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Matignon : après la déception, Bernard Cazeneuve n’a pas dit son dernier mot


Bernard Cazeneuve ne demande rien, c’est son dandysme à lui. Il y a dix ans son vieil ami Jean-Paul Bacquet, député socialiste du Puy-de-Dôme, lui prédisait déjà un avenir de Premier ministre. “Ça n’existe pas, c’est de la carabistouille”, avait objecté celui qui le deviendra pourtant deux ans plus tard, en 2016. Quand François Hollande le lui a proposé, il n’a fait qu’accepter la mission que le président de la République lui confiait, mais jamais il ne s’est battu pour quelconques maroquins. “Il y a assez de narcisses en politique pour que l’on évite d’être narcisse avec les roses”, avait-il confié un jour à L’Express. Il n’a donc pas remarqué les silences du président tandis qu’à Paris et au-delà bruisse la rumeur de sa nomination prochaine à Matignon.

Il n’a pas remarqué mais il s’en étonne. Discrètement. “Que vous disent-ils à l’Elysée ?” ose-t-il à voix basse quand il croise des amis susceptibles de posséder des bribes d’information sur l’état d’esprit d’Emmanuel Macron. Devant Aurélien Rousseau, son ancien directeur de cabinet entre 2016 et 2017, il ergote : “Je n’y crois absolument pas. Il ne me nommera pas.” L’été, pour l’ancien Premier ministre, a été douloureux sur un plan personnel, et les murmures sur son possible retour rue de Varenne l’ont tourmenté.

Alors, c’est humain, il veut comprendre ce que cet insaisissable président a en tête. Le rendez-vous que ce dernier lui donne enfin devrait être l’occasion d’en apprendre davantage. Sans doute le ponctuel Cazeneuve songe-t-il que 8 h 45 a tout de l’horaire idéal qui lui épargnera de subir les retards devenus célèbres du chef de l’Etat. La discourtoisie n’épargne pas les présidents. C’est avec vingt-cinq minutes de retard qu’Emmanuel Macron rejoint son aîné.

Vingt-cinq minutes qui ne lui ont manifestement pas servi à clarifier sa pensée et ses attentes. Conversation sur la situation politique, discussion sobre, cherche-t-il un Premier ministre ou un stratège ? Au moins Bernard Cazeneuve peut-il préciser un point important : il ne faut pas croire tout ce qu’on raconte, il ne plaide pas pour l’abrogation de la réforme des retraites. Il préfère la dentelle, qui sous ses doigts devient la combinaison du taux pivot et de la durée de cotisations. L’ancien locataire de Beauvau connaît par cœur son petit Macron illustré, il perçoit probablement les tergiversations de son drôle d’interlocuteur et pressent que pour Matignon, il n’est – pour l’heure – pas le favori.

“Tout sauf Cazeneuve”

De qui serait-il le favori d’ailleurs ? Lui qui a le sens de l’Etat et la bienséance politique chevillés au corps sait que ces moments si politiques sont le lit des basses œuvres, de la politique qu’il n’aime pas, celle des coups de mentons et des parties de poker menteur. Voit-il qu’Emmanuel Macron se joue de lui ? Entre les quatre murs du salon vert, ce même jour, le président de la République lui confie avoir eu Olivier Faure au téléphone quelques jours plus tôt. Le Premier secrétaire a promis, raconte l’hôte, qu’il ne censurerait pas… Xavier Bertrand, l’autre soupirant à Matignon. Coup dans l’estomac. Les socialistes l’auraient donc définitivement abandonné, trahi même.

Qui croire alors ? Son ami Guillaume Lacroix ? Le leader du Parti radical de gauche a également bavardé avec le président. C’était une semaine avant, le 23 août. Macron interroge Lacroix sur Xavier Bertrand. “Ça ne se pose pas puisque Laurent Wauquiez n’en veut pas”, réplique le radical de gauche, devant le chef de l’Etat qui acquiesce : Wauquiez lui a dit la même chose, et Faure aussi à propos de Cazeneuve. Le premier secrétaire l’assure pourtant à L’Express : “J’ai toujours dit que nous censurerions de manière immédiate Xavier Bertrand”, martèle-t-il, jurant n’avoir jamais échangé secrètement avec Emmanuel Macron.

