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Un cessez-le-feu avec le Hamas serait une victoire pour Israël, par Graham Allison et Amos Yadlin


Les négociateurs américains font pression pour obtenir un accord entre Israël et le Hamas, avec un échange d’otages contre un cessez-le-feu, avant que le conflit ne dégénère en une guerre plus large. Mais le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou acceptera-t-il ce qui pourrait être une victoire stratégique historique pour Israël (pas forcément pour lui) ?

Si l’un de ses 13 prédécesseurs avait été en poste aujourd’hui, il ne fait aucun doute qu’il ou elle aurait signé cet accord conçu par Israël et proposé par les Etats-Unis depuis la fin mai. De même, si les négociateurs israéliens – dirigés par les barons de la sécurité nationale dont les collègues sont en première ligne dans cette guerre – étaient décisionnaires, ils auraient accepté les termes de n’importe quel accord issu des trois derniers cycles de négociations. Depuis des mois, ces hauts fonctionnaires ont fait savoir qu’il s’agissait de la meilleure option stratégique et morale. Parmi eux figurent David Barnea, chef du Mossad (renseignement extérieur), Ronen Bar, chef du Shin Bet (forces de sécurité intérieure), Herzi Halevi, chef d’état-major de l’armée israélienne (Tsahal) et le ministre de la Défense Yoav Gallant.

En exigeant davantage à chaque étape de ce processus, Netanyahou a réussi à obtenir davantage du Hamas. Le “plan final” américain que le secrétaire d’Etat Antony Blinken a présenté au Moyen-Orient a repris une grande partie de ce que Netanyahou attendait. Cet accord débuterait par un cessez-le-feu de six semaines, l’échange d’un nombre significatif d’otages israéliens contre un nombre encore plus important de Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, et le retrait d’Israël des zones peuplées de la bande de Gaza. Cela conduirait ensuite à des négociations concernant un cessez-le-feu permanent, un retrait total d’Israël et la reconstruction de Gaza.

Netanyahou a indiqué à Blinken qu’il accepterait au moins la première phase de l’accord, avant de faire volte-face et de dire à ses négociateurs que ce ne serait pas le cas. Entre-temps, la frappe préventive d’Israël contre le Hezbollah au Liban a démontré la supériorité de ses renseignements, de ses capacités d’attaque (qui ont permis la destruction de 6 000 roquettes et lanceurs) et de ses défenses (qui ont limité les dégâts causés en Israël par la riposte du Hezbollah), renforçant ainsi la force de dissuasion de l’Etat hébreu.

Peur des élections… et des comptes

A ce stade, qu’attend Netanyahou de plus ? En tant qu’analystes stratégiques, nous nous concentrons généralement sur les facteurs structurels et nous nous gardons d’exagérer le rôle joué par les individus. Mais à ce stade, si Netanyahou continue de rejeter un accord que tout le monde a accepté à l’exception du chef du Hamas, Yahya Sinouar, on peut conclure que le seul obstacle insurmontable à un cessez-le-feu qui ramènerait les otages d’Israël chez eux, c’est la peur de Netanyahou des conséquences pour sa propre personne. Il craint que la fin de la guerre à Gaza n’entraîne l’effondrement de la coalition qui le soutient à la Knesset, déclenchant ainsi de nouvelles élections qu’il pense perdre.

Le Premier ministre sait également qu’après la guerre vient le temps des comptes : selon une tradition israélienne profondément ancrée, une commission de personnalités indépendantes examinera de manière impitoyable les responsabilités personnelles dans l’incapacité à prévenir les attaques du Hamas du 7 octobre, le plus grand échec en matière de sécurité nationale de l’histoire d’Israël. Les dirigeants actuels des agences de sécurité nationale israéliennes ont publiquement reconnu leur responsabilité et leur culpabilité et s’attendent à des jugements sévères. Mais Netanyahou – la personne qui a le plus contribué à l’expansion monstrueuse du Hamas – est resté silencieux sur son rôle.

Des facteurs favorables

Un certain nombre de facteurs ont permis un contexte favorable pour Israël. Tout d’abord, il a vaincu le Hamas. Bien que la campagne militaire ait duré plus longtemps et ait été plus meurtrière que nécessaire, le Hamas a perdu la plupart de ses chefs militaires et plus de la moitié de ses combattants et, en supposant qu’Israël ait tiré les bonnes leçons, il n’est plus en mesure d’organiser quoi que ce soit qui ressemble à l’assaut du 7 octobre.

