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Qui pour diriger Sciences Po ? L’hypothèse soumise à Macron, le duel des diplomates


Cette fois, pas de coup de Trafalgar. Contrairement à l’élection de l’automne 2021, quand Bénédicte Durand, la directrice par intérim, avait été exclue du processus dès les auditions avec le comité de sélection, les favoris à la direction de Sciences Po se sont bien qualifiés pour la dernière étape, vendredi 6 septembre. Un duel serré se profile, les 19 et 20 septembre, entre le diplomate Luis Vassy, 44 ans, actuel directeur de cabinet de Stéphane Séjourné, et la juriste Arancha Gonzalez, 55 ans, directrice de l’école des affaires internationales de Sciences Po, ministre espagnole des Affaires étrangères entre janvier 2020 et juillet 2021.

A leurs côtés, le troisième qualifié, l’universitaire Rostane Mehdi, 58 ans, directeur de Sciences Po Aix, devra faire mentir les pronostics qui lui attribuent une place d’outsider. Ce professeur de droit, partisan d’un programme de recentrage de l’IEP sur ses missions fondamentales, a symboliquement remporté la “primaire” des directeurs d’IEP qui l’opposait à Pierre Mathiot, en poste à Sciences Po Lille. Selon nos informations, la prise de position publique de ce dernier sur le lycée Averroès – épinglé pour des valeurs anti-républicaines, l’établissement musulman avait un partenariat avec Sciences Po Lille, et Mathiot l’avait défendu – a fait tiquer plusieurs membres du jury. Face aux polémiques, l’heure semble cette fois à l’apaisement. D’où la recherche d’un profil de diplomate, comme un retour aux sources : le premier directeur de Sciences Po d’après-guerre, Roger Seydoux, était haut fonctionnaire au quai d’Orsay.

Tentation d’un préfet

Il y a quelques mois, pourtant, Sciences Po aurait pu être dirigé par un préfet, une manière de mettre en scène le retour de l’ordre dans une école secouée par la démission de son directeur Mathias Vicherat, renvoyé devant le tribunal pour une affaire de violences conjugales réciproques, et surtout par un activisme pro-palestinien effréné. A Matignon, plusieurs voix plaident pour un tel profil. Le 18 mars, François Heilbronn, professeur associé à Sciences Po, membre du conseil de l’IEP, soumet également l’hypothèse à Emmanuel Macron et Gabriel Attal, lors des 80 ans du Crif. Arguant, six jours après l’occupation houleuse de l’amphithéâtre Boutmy par le comité Palestine de l’école, qu’il faudrait un préfet rompu aux zones à défendre (ZAD) pour prendre des mesures énergiques. Plusieurs noms, comme ceux de Gilles Clavreul ou de Frédéric Potier, anciens directeurs de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, ont commencé à circuler. “Mais Sciences Po n’est pas une ZAD ?”, répond le chef de l’Etat, interloqué.

Dès ces premiers bruits, Laurence Bertrand Dorléac, présidente de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), l’institution qui chapeaute Sciences Po, s’oppose à un profil de préfet. Trop mauvais signal, avance-t-elle. Va pour un haut fonctionnaire plus “classique”, tranche Gabriel Attal, pourtant critique au point de s’inviter, le 13 mars, devant le conseil d’administration de la FNSP, et de glisser que “le poisson pourrit toujours par la tête”. Mais les candidatures ne se bousculent pas pour exercer l’intérim de six mois avant la nouvelle élection. Le conseiller d’Etat Patrick Gérard, directeur de l’ENA entre 2017 et 2021, refuse. Edouard Geffray, le directeur général de l’enseignement scolaire, décline également, lui qui était pourtant candidat à la direction de Sciences Po en 2021. Le nom de Jean Bassères, présent dans les premières “short lists” proposées par Sylvie Retailleau, la ministre de l’Enseignement supérieur, devient une option. Appelé peu avant le week-end du 23 mars, l’ancien directeur général de Pôle emploi prend ses fonctions le 26 mars.

A son nouveau poste, l’inspecteur des finances de bientôt 64 ans est resté imprégné de son expérience précédente : il est convaincu que Sciences Po et ses 14 000 étudiants, ce n’est pas forcément plus complexe que Pôle emploi et ses 58 000 agents, l’institution qu’il a pilotée pendant douze ans. Il théorise de ne pas se mettre en avant auprès des étudiants : la crise devra être gérée calmement, en coulisses, sans excès d’éclats. Les associations militantes pro-palestiniennes en prennent bientôt ombrage : on ne s’est pas présenté à elles. Le 17 avril, les convocations disciplinaires d’une vingtaine d’étudiants entraînent un blocage des escaliers de la présidence pendant trois jours. Bientôt une occupation nocturne des locaux est interrompue par les CRS, le 24 avril.

