La plupart des parents d’élèves ont déjà entendu parler des évaluations nationales organisées en ce début d’année dans les écoles, les collèges et les lycées. Nouveauté annoncée en cette rentrée 2024 : tous les niveaux de l’école élémentaire sont désormais concernés, soit les classes allant du CP au CM2. De quoi faire bondir certaines organisations syndicales enseignantes, vent debout contre cet outil remis au goût du jour par l’ancien ministre Jean-Michel Blanquer en 2017, dès son arrivée rue de Grenelle.
“Nous n’avons pas besoin d’évaluations nationales standardisées pour conduire une politique éducative et pour faire évoluer les élèves”, expliquait Guislaine David, la co-secrétaire générale du SNUipp-FSU lors d’une conférence de presse le 26 août dernier. Le syndicat, majoritaire dans le premier degré, se joint à la CGT Educ’action et à SUD Education pour annoncer un préavis de grève le 10 septembre prochain en guise de protestation. Les mêmes arguments reviennent chaque année : ces tests seraient “sources de stress pour les enfants”, “chronophages pour les professeurs” et porteraient “atteinte à leur liberté pédagogique”. Autant d’idées reçues, selon Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS et membre du Conseil scientifique de l’Education nationale pour qui ces évaluations représentent au contraire une chance pour les élèves comme pour les enseignants.
L’Express : Cette fronde de certains syndicats enseignants contre les évaluations nationales vous étonne-t-elle ?
Franck Ramus : Non, malheureusement c’est une constante. Voilà des années que les syndicats enseignants s’élèvent contre cet outil pourtant extrêmement utile et même essentiel. Tout comme ils sont globalement opposés aux productions de données qui permettent d’évaluer la qualité du système scolaire, ses failles et ses progrès. Comme s’ils préféraient que l’on reste dans le flou, que l’on évite de regarder ce qui fonctionne ou pas en termes de pédagogie et de méthodes. J’avoue avoir du mal à comprendre.
L’une de mes hypothèses est que cela donne aux enseignants une charge de travail supplémentaire puisqu’on leur demande de saisir les résultats des élèves sur une plateforme en ligne dédiée. Cette tâche prend bien sûr du temps et devrait, selon moi, être récompensée par une prime comme cela avait été évoqué à un moment donné. Je vois dans cette opposition une autre raison, plus idéologique cette fois : certains enseignants craignent d’être eux-mêmes jugés et évalués en fonction des résultats obtenus par leurs élèves. Or ce n’est pas du tout le but de la démarche, et l’expérience a montré que ce n’est absolument pas le cas.
A quoi servent ces évaluations qui auront lieu en ce début d’année dans toutes les classes de primaire et en partie au collège ?
D’abord, précisons que cet outil n’est pas vraiment nouveau. Après avoir un temps été plus ou moins abandonné, il a été réhabilité par Jean-Michel Blanquer, lors de son arrivée à la tête du ministère en mai 2017. A peine installé rue de Grenelle, ce dernier a annoncé la mise en place d’évaluations nationales en début de CP dès la rentrée suivante. Le délai était malheureusement très court et tout s’est fait dans la précipitation. La première tâche du Conseil scientifique de l’Education nationale, nommé dans la foulée par Jean-Michel Blanquer, fut donc de repenser ces tests pour l’année d’après afin qu’ils collent mieux à leur vocation première : permettre de détecter, le plus tôt possible, les difficultés rencontrées par certains élèves afin que leurs enseignants puissent les aider au mieux.
On a très vite compris l’importance d’instaurer d’autres phases d’évaluation, en milieu d’année de CP puis en début de CE1 pour mesurer, notamment, les progrès en lecture. De nombreuses recherches internationales démontrent l’importance d’agir très vite dans ce domaine-là. On sait désormais que les élèves qui tardent à maîtriser les bases du décodage auront beaucoup de mal à rattraper leur retard par la suite.
Ces tests ont-ils justement permis d’améliorer le niveau des élèves de CP en lecture ?
Malheureusement, leur impact est impossible à prouver puisque ces évaluations ont été mises en place partout et au même moment. Pour mesurer leur efficacité, il aurait fallu faire une comparaison entre des écoles qui y ont recours et d’autres comparables où cela n’est pas le cas. On se heurte là à un défaut récurrent de la politique éducative à la française qui consiste à appliquer une mesure immédiatement et sur tout le territoire sans passer par une phase d’expérimentation contrôlée. C’est un vrai problème !
Le dernier exemple en date est celui du port de l’uniforme, adopté dans certains établissements cette année. Même si des améliorations sont constatées plus tard en termes de résultats ou de climat scolaire, on ne saura jamais si celles-ci sont directement liées à l’uniforme. Là encore, il aurait fallu procéder à une comparaison entre un groupe contrôle et un autre qui applique cette politique, en tirant au sort les établissements volontaires entre les deux groupes.
Beaucoup d’enseignants craignent que le fait d’évaluer les enfants et les adolescents en début d’année engendre chez eux beaucoup de stress et d’anxiété. N’est-ce pas le cas ?
Tout dépend de la façon dont on leur présente les épreuves. Évidemment, un professeur qui dit : “attention, aujourd’hui on va procéder aux évaluations nationales, il va vous falloir être très performants car c’est très important”, va générer du stress. Les enseignants ont pour consigne de dédramatiser et de n’en faire aucun enjeu. D’ailleurs, les résultats obtenus n’apparaissent pas sur les bulletins scolaires et les élèves n’ont même pas à les connaître. Les parents non plus, sauf s’ils en font spécifiquement la demande. On entend aussi beaucoup parler du risque de stigmatisation de certains enfants. Mais, là encore, tout est dans la communication : il ne faut évidemment pas dire à des élèves à qui on donne des exercices différenciés en fonction de leurs difficultés que c’est à cause de leur faible performance ou qu’il s’agit d’une punition.
Autre critique récurrente : ce dispositif empièterait sur la liberté pédagogique des professeurs. D’ailleurs beaucoup disent être tout à fait capables d’évaluer eux-mêmes leurs élèves…
Ils se trompent en partie. S’ils sont bien sûr capables d’évaluer leurs élèves sur la base d’exercices, aucun de ces tests ne leur dira comment ces derniers se situent par rapport aux attendus nationaux et à la classe d’âge concernée. Les épreuves, mises en place par la Depp (NDLR : service statistique de l’Education nationale) sont beaucoup plus fiables et fournissent aux enseignants des points de repères nationaux, ce qui me semble très important.
Certains peuvent être satisfaits du niveau de leurs élèves alors que celui-ci est très en deçà des attendus nationaux. Et inversement, d’autres peuvent se montrer exagérément exigeants sans forcément se rendre compte qu’ils sont très au-dessus de la moyenne nationale. Encore une fois, pourquoi vouloir se priver de ces points de comparaison qui sont une chance aussi bien pour les élèves que pour les enseignants ? La liberté pédagogique ne réside pas tant dans le choix de tests que dans la réponse pédagogique que les enseignants vont apporter aux résultats des tests.
Ce dispositif est-il perfectible ?
Oui, il y a une question sur laquelle nous devons encore travailler au Conseil scientifique de l’Education nationale : comment aider les enseignants à exploiter les résultats obtenus et à intervenir de manière efficace au bénéfice des élèves en difficulté ? Je pense que le manque d’adhésion et l’incompréhension exprimée par une partie de la profession vient sans doute de là. Certains professeurs, une fois les résultats obtenus, mettent spontanément en place des solutions, tandis que d’autres se sentent plus démunis. D’où l’importance de mettre l’accent sur la formation continue, un autre enjeu crucial.
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