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L’Europe et l’arme nucléaire : après le parapluie américain, le parapluie français ? Par Eric Chol


C’était en 1964. La guerre froide battait son plein, et la peur d’un conflit nucléaire trottait dans toutes les têtes. La France, déjà dotée de la bombe A, s’affichait comme la quatrième puissance atomique mondiale. Cette année-là sortait au cinéma Docteur Folamour. Une comédie satirique, devenue mythique sur le risque nucléaire et qui résume la dissuasion comme “l’art de produire dans l’esprit de l’ennemi… la peur d’attaquer”. Soixante ans plus tard, la bombe est de retour. Après des décennies consacrées à la réduction des arsenaux, la course aux armes nucléaires est repartie de plus belle, et suscite sur tous les continents de nouvelles vocations.

En France, les alternances politiques n’ont eu aucune prise sur la doctrine de dissuasion, et son arsenal (290 ogives) suffit à défendre les intérêts vitaux de la nation. Mais pas seulement. Car, c’est la nouveauté, Emmanuel Macron entend faire émerger une culture stratégique européenne. L’idée, émise à plusieurs reprises depuis février 2020, a suscité beaucoup de critiques en France mais a été plutôt bien accueillie à l’étranger, en particulier dans le nord de l’Europe. Que propose au juste le chef de l’Etat ? Que les intérêts vitaux français revêtent désormais une dimension européenne. Rien de révolutionnaire, en réalité : cette référence européenne était déjà présente dans le Livre blanc sur la défense nationale paru en 1972, et plus récemment, Jacques Chirac expliquait en 2006 que “la garantie de nos approvisionnements stratégiques ou la défense de pays alliés, sont, parmi d’autres, des intérêts qu’il convient de protéger”.

Ce qui change toutefois avec Emmanuel Macron, c’est la publicité qu’il a souhaité donner à cette ouverture de la dissuasion française. “C’est une manière d’assumer un peu plus cette dimension européenne des intérêts vitaux français afin de renforcer notre crédibilité vis-à-vis de nos alliés”, explique Héloïse Fayet, chercheuse à l’Ifri et spécialiste des questions nucléaires. Surtout, le contexte est doublement porteur. D’abord parce que la guerre en Ukraine déclenchée en février 2022 a provoqué une prise de conscience en Europe, où les budgets de défense sont à la hausse. Et ensuite, parce que le parapluie américain n’est plus une garantie absolue, surtout si Donald Trump revient à la Maison-Blanche.

“Penser l’impensable”

Les ogives tricolores peuvent-elles prendre le relais ? Seront-elles alors en nombre suffisant ? “C’est un vrai débat, qui n’est pas tranché : les armes nucléaires ont une capacité de destruction telle que 100 ou 200 bombes de plus, ça n’est pas vraiment différent, estime Héloïse Fayet. Néanmoins, la taille de l’arsenal compte pour celui que l’on veut dissuader et pour celui que l’on veut rassurer.”

Clairement, si la France veut exercer un rôle de leader de l’Europe de la défense, elle ne pourra pas le faire sans contrepartie. Et cette contrepartie consiste précisément à assurer la protection des alliés. En les aidant à “penser l’impensable”, selon la formule du futurologue Herman Kahn, au début des années 1960.




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