Bernard Cazeneuve n’a cure des promesses des uns, des magouilles des autres. Il a compris avant tout le monde qu’Emmanuel Macron n’avait jamais eu l’intention de le nommer. Il raconte en privé qu’Olivier Faure a déployé de l’énergie pour manifester son hostilité. QuandL’Opinion révèle début septembre que le patron du Conseil économique social et environnemental Thierry Beaudet a les faveurs du Château, Faure ne dit pas non. “Olivier était tenté par cette idée et le gouvernement technique”, admet un député socialiste.

Il n’a pas non plus échappé à Bernard Cazeneuve qu’entre le 2 et le 4 septembre, alors que l’hypothèse d’aller à Matignon n’est pas complètement éteinte, le premier secrétaire du PS pousse une autre option que la sienne : Laurent Berger, qui a déjà dit non à Emmanuel Macron fin août et en a même informé Cazeneuve. “Il a lui-même dit qu’il était prêt à être un facilitateur”, pilonne Faure devant les députés PS. Il téléphone à l’intéressé, qui rechigne, à François Hollande et même au président de la République le mercredi 4 septembre pour plaider en faveur de l’ancien leader syndical, ont d’ailleurs rapporté Les Echos. “Au PS, c’est tout sauf Cazeneuve”, s’étrangle l’entourage de l’ancien ministre. Une énième preuve des manœuvres de Faure, croit-il. Il l’a entendu parler de sa chimérique nomination comme d’une “anomalie”.

La colère monte parfois au nez de Cazeneuve. “Olivier a commis une faute politique”, admettent plusieurs députés PS. Les amis de Faure se défendent de toute malfaisance. “Cazeneuve n’a pas envoyé le moindre émissaire nous parler. On ne sait rien de ce qu’il souhaitait, de ce qu’il pensait du programme du Nouveau Front populaire”, martèle l’entourage du chef des roses, et ironise : “Le seul homme de gauche qu’il a soutenu aux législatives, c’est en réalité un MoDem : Olivier Falorni [NDLR : ex-PS] !” Ni le chef de file des députés PS Boris Vallaud ni celui des sénateurs PS Patrick Kanner – qui l’a longtemps soutenu ces dernières années – n’auront reçu un appel de l’ancien Premier ministre.

“C’est à toi d’y aller”

Si Cazeneuve renâcle, c’est qu’ils l’ont tous déçu, ces mêmes socialistes qui ont laissé s’organiser “un lynchage”, comme il le déplore à ses visiteurs, de Karim Bouamrane – le maire PS de Saint-Ouen dont le nom a été cité pour Matignon – et de lui-même par l’ancienne insoumise Clémentine Autain à Blois lors de l’université de rentrée du PS. Il leur reproche de n’avoir jamais vraiment réagi aux attaques de La France insoumise et des écologistes qui l’accusent depuis des années de la responsabilité de la mort de Remi Fraisse à Sivens, qu’importe le non-lieu de la justice, confirmé en 2021, qu’importe son mea culpa dans un livre A l’épreuve de la violence (Stock, 2019) où il décrit le décès du militant comme “une tragédie et un échec” et raconte ses larmes. Ils ont fait de lui un nouveau Jules Moch, du nom de ce ministre de l’Intérieur que les communistes et l’extrême gauche ont qualifié “d’assassin” et de “matraqueur d’ouvriers”. “Les socialistes laissent faire”, se désole un compagnon de route de Bernard Cazeneuve.

Les amis en politique, ça n’existe pas. Tout juste a-t-on quelques bons compagnons, pensait François Mitterrand. François Hollande est-il un pote ou un camarade ? On fait confiance au premier un peu trop facilement, de l’autre il faut parfois se méfier. Le 12 août, sur les hauteurs de Tulle en Corrèze, c’est l’ami Cazeneuve qui est invité à trois jours de ripailles pour les 70 printemps de Hollande, comme l’a narré La Tribune Dimanche. Benjamin Biolay, Sophia Aram, Jean-Pierre Jouyet, Michel Sapin… On croise du beau monde. Sur les bords de la piscine, conversation politique en aparté autour de François Hollande. La presse commence à jaser de l’hypothèse Cazeneuve à Matignon. “Que comptes-tu faire, Bernard ?” interroge l’hôte corrézien. “Si on a une vision à court terme, la gauche n’a pas d’intérêt à y aller. Sinon, il le faut”, analyse Cazeneuve, mais Hollande le coupe : “Si nous voulons être la gauche qui gouverne, c’est à toi d’y aller.”