Deuxièmement, le président américain Joe Biden et son administration ont soutenu Israël, lui fournissant des armes, des munitions et une couverture diplomatique aux Nations unies et ailleurs. Comme l’a déclaré à juste titre Yoav Gallant, le déploiement par Biden de forces américaines dans la région pour dissuader l’Iran est l’exemple le plus important d’aide militaire américaine à Israël depuis la guerre israélo-arabe de 1973. Face aux défis posés par une Chine en pleine ascension en Asie et une Russie qui intensifie sa guerre contre l’Ukraine en Europe, l’actuelle montée en puissance des Etats-Unis au Moyen-Orient ne peut être maintenue indéfiniment.

Troisièmement, malgré les pertes tragiques en vies humaines causées par cette guerre à Gaza, la transformation en cours dans les Etats arabes les plus importants du Moyen-Orient s’est cristallisée le 13 avril, lorsqu’un dispositif multinational de défense aérienne coordonné par les Etats-Unis a mis en échec la plus grande attaque de missiles, de roquettes et de drones de l’Histoire. Sur les plus de 300 armes lancées par l’Iran et les 150 autres déclenchées par ses alliés, aucune n’a atteint sa cible. La riposte chirurgicale d’Israël, le 19 avril, a détruit le système de défense aérien le plus avancé de l’Iran, menacé son infrastructure nucléaire et démontré sa vulnérabilité. Les nations arabes de la région, à commencer par l’Arabie saoudite, considèrent de manière croissante l’Iran comme une plus grande menace pour leur sécurité qu’Israël. Quand la guerre à Gaza sera terminée, l’Arabie saoudite, gardienne des deux lieux saints de l’islam, sera prête à conclure avec les Etats-Unis et Israël un accord semblable aux accords d’Abraham, reconnaissant l’Etat d’Israël et établissant des relations diplomatiques normales dans le cadre des garanties de sécurité des Etats-Unis pour l’Arabie saoudite.

Enfin, la dissuasion israélienne, qui s’était effondrée le 7 octobre et dans les premiers mois de la guerre à Gaza, s’est progressivement rétablie, voire renforcée. Le succès des opérations qui ont éliminé les chefs des branches militaires du Hamas et du Hezbollah (Mohammed Deif et Fouad Chokr), la frappe sur des cibles houthies dans le port d’Hodeida au Yémen, la destruction réussie de tunnels et d’autres voies de transfert d’armes le long de ce que l’on appelle le couloir de Philadelphie entre l’Egypte et la bande de Gaza, l’assassinat du chef politique du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran, les frappes et la défense active réussie contre le Hezbollah – tout cela a démontré l’engagement d’Israël et sa capacité à maintenir une dissuasion supérieure.

Le discours qu’aurait dû prononcer Netanyahou

En pareille position de force, un Premier ministre israélien plus soucieux de la sécurité de son pays que de la sienne pourrait prononcer le discours suivant à l’intention du peuple d’Israël : “Israël a prouvé sa force et sa droiture. Je conduis la nation sur le chemin de la victoire. Le Hamas à Gaza est vaincu et a payé un très lourd tribut pour les crimes du 7 octobre. Les chefs de ses armées terroristes et de celles du Hezbollah ont été éliminés, ce qui prouve une fois de plus qu’il n’y a pas de cachette qui échappe à notre œil vigilant et qu’il n’y a pas d’endroit trop éloigné pour notre long bras. Dix mois plus tard, les objectifs de la guerre ont été atteints. Le Hamas a été démantelé en tant que branche militaire organisée et gouvernement opérationnel et ne peut pas répéter l’opération du 7 octobre. C’est pourquoi nous signons un accord sur les otages qui permettra à nos captifs de rentrer chez eux et à nos morts de bénéficier d’un enterrement digne de ce nom en Israël.

C’est la fin de la guerre, mais pas la fin de la campagne. J’ai conclu un accord avec les Etats-Unis selon lequel tout réarmement du Hamas constituera pour Israël une justification reconnue de la reprise des combats à Gaza. J’espère que l’arrêt de la guerre à Gaza mettra fin aux combats dans le nord, mais nous ne reculerons pas devant la guerre si elle nous est imposée par une réponse significative ou par des attaques continues du Hezbollah et de l’Iran. Nous donnons maintenant une chance à la diplomatie, en mettant en œuvre la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui vise à repousser le Hezbollah au nord du fleuve Litani. Là encore, j’ai convenu avec les Etats-Unis que si la résolution n’était pas mise en œuvre, nous recevrions un soutien total pour le déploiement de Tsahal afin de repousser l’organisation terroriste chiite de la frontière nord et d’affaiblir ses capacités à menacer Israël.

Parallèlement, je propose un accord historique avec l’Arabie saoudite qui entrera en vigueur immédiatement après les élections américaines, avec le soutien bipartisan des démocrates et des républicains. Ensemble, nous nous concentrerons sur l’objectif principal dont je parle depuis vingt ans : arrêter l’armement nucléaire de l’Iran et affaiblir les armes terroristes de Téhéran et de ses mandataires au Moyen-Orient.”

Piège tendu par le Hamas

Malheureusement, au lieu de déclarer une victoire qui permettrait aux Israéliens et aux Américains d’accueillir chez eux les otages qui meurent actuellement dans les tunnels du Hamas, Benyamin Netanyahou est tombé dans le piège tendu par le Hamas et son protecteur, l’Iran. S’il n’accepte pas la victoire maintenant, il continuera sur la voie d’un échec stratégique.

La poursuite de la “victoire totale” par Benyamin Netanyahou signifierait la continuation de la guerre à Gaza au prix de la négligence d’autres adversaires qui représentent désormais une plus grande menace pour Israël que le Hamas. La poursuite des opérations actuelles à Gaza ne conduira pas à la destruction du Hamas, mais entraînera Israël dans une guerre anti-guérilla prolongée et coûteuse et dans une escalade simultanée sur d’autres fronts. Les otages continueront à mourir dans les tunnels du Hamas ; l’économie d’Israël continuera à se détériorer ; son statut dans le monde continuera à tomber au plus bas ; et la bataille juridique devant les tribunaux internationaux s’intensifiera. La stratégie de la “victoire totale” ne fait que servir l’objectif de l’Iran : enliser Israël dans une guerre d’usure ingagnable, jusqu’à l’épuisement.

Cette voie conduira également Israël à un conflit plus aigu avec l’administration Biden, qui perd patience face à l’incapacité israélienne à respecter ses engagements. Washington reconnaît que la poursuite d’une insaisissable “victoire totale” à Gaza provoquera probablement une guerre régionale plus vaste qui pourrait nécessiter une intervention américaine, la dernière chose dont le gouvernement démocrate a besoin dans les dernières semaines précédant l’élection présidentielle du 5 novembre.

Une guerre régionale n’est peut-être pas l’intention de Benyamin Netanyahou, mais c’est la direction que prennent ses actions et son inaction. La guerre prolongée à Gaza alimente des conflits dans six autres régions – l’Iran, l’Irak, le Liban, la Syrie, la Cisjordanie et le Yémen – qui pourraient déclencher une guerre régionale sur plusieurs fronts. Une telle issue est le rêve de Sinouar (et de ses protecteurs iraniens) : la guerre à Gaza enflammerait et unirait ces six autres fronts, créant un cercle de feu autour d’Israël qui le ferait s’effondrer de l’intérieur. Israël n’a pas de stratégie viable pour un tel scénario. En outre, les tensions et les attaques au sein même du pays, le front le plus important de tous, s’intensifient chaque jour : de l’incapacité à faire appliquer la loi, y compris la résistance à l’enrôlement de juifs orthodoxes en âge de servir et les tentatives de saper le système judiciaire, jusqu’aux violations de bases militaires de Tsahal et la violence extrémiste contre les Palestiniens.

Historiquement, Israël a compris que les guerres d’usure sapent sa force (la puissance décisive) et mettent en évidence sa faiblesse (l’endurance). Il doit revenir à sa doctrine de sécurité bien rodée : des guerres courtes en territoire ennemi, la victoire pour chaque campagne militaire, le soutien des Etats-Unis en tant que superpuissance, une coalition régionale pour faire contrepoids à l’axe extrémiste et la focalisation sur ses enjeux internes de construction nationale, de relance économique et du projet sioniste dans son ensemble. Cette stratégie exige la défaite des adversaires et l’élimination des menaces qu’ils représentent.

Deux corridors

Qu’est-ce qui sépare le Premier ministre de ses négociateurs ? Quels termes spécifiques de l’accord de cessez-le-feu à Gaza et d’échange de prisonniers les responsables de la sécurité nationale israélienne sont-ils prêts à accepter, alors que Netanyahou ne l’est pas ? La principale divergence porte sur le retrait des forces israéliennes de Gaza. Depuis que les troupes sont entrées pour la première fois sur le territoire en réponse à l’attaque du 7 octobre, elles ont construit et fortifié deux corridors pour empêcher le Hamas d’importer des armes d’Egypte ou de déplacer des armes entre les zones de Gaza : le corridor Philadelphie, le long de la frontière entre l’Egypte et Gaza et le corridor Netzarim, qui sépare Rafah et le reste du sud du nord. Tous deux sont surveillés en permanence par les services de renseignement israéliens et patrouillés par les troupes de Tsahal. Les chefs du Mossad, du Shin Bet et de l’armée, ainsi que Halevi et Gallant, ont tous convenu qu’Israël pourrait se retirer des deux corridors sans compromettre sa sécurité. Pourtant, Netanyahou rejette ce consensus. Lors d’une récente réunion du gouvernement, les tensions sont devenues si vives qu’à un moment donné, le Premier ministre aurait accusé ses négociateurs d’être “faibles”. Lors d’une réunion hebdomadaire avec les familles des otages, il a répété qu’Israël ne quitterait ni le corridor Philadelphie ni le corridor Netzarim.

