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A Bruxelles, l’Européen Michel Barnier en terrain conquis ?


L’Europe, voilà un intérêt partagé qui pourrait rapprocher le quadra de l’Elysée et le septuagénaire de Matignon dans la “coexistence exigeante”, promise par le Président à son nouveau Premier ministre. Ce goût de la construction européenne les singularise dans la classe politique française. Face à un Emmanuel Macron intronisé en 2017 au son de l’hymne européen, Michel Barnier est seulement le second chef de gouvernement de la Ve république – après Raymond Barre – à avoir occupé auparavant des fonctions de commissaire à Bruxelles. “En voilà au moins un auquel nous n’aurons pas besoin d’expliquer comment cela se passe ici”, se réjouit-on dans la capitale de l’Union.

“Je suis Européen, mais pas pour n’importe quelle Europe, pour une Europe utile et concrète”, a tenu néanmoins à préciser l’ancien négociateur en chef du Brexit lors de sa première interview sur TF1. “Il n’est pas fédéraliste : il sera français à Bruxelles et européen à Paris. Point commun avec Emmanuel Macron, il ne veut pas opposer la Nation et l’Europe”, décrypte Sébastien Maillard, conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors.

Le premier test va arriver rapidement. Ensemble, ils vont devoir retrousser leurs manches pour rassurer Bruxelles sur l’état budgétaire du pays. Certes, la nomination du Savoyard a été saluée dans toute l’Europe, mais des mois difficiles s’annoncent, alors que Paris doit présenter le 15 octobre au plus tard à la Commission européenne sa trajectoire pour réduire la dette. “Fort de son parcours européen, Michel Barnier sait que contrôler le déficit doit être une priorité. Mais la France ne doit pas s’attendre à de l’indulgence [des Vingt-Six] juste parce qu’elle a nommé un insider bruxellois !”, met déjà en garde l’eurodéputé conservateur allemand Markus Ferber.

Réseau bruxellois

L’ancien commissaire va donc devoir ferrailler, mais il peut compter sur son réseau bruxellois pour prêter une oreille attentive à ses arguments. Il connait tout le monde dans les institutions de l’UE, de Christine Lagarde, la patronne de la BCE, à Ursula von der Leyen, celle de la Commission. Pas moins de trois de ses anciens proches collaborateurs comptent aujourd’hui parmi les plus puissants haut fonctionnaires de la place, occupant les postes de directeurs généraux chargés du budget, du commerce ou encore de la concurrence.

Il faut dire que Michel Barnier a eu le temps de tisser des liens, son premier poste européen d’importance remontant à un quart de siècle. Commissaire à la politique régionale (1999-2004), puis au marché intérieur et aux services financiers (2010-2014), il a connu son heure de gloire comme chef des négociations sur le Brexit (2016-2021). Avant même cette dernière mission, un tabloïd britannique l’avait qualifié “d’homme le plus dangereux d’Europe” lorsqu’il régulait la finance européenne, et notamment la City londonienne, après la crise des subprimes.

Au fil de ses quatorze années à Bruxelles, l’ancien responsable des JO d’Albertville a peaufiné sa méthode. Impavide, toujours courtois, il est méthodique et ne dévie jamais de son but. Ses interlocuteurs de l’époque n’ont pas oublié le légendaire tableau Excel en couleurs que Michel Barnier dégainait partout, y compris devant le pape Benoit XVI, pour présenter l’état d’avancement des législations sur la finance. A son départ, quasiment toutes figuraient dans la colonne “adoptées”.

“En Europe, par définition, on construit des majorités de projet et on négocie en permanence. Il a la culture du compromis”, pointe l’eurodéputée Horizons Nathalie Loiseau. “C’est un montagnard, il a le sens de l’ascension à pas lents mais sûrs pour gagner le sommet. C’est la méthode Barnier, fédérer pour construire”, nous confiait, pendant le Brexit, l’un de ses proches, l’ex-député européen UMP Michel Dantin, savoyard comme lui. En public, le résultat n’est pas forcément flamboyant. Michel Barnier s’appuie souvent sur les mêmes anecdotes ou des formules déjà testées. “The clock is ticking” – l’horloge tourne -, martelait-il par exemple dans son anglais fragile à chaque conférence de presse, quand les négociations avec Londres n’avançaient pas assez vite à ses yeux.

Talents de négociateur

Bien entouré par une équipe d’experts techniques hors pair, il réussira la prouesse de maintenir contre vents et marées l’unité des Vingt-Sept que Londres tentera jusqu’au bout de saper. Un succès obtenu en voyageant sans cesse dans les capitales, en traitant à égalité petits et grands Etats membres et en informant constamment les diplomates et les politiques de l’état des discussions. Jamais on ne verra apparaître de failles dans le camp européen.

Ces talents de négociateur seront précieux dans ses nouvelles fonctions à Paris, y compris sur les dossiers européens. La seconde Commission von der Leyen est sur le point de commencer son mandat. Autonomie stratégique, industrie, défense, politique agricole commune, la France veut peser sur les réformes. Elle a intérêt à parler d’une seule voix pour y parvenir… Pas de difficulté à attendre entre le Premