observée est notamment liée à l’inflation et au ralentissement industriel qui expliquent à eux seuls environ un tiers de la baisse annuelle des émissions. Le gouvernement se trompe : ce n’est pas quand on commence à atteindre le cap qu’il faut revenir en arrière et réduire les budgets. C’est le contraire qu’il faut faire.
On oublie parfois qu’il s’agit de construire une autre économie, décarbonée dans la durée. Il ne s’agit pas de gérer une crise l’une après l’autre mais d’intégrer l’économie dans une vision de long terme. La situation politique fait qu’actuellement nous n’avons pas de débat au Parlement sur ces sujets. On manque de cap. C’est extrêmement frustrant.
Les subventions aux véhicules électriques seraient aussi concernées par ces baisses. Le “leasing social” semblait avoir pourtant touché sa cible ?
Je ne vais pas commenter la situation budgétaire d’ensemble. Mais il faut tout de même rappeler la condition cruciale pour que ces transformations structurelles se mettent en œuvre : celle de la justice sociale. C’est-à-dire leur déclinaison territoriale et le fait de rendre accessible des options de décarbonation pour tous, y compris pour les ménages à revenus contraints. Lorsque l’on avait fait l’évaluation avec le Haut Conseil pour le climat, la mesure prise sur l’année 2023-2024 qui nous avait paru la plus pertinente était celle du leasing pour les véhicules électriques. A l’époque, nous n’avions pas observé beaucoup d’autres initiatives aussi efficaces… A voir la situation politique actuelle, je crains qu’il n’y en ait pas de nouvelles sur l’année qui vient.
Cela vaut pour l’achat des véhicules, mais le développement des réseaux de chaleur urbains et les fabricants de pompes à chaleur seront aussi touchés par ces baisses de financements. On voit bien que ces aides stimulent la production et la demande, il y a un retour sur investissement dont il serait dommage de se passer. C’est pourquoi je pense qu’il serait intéressant d’avoir l’avis du SGPE sur la question, puisque cette instance a justement travaillé sur ces thèmes.
Qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ?
Les changements viendront, je pense, du Parlement, qui aura un rôle différent dans le contexte politique actuel. J’attends qu’il puisse construire une vision commune sur ces enjeux, pour protéger les Français en métropole et dans les outre-mer. J’espère que le budget 2025 pourra être remis dans la bonne direction et que le Parlement jouera son rôle : celui d’agir dans l’intérêt des Français, dans une logique de long terme. Dans les pays qui disposent d’une culture de coalition, on constate qu’il peut y avoir des accords sur des sujets stratégiques de ce type-là. Le climat, la biodiversité, la construction d’une industrie décarbonée… Tout cela échappe aux logiques partisanes de gauche ou de droite.
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