Il est possible que Washington insiste sur le fait que cet accord représente une offre à prendre ou à laisser, tant pour Israël que pour le Hamas. Pour Netanyahou, il s’agirait d’un scénario gagnant-gagnant : si Sinouar accepte l’accord, il apportera à Israël tous les avantages mentionnés ci-dessus. Si le chef du Hamas le rejette – une possibilité très réelle –, Netanyahou en sortirait avec un soutien américain renforcé pour la poursuite de l’action contre le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban.

Animal politique

Après avoir échoué à le faire au cours des trois mois qui se sont écoulés depuis que Joe Biden a exposé son plan actuel, pourquoi y a-t-il une raison d’espérer que Netanyahou choisira la victoire qui lui est offerte aujourd’hui ? Il est avant tout un brillant animal politique qui sait comment survivre, ce qui lui a permis de devenir le Premier ministre le plus ancien de l’histoire d’Israël. Il devrait reconnaître que, plutôt que de poursuivre sur la voie de la défaite finale pour lui-même et son pays, il est dans son intérêt d’accepter dès maintenant la première étape de l’accord, à savoir le retour des otages en échange d’un cessez-le-feu de six semaines, et de prendre le risque de voir ses options s’améliorer au fur et à mesure que d’autres pièces de l’échiquier se déplaceront en réponse.

La Knesset est en vacances jusqu’au 27 octobre, ce qui signifie que les deux blocs d’extrême droite qui ont menacé d’abandonner et donc de détruire la coalition de Netanyahou seraient dans l’incapacité de le faire pendant près de deux mois. Si la première phase du cessez-le-feu devait être rompue, incitant les forces de Tsahal à reprendre les combats à Gaza, ces partis rejoindraient probablement la coalition de Netanyahou. Mais si l’accord parvient à atténuer les tensions régionales (en veillant à ce que ni le Hezbollah ni Téhéran n’optent pour de nouvelles représailles), à ramener les otages israéliens chez eux et à permettre la normalisation avec l’Arabie saoudite, la position de Netanyahou dans les sondages pourrait être suffisamment forte pour qu’il déclare sa victoire et convoque de nouvelles élections qu’il aurait de bonnes chances de remporter.

Israël a toujours été, et restera dans un avenir prévisible, une nation assiégée. Comme l’a souligné avec sagesse l’ancien Premier ministre David Ben Gourion, le destin du pays “dépend de deux choses : sa force et sa droiture”. Il savait que sans une défense forte et efficace contre les menaces qui l’entourent, Israël serait rayé de la carte. Mais il reconnaissait également la nécessité de défendre les valeurs de justice et de liberté qui sont le fondement de l’identité et de la légitimité d’Israël en tant qu’Etat démocratique juif.

Quelle que soit la paix qu’Israël parviendra à établir avec les sept millions de Palestiniens avec lesquels il partage la terre du fleuve à la mer, ainsi qu’avec les centaines de millions d’autres Arabes et musulmans qui vivent dans la région, il s’agira toujours d’une paix armée. Mais Israël ne peut pas survivre s’il est engagé dans des guerres interminables et ingagnables avec ses voisins, surtout s’il est confronté à la menace existentielle d’une République islamique d’Iran dotée de l’arme nucléaire. Sa survie exige non seulement une puissante force de dissuasion, mais aussi la volonté de créer des conditions politiques dans lesquelles ses voisins jugeront préférable de vivre avec Israël plutôt que de le combattre. Le choix auquel est confronté Benyamin Netanyahou aujourd’hui est en fin de compte celui de faire un grand pas vers cet avenir.

* Graham Allison est professeur à Harvard et l’auteur du best-seller Vers la guerre (Odile Jacob, 2019). Amos Yadlin est général à la retraite et a dirigé les renseignements militaires israéliens entre 2006 et 2010. Il préside aujourd’hui le centre de conseil en stratégie Mind Israël. Cet article vient de paraître en version originale dans le magazine Foreign Affairs. © 2024 Foreign Affairs. Distributed by Tribune Content Agency.




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