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X, le fiasco économique d’Elon Musk : “Les marques n’aiment pas les lieux de polémique”

L’art de se tirer une balle dans le pied. En allant au clash avec le juge Alexandre de Moraes, au Brésil, ces derniers jours, Elon Musk a peut-être galvanisé ses fans. Mais avec la suspension de X dans le pays, le milliardaire perd surtout un marché de plusieurs dizaines de millions d’utilisateurs. Un fiasco économique dont le réseau social, anciennement connu sous le nom de Twitter, se serait bien passé.

Si X ne publie plus ses bilans financiers, étant devenue privée, sa situation n’est guère riante. Sur son principal marché, les Etats-Unis, le New York Times informe d’une chute de son chiffre d’affaires annuel de 53 % au deuxième trimestre aux Etats-Unis (-25 % par rapport au premier trimestre). Twitter a toujours extrait la très grande majorité de ses revenus des publicités présentes sur le réseau social. Un modèle économique similaire à celui de Facebook ou bien de YouTube, qui se caractérisent eux aussi par un accès gratuit. Or, sous X, la relation avec les annonceurs s’est considérablement dégradée. Un symbole : en novembre dernier, Elon Musk a dit à l’un des plus gros clients, Disney, “d’aller se faire foutre”.

Le coup de sang intervenait après des mois de modération laxiste sur X, laissant passer toujours plus de propos complotistes et haineux. Une situation qui a fait fuir de la plateforme le roi de l’animation, au même titre qu’IBM ou Apple. “Les marques n’aiment pas les lieux de polémique et de débat, qui ne sont pas propices à la consommation”, rappelle Cyril Vart, partenaire chez EY Fabernovel. La nomination comme PDG de Linda Yaccarino, une pro de la pub passée par la prestigieuse chaîne NBC, quelques mois plus tôt, n’a pas non plus enrayé l’exode entamé dès la prise de pouvoir de Musk, fin octobre 2022.

La moitié des plus gros annonceurs aurait depuis déserté. Et la situation continue de se tendre. Selon la société spécialisée dans la publicité, MediaRadar, les marques toujours présentes ont dépensé 24 % de moins sur X au premier semestre 2024, par rapport à celui de 2023. “Maintenant, c’est la guerre”, a posté Elon Musk sur son fil, début août, alors que son bras droit Linda Yaccarino officialisait le lancement d’une action en justice contre une poignée d’annonceurs accusés de boycotter le réseau. “Une très mauvaise stratégie qui pourrait effrayer un peu plus le secteur”, souffle Cyril Vart. Dans une étude publiée jeudi 5 septembre, Kantar, un des leaders mondiaux de l’étude de marché, prédit à X en 2025 “le plus grand recul enregistré par une grande plateforme publicitaire mondiale”. Environ 26 % des spécialistes du marketing pourraient à nouveau y réduire leurs dépenses.

Diversification

Acheté au prix fort de 44 milliards de dollars pour “libérer la liberté d’expression”, cet outil politique récemment mis au service du candidat républicain à la Maison-Blanche Donald Trump a perdu une bonne partie de sa valeur. Fin 2023, celle-ci était officiellement tombée à 19 milliards de dollars. Elle serait désormais d’environ 12 milliards, en chute de 72 % d’après les estimations publiées en fin de semaine dernière du gestionnaire d’actifs Fidelity, et réalisées sur la base de son propre investissement.

La valorisation de X est en chute libre depuis le rachat par Elon Musk.

Même si le préjudice n’est encore que “virtuel”, les banques à l’origine du prêt de 13 milliards ayant permis de finaliser l’opération ont affirmé au Wall Street Journal qu’il s’agit déjà pour elles de la pire “affaire” depuis la crise financière de 2008. L’incapacité à vendre cette dette empêche ces établissements de concrétiser d’autres prêts ou des acquisitions, et va jusqu’à amputer la rémunération des banquiers. A eux, difficile de dire d’aller se faire voir. Musk risque de devoir remettre la main à la poche, pourquoi pas en vendant des actions Tesla, anticipe le média Fortune, afin d’éponger ses pertes. Soit engager un peu plus son propre “empire”, lui l’homme le plus riche du monde, détenteur de firmes telles que Space X dans le spatial ou Starlink dans les télécommunications. Une stratégie qui n’est pas sans danger – ses conseils d’administration peuvent lui demander des comptes – mais fait gagner un peu de temps.

“Une restructuration de l’entreprise, conduisant à une baisse de ses coûts, et une diversification profonde des revenus de X a été entamée par Musk, dont on ne connaît pas les réussites présentes et futures”, nuance Julien Pillot, économiste expert du numérique et enseignant-chercheur à l’Inseec Business School. L’ingénieur-star rêve que X devienne une “super-app”, intégrant du paiement, des fonctionnalités d’intelligence artificielle via Grok et une pléiade d’autres commodités. Une bonne chose, sur le papier. “Plus aucune plateforme, des réseaux sociaux aux médias, en passant par le streaming vidéo ne peut reposer uniquement sur la publicité ou du tout payant. Les deux modèles doivent coexister”, souligne Michael Mansard, spécialiste de l’économie de l’abonnement chez Zuora. Tout n’est donc pas perdu.

Bluesky, Threads… La concurrence est là

Reste que la mise en pratique s’avère compliquée. Son premier service “premium”, matérialisé par une coche bleue – un recyclage des anciennes coches d’authentification -, en est l’illustration. Un récent ouvrage publié outre-Atlantique, Character Limit : How Elon Musk Destroyed Twitter, a détaillé la naissance quelque peu chaotique de cette offre, jusqu’à son prix – 8 dollars par mois – décidé par le roi Musk en personne, sur la seule base d’une consommation au royaume du latte Starbucks. En somme : rien de très sérieux. “Les fonctionnalités associées ne justifient pour l’heure pas ce tarif”, confirme Michael Mansard. L’an passé, les travaux d’un chercheur sur la plateforme ont permis d’identifier seulement 1 % d’utilisateurs convertis en abonnés. Souvent enclin à l’auto-satisfaction, Musk n’a jamais vraiment vanté le succès de son service, et en avril, l’a distribué gratuitement à des comptes suivis par des membres premium, afin de les convaincre d’y adhérer.

La marge de manœuvre de Musk, que ce soit dans la publicité ou l’abonnement, s’amenuise de jour en jour. Le réseau social dispose d’environ 250 millions d’utilisateurs actifs quotidiens dits monétisables, en légère hausse de 1,6 % au 2e trimestre 2024 (elle était de 3,9 % l’an passé à la même date), selon des données extraites par le Financial Times. Avant le rachat, la tendance était plutôt à deux chiffres. Les scandales et les querelles politiques, comme au Brésil ou avec le commissaire européen Thierry Breton – qu’il a également insulté – ainsi que les sorties personnelles de Musk, ne plaisent à l’évidence pas à tous les internautes. Divers médias et personnalités politiques qui peuplaient autrefois la plateforme, comme la maire de Paris Anne Hidalgo, ont d’ailleurs annoncé s’en retirer définitivement.

Surtout, des substituts ont émergé, comme Bluesky, du fondateur de Twitter Jack Dorsey, ou bien Threads, lancé par Meta. C’est d’ailleurs sur ces deux réseaux qu’ont atterri des millions de Brésiliens ces dernières heures, ont indiqué les journaux locaux. “Si on écoute Elon Musk, Twitter est incontournable. S’il reste très puissant, la réalité, c’est qu’il ne l’est plus”, assène Cyril Vart. Ça, les annonceurs dont dépend X semblent également l’avoir compris.




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