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Caroline Fourest et MeToo : 50 nuances de la “nouvelle révolution sexuelle”


En 2020, Caroline Fourest publiait le précurseur Génération offensée, alertant sur les tendances liberticides de ce qu’on ne nommait alors pas encore le wokisme. Dans Le Vertige MeToo, la journaliste et réalisatrice examine avec un même souci des nuances la “nouvelle révolution sexuelle” qui a bouleversé nos sociétés depuis 2017. Le terme “vertige” n’a rien d’anodin. Comme le souligne la directrice de l’hebdomadaire Franc-Tireur, l’accélération de la libération de la parole, favorisée par les réseaux sociaux, peut donner le tournis. Après des années de silence protégeant les coupables, la multiplication des accusations a permis d’exposer des violeurs, agresseurs et harceleurs, mais elle a aussi, au passage, sacrifié des innocents et donné lieu à des condamnations hâtives sur la place publique.

Pour Caroline Fourest, depuis l’apparition du hashtag #MeToo, nous sommes brusquement passés d’une “société de l’honneur” à celle “de la pureté”. Dans la première, la honte repose sur les femmes, ce qui fait le jeu des prédateurs. Un viol est une double peine, puisqu’il s’accompagne d’un déshonneur qui retombe sur la victime et sa famille. A l’inverse, dans une société de la pureté, les victimes sont placées sur un piédestal et leur parole a valeur de vérité, quitte à “enfermer dans le même sac MeToo” un inceste ou un viol et des propositions sexuelles maladroites.

“Troussage de domestique”

Comment en sommes-nous arrivés là ? L’essayiste, qui connaît bien l’histoire du féminisme, rappelle que la libération de la parole a débuté un demi-siècle avant MeToo. En France, en 1970, Emmanuèle de Lesseps (un pseudonyme) raconte dans la revue Partisans son agression par un étudiant en droit. La prise de conscience sera lente, mais très vite, les contradictions affleurent. En 1973, lorsqu’une militante féministe ose dénoncer le viol par un immigré noir, des camarades révolutionnaires lui demandent de se taire pour ne pas faire le jeu du racisme. Une même intimidation que rencontrera Caroline Fourest en dénonçant l’islamiste Tariq Ramadan.

En France, en 2011, la chute d’un favori à l’élection présidentielle, Dominique Strauss-Kahn, est encore analysée sous l’angle du puritanisme américain et du “troussage de domestique”. Mais le séisme ne pouvait venir que d’Hollywood. En 2017, les enquêtes du New York Times et du New Yorker sur le producteur Harvey Weinstein déclenchent une déflagration mondiale, sous la bannière #MeToo. La journaliste Sandra Muller lui donne une réplique française, #BalanceTonPorc, avant de livrer à la meute numérique le nom d’un patron de chaîne. Qu’importe si la sortie graveleuse de cet homme est très loin du cas Weinstein…

Lignes de conduite

Avec finesse, Caroline Fourest dissèque plusieurs affaires emblématiques, de Nicolas Hulot à Roman Polanski en passant par Gérard Depardieu, Adrien Quatennens ou le “procès de Moscou” subi par la productrice Juliette Favreul, finalement relaxée par la justice… Excellente guide, la journaliste développe des lignes de conduite pour tenter de trouver son chemin entre les tempêtes médiatiques. S’il ne faut plus séparer l’homme de l’artiste (et prétexter du “génie” pour fermer les yeux sur des agressions), il est en revanche essentiel de continuer à séparer l’homme de l’œuvre, en ne censurant jamais cette dernière. Si plusieurs victimes accusent un homme d’agressions sexuelles graves et répétées et osent porter plainte, il n’y a généralement pas “de fumée sans feu”. En revanche, méfions-nous des instrumentalisations politiques, à l’image de Julien Bayou, ancien secrétaire national d’EELV accusé de “violences psychologiques” par sa rivale Sandrine Rousseau, et qui a fini par démissionner du parti.

Prenons également garde à ne pas juger d’un MeToo selon nos propres biais idéologiques, ou en fonction de l’identité de l’accusé. Caroline Fourest s’étonne ainsi que le réalisateur Ladj Ly, condamné pour une séquestration à caractère machiste, n’ait de loin pas suscité les mêmes indignations qu’un Polanski. Le livre démonte également le cliché d’un supposé “retard français”, soulignant que les Etats-Unis vont peut-être réélire un homme, Donald Trump, qui s’est vanté d’attraper les femmes “par la chatte”, tandis que le féminisme est en progression spectaculaire chez nous.

Nulle nostalgie chez cette progressiste universaliste, qui préfère largement vivre dans ce “nouveau monde” que sous “l’ancien régime patriarcal”. Son livre exerce simplement un indispensable droit d’inventaire pour protéger cette révolution de ses excès, afin qu’elle ne finisse pas en Terreur ou suscite un retour de bâton réactionnaire. C’est aussi un vibrant plaidoyer pour que le féminisme continue à fabriquer des “guerrières, et pas seulement des victimes”.

Le Vertige MeToo, par Caroline Fourest. Grasset, 314 p., 22 €. Parution le 11 septembre.




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