Ce mercredi 4 septembre, Xi Jinping a reçu 25 dirigeants de pays africains à l’occasion du banquet d’ouverture de la 9e édition du sommet Chine-Afrique, qui se déroule cette semaine à Pékin. L’objectif : penser l’avenir de la coopération sino-africaine. Interrogé par L’Express, Jean-Pierre Cabestan, chercheur à Asia Centre Paris, évoque les réticences chinoises à une hausse de l’aide financière.
L’Express : À l’issue du sommet, les Etats africains connaîtront l’enveloppe financière mise à leur disposition pour les trois prochaines années. En 2021, la Chine avait promis 40 milliards de dollars, 20 milliards de moins qu’en 2018. Va-t-elle continuer à réduire la voilure ?
Jean-Pierre Cabestan : Je pense que oui : la contribution au développement africain est en train de changer de nature. Puisque les Etats africains sont endettés et n’arrivent pas à rembourser les banques, la Chine perd de l’argent. Cela ne m’étonnerait donc pas que l’enveloppe soit à nouveau diminuée, ou maintenue à 40 milliards de dollars. De plus, même si je ne pense pas que l’opinion publique joue un rôle déterminant en Chine, la population est réticente à l’idée de donner de l’argent à l’Afrique alors qu’il y a des besoins dans le pays. Les finances de certaines provinces sont en difficulté : les fonctionnaires ne sont plus payés et il y a des baisses de salaires importantes. Politiquement, je ne pense donc pas que Xi Jinping puisse annoncer une augmentation de l’enveloppe.
La Chine est souvent accusée d’utiliser son statut de créancier à des fins diplomatiques, la possible baisse de l’aide financière impactera-t-elle ces arrangements ?
Il est difficile de l’évaluer. Oui l’enveloppe est impactée, mais les autres partenaires de l’Afrique, à savoir les Etats-Unis, l’Europe et le Japon, deviendront-ils pour autant plus avantageux pour les Etats africains ? Je n’en suis pas certain. La Chine, grâce à son aide financière, son entregent et ses échanges diplomatiques, a réellement verrouillé les votes à l’ONU sur les questions des droits de l’homme. Étant donné que la plupart des pays africains ne sont pas vraiment ouverts sur ces sujets, cela fait les affaires de la Chine. Les Etats-Unis ont, par exemple, posé des restrictions et des sanctions par rapport à l’Ouganda qui a adopté une loi anti-homosexualité. La Chine en a donc profité pour avancer ses pions. Elle ne fait pas dans les sentiments.
À défaut d’augmenter le montant des prêts afin de bâtir des infrastructures, comment l’Empire du milieu compte-t-il continuer à étendre son influence sur le continent ?
Nous voyions bien depuis le précédent forum à Dakar en 2021, qu’il y a une diversification de l’aide apportée. La présence chinoise fait partie d’un jeu diplomatique qui va bien au-delà d’une présence économique. Elle développe l’apport sécuritaire et idéologique. Depuis deux ans, cela passe notamment par l’école de Leadership en Tanzanie. Cet établissement financé par la Chine forme les cadres et partis politiques en Afrique australe comme le Congrès national africain ou le Mouvement populaire de libération de l’Angola. Sur le papier, cette formation est censée les aider à s’améliorer, se moderniser, mais en réalité c’est une façon d’influencer les modes de gouvernance en Afrique, de renforcer l’articulation entre le parti au pouvoir et l’Etat.
Augmenter ses exportations sur le continent fait-il également partie de la stratégie d’influence de la Chine ?
Évidemment. C’est même l’une des priorités chinoises d’augmenter ses échanges avec le Sud, maintenant que des mesures protectionnistes ont été prises par le Nord notamment à l’encontre des véhicules électriques et des panneaux solaires. Puisque à l’heure actuelle, le problème de Pékin réside dans le pouvoir d’achat : les Africains sont-ils solvables ? Combien peuvent acheter des véhicules électriques ? Là où la Chine est maline c’est qu’elle commence à implanter des usines dans les pays africains, comme le Maroc, qui entretiennent d’étroites relations avec l’Europe. C’est une manière d’avoir un accès au marché européen facilité et de contourner les restrictions imposées par les Etats-Unis et l’Union européenne.
Du côté des Etats africains, y a-t-il des préoccupations croissantes quant à cette dépendance envers la Chine ?
C’est là qu’il y a une tension. Certains pays comme l’Ethiopie et la Zambie essayent de rééquilibrer l’accord bilatéral mais ne peuvent pas fermer la porte à la Chine puisque c’est une relation Nord-Sud. Pékin extraie les matières premières et arrose les Etats avec des produits manufacturés aux prix concurrentiels. Il y a une sorte de dumping mais ces pays ne peuvent pas développer une base industrielle suffisamment puissante et intéressante pour être indépendants. Pour sortir d’une dépendance à la Chine, il faudrait donc que les autres partenaires soient convaincants. Le programme “Global Gateway” de l’Union européenne alloue 300 milliards d’euros au Sud, dont la moitié destinée à l’Afrique mais il y a beaucoup de recyclage de projets déjà existants. Ce n’est pas forcément ce que recherchent les Etats africains. Malgré les diverses pressions, il ne faut pas négliger leur capacité de décision. Ils choisissent ce qui les arrange. S’ils se rendent en rangs serrés à Pékin, c’est qu’ils savent pertinemment qu’ils vont obtenir une aide financière. Ne reste plus qu’à connaître son montant.
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