Les semaines passent, l’option Cazeneuve s’impose au fil du mois d’août. Même François Bayrou soutient l’idée auprès d’Emmanuel Macron, mais François Hollande sonne d’autres cloches. L’ami, qui publie son nouveau livre sur l’histoire de la gauche, livre ses premiers mots de la rentrée au Point et y dénonce “la faute institutionnelle” du chef de l’Etat qui a éconduit Lucie Castets. “Tout aurait dépendu du compromis qu’elle aurait été capable de concéder aux autres groupes parlementaires. Si elle n’y était pas parvenue, l’émergence d’une solution alternative aurait acquis alors une légitimité plus forte.” Pas un mot sur son ami Cazeneuve.

“C’est un talent qui attend son heure”, avait écrit Hollande à son sujet un jour, mais quand l’heure sonne, où sont les amis ? “Il a refusé absolument toute démarche tactique au sein du PS, or il le fallait”, se désespère encore un député socialiste, soutien de Cazeneuve. A cet élu, à d’autres, à Aurélien Rousseau aussi et à François Hollande surtout, il leur reproche d’avoir fait “un pas de trop” en défendant Lucie Castets. Et eux lui répondent, presque tous en chœur : “Pour que puisse émerger une solution Cazeneuve, il fallait que l’hypothèse Castets aille à son terme, que l’on constate l’impossibilité de sa nomination.”

Partie remise

Cazeneuve, lâché par les siens ? Migraine de la politique. Il a vent de drôles d’histoires. On lui rapporte un échange entre Hollande et Faure, le premier assurant qu’il fallait censurer le Premier ministre, qu’il s’agisse de Cazeneuve ou d’un autre ; qu’il a poussé l’option Karim Bouamrane en coulisses plutôt que la sienne. D’autres coups bas ? Il ne sait pas, il ne sait plus. François Hollande lui dément toutes ces galéjades. Preuve s’il en fallait, en réunion de groupe parlementaire, il sonne le tocsin et reproche à ses collègues socialistes de ne pas défendre vigoureusement l’option Cazeneuve, et de laisser paraître une préférence pour Thierry Beaudet voire Xavier Bertrand. À L’Express, l’ancien président se désole que Cazeneuve n’ait pas été choisi. “Il aurait été un cohabitant, dit-il. Il était le “mieux placé” même. L’affaire est dans le sac. Macron, Faure, Hollande… Autant d’éléments, de coup de bluff et de menton qui “traduisaient au moins un climat”, se désespère l’entourage de Cazeneuve. L’un de ses proches note même avec gourmandise : “François Hollande pleure Bernard Cazeneuve depuis que Michel Barnier est nommé, jamais avant.”

Et maintenant, que faire ? Voilà Bernard Cazeneuve de nouveau sous les feux de la rampe, jamais nommé mais tout de même regretté. Les soutiens dont il dispose aujourd’hui n’ont pas bougé, et de nouveaux se sont greffés ces derniers jours. Son ami Louis Schweitzer, l’ancien patron de Renault qui déjà se chargeait de mijoter le programme lors de la candidature présidentielle avortée de 2022, a repris du service à ses côtés. “Il n’insulte pas l’avenir, promet un de ses fidèles. Il ne veut pas en rester là. Il se dit que Michel Barnier ne restera pas un an, peut-être pas même quatre mois, qu’on ne rejouera pas Lucie Castets, qu’Olivier Faure ne pourra plus être faiseur de roi.” Ses soutiens n’entendent pas lâcher du lest. Il a récemment échangé avec Raphaël Glucksmann qui prépare la naissance d’un mouvement politique, et a enfin renoué contact avec quelques huiles socialistes.

La prochaine fois, il saura éviter les balles qui fusent et les couteaux dans le dos. Un grognard de Cazeneuve renchérit : “Personne au PS ne veut prendre la responsabilité de sortir de l’alliance qu’ils ont faite avec Mélenchon, et ils ont tous peur d’être comptables de ses outrances en 2027, faute d’avoir pu s’en séparer avant. Ils ont fait une bêtise et ils vont vite espérer que quelqu’un corrige cela. Ce sera Bernard.” Le Normand regarde passer ce train, pour mieux sauter dans le suivant mais pas à n’importe quel prix. En l’attendant, il est parti “tailler ses roses”, dit un ami. Ce n’est pourtant pas la saison.




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