Letta renonce

Dans le même temps, le 11 mai, l’appel à candidatures pour la direction de Sciences Po est publié au Journal officiel. Une vingtaine de postulants se déclarent, mais aucun grand nom, ni Agnès Buzyn, ni Jean-Michel Blanquer, ni Najat Vallaud-Belkacem. L’ancien Premier ministre italien Enrico Letta, directeur de l’école des Affaires internationales de Sciences Po entre 2015 et 2019, paraît un temps hésiter. Mais le timing est désastreux : il faut se déclarer avant le 19 juin, or Letta est intéressé par un poste européen après les élections du 9 juin. Il passe son tour, non sans avoir noté qu’Arancha Gonzalez, sa successeure à Sciences Po, avec laquelle il partage un siège au conseil d’administration de l’institut Jacques Delors, est intéressée.

Cette juriste a mené près de vingt ans de sa carrière dans les institutions internationales, d’abord comme porte-parole de la Commission européenne pour le commerce, puis comme directrice de cabinet du patron de l’organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy. Entre 2013 et 2020, elle a dirigé le centre du commerce international, une agence de l’ONU et de l’OMC basée à Genève. Son expérience politique se résume à ses dix-huit mois comme cheffe de la diplomatie espagnole ; où Pedro Sanchez l’appelle en tant que figure de la société civile. Ses adversaires ne manquent pas de rappeler une des raisons supposées de son limogeage, en juillet 2021 : en avril 2020, elle a accueilli en connaissance de cause sur le territoire espagnol Brahim Ghali, le président du Front Polisario, le mouvement indépendantiste sahraoui, enregistré et soigné dans un hôpital sous pseudonyme.

Nommée à Sciences Po en février 2022, la francophone Arancha Gonzalez a eu le temps de nouer des liens dans la sphère enseignante. Elle est aujourd’hui perçue comme la candidature la plus soutenue par le corps universitaire. Dans son programme, des propositions de modernisation et peu de bouleversements, une rupture moins affichée en tout cas que dans celui de Luis Vassy. Le diplomate, ambassadeur aux Pays-Bas entre 2019 et 2022, propose de tenir compte de la “triple crise” qui touche Sciences Po, une crise “d’image, de projet et de gouvernance”. Il imagine davantage d’initiations à la recherche, une explication assumée du modèle républicain français ou la création d’une école d’écologie, afin de faire perdurer le “logiciel Descoings”, du nom de l’ancien directeur, convaincu que Sciences Po doit concurrencer les grandes universités américaines, tout en revendiquant l’identité française de l’école.

Le futur directeur devra gérer un budget contraint : en cas de baisse des financements de l’Etat ou du mécénat privé, les frais de scolarité devront être augmentés. Quelques signes négatifs sont intervenus du côté des donateurs : le 19 juin, Politico annonçait que le milliardaire américain Frank McCourt avait suspendu son financement de 2,5 millions d’euros annuel à Sciences Po, en attendant de connaître le nouveau directeur. De la même façon, LVMH a préféré s’abstenir de financer, cette année, le gala des anciens élèves de Sciences Po, par ailleurs perturbé par des militants pro-palestiniens.

Facteur ENA

Au sein de Sciences Po, plusieurs observateurs imaginent désormais un double scrutin serré, les 19 et 20 septembre. Chacun l’a noté, la procédure de nomination du directeur est compliquée et pourrait conduire à une impasse : il faut mettre d’accord le conseil de l’IEP et le conseil d’administration de la FNSP sur un nom.

Or la première instance est dominée par les enseignants de l’école. En 2021, ils avaient largement opté pour Mathias Vicherat, mais qu’en sera-t-il cette fois ? Un des points faibles de Luis Vassy est de présenter un CV proche de l’ancien directeur, d’ailleurs… son ancien condisciple à l’ENA, au sein de la promotion Senghor. A la FNSP, en revanche, les profils de hauts fonctionnaires sont traditionnellement appréciés : en 2021, lors du renouvellement de l’instance, quatre énarques avaient été cooptés, pour six postes. Le profil très international d’Arancha Gonzalez jouera-t-il alors en sa défaveur ? Les deux conseils ont en tout cas intérêt à s’entendre : en cas de désaccord final, il faudrait recommencer l’appel à candidatures… depuis le début.




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