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Déficit public : la bataille des chiffres entre Bercy et les collectivités locales


“On laisse à nos successeurs les dernières prévisions actualisées pour qu’ils puissent agir. Une chose est sûre, il y a alerte rouge sur les collectivités”. Quelques jours avant la nomination de Michel Barnier à Matignon, un conseiller de Gabriel Attal confiait à L’Express ses inquiétudes quant à la mauvaise tenue des finances locales. Le même jour, le ministre démissionnaire Bruno Le Maire envoyait un courrier aux rapporteurs généraux et aux présidents des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat dans lequel il s’alarmait de la dérive des dépenses des collectivités territoriales qui “pourrait à elle seule dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros”. Si le scénario se confirme, la trajectoire budgétaire du gouvernement Attal serait mise en péril.

Une récente note du Trésor estime que le déficit public pourrait atterrir à 5,6 % du PIB cette année, au lieu des 5,1 % visés. La faute, en partie, au solde public déficitaire des collectivités, mais aussi à des recettes fiscales de l’Etat moins élevées qu’espéré. Mis en cause, les “territoires” se défendent. “Il est invraisemblable qu’un ministre pointe notre responsabilité”, estime, incrédule, François Sauvadet, le président du Conseil départemental de Côte-d’Or et de l’Association des départements de France. “Cela fait des mois que j’attire l’attention du gouvernement, qui est resté indifférent à mes alertes. Il a fallu que la Cour des comptes publie un rapport pour qu’il tende une oreille”, regrette l’ancien ministre. Selon lui, 30 % des départements sont dans une situation de quasi-faillite, à cause de “l’explosion de la dépense sociale et d’une chute de leurs ressources”.

“C’est du jamais-vu”

Les craintes se sont intensifiées dès le début du mois d’août, après la publication par la Direction générale des Finances publiques de sa traditionnelle note sur la situation mensuelle comptable des collectivités locales. Ce document rapporte que leurs recettes progressent moins vite que leurs dépenses de fonctionnement sur un an, provoquant une baisse significative de l’épargne brute (- 11 % en juillet). Quant aux dépenses d’investissement, financées par l’emprunt, elles ont augmenté de 13 %.

“On a, objectivement, jamais vu une telle dégradation”, commente-t-on à Bercy, qui prévoit que le déficit des collectivités locales pourrait doubler et atteindre 0,8 % du PIB d’ici la fin de l’année. “Il y a effectivement une augmentation des dépenses, qui est liée à la conjoncture, reconnaît Philippe Laurent, le vice-président de l’Association des maires de France. Et les édiles ne veulent pas diminuer le niveau de service.” Le maire de Sceaux tempère néanmoins la mise en garde gouvernementale : la situation financière n’est, selon lui, “absolument pas dramatique” : “Si les collectivités décident de ne plus investir, on continuera à fonctionner. Mais nos infrastructures continueront de se dégrader : l’eau, la voirie, les bâtiments publics…”

Les limites de la décentralisation

S’agirait-il d’une tentative de diversion de la part de Bercy, alors que l’Etat est loin d’être exempt de tout reproche en matière de gestion des finances publiques ? “Il y a tout de même un paradoxe à viser les collectivités territoriales pour justifier de la dégradation des comptes… L’Etat leur en demande de plus en plus, tout en leur intimant de faire des efforts financiers”, rappelle Xavier Cabannes, professeur de droit public à l’université Paris Cité. “Beaucoup de ces dépenses résultent d’obligations nouvelles que le gouvernement et le Parlement ont mis à la charge des collectivités ces dernières années : environnement, petite enfance, transports, sécurité, normes techniques, etc.”, ajoute son confrère de l’université de Lille, Aurélien Baudu.

De plus, en 2023, le déficit des administrations publiques locales ne pesait que pour 6 % environ dans le déficit public, contre plus de 90 % pour celui de l’Etat. “Le dérapage de l’un contribue au dérapage de l’autre, cela ne sert à rien de se renvoyer la patate chaude. L’Etat ne peut pas tout réguler. Néanmoins, la décentralisation a atteint un certain nombre de limites”, estime le député Éric Woerth, auteur d’un rapport sur la question au mois de juin. Il y a quelques mois, Bruno Le Maire avait déjà enjoint les collectivités territoriales à faire des économies. “Bercy avait un espoir : que le décret d’annulations de crédits de 10 milliards d’euros envoie un signal de contrainte pour revenir à une gestion budgétaire maîtrisée. Cela n’a pas marché”, raconte un conseiller ministériel. Le nouveau gouvernement saura-t-il mettra fin à ce dialogue de sourds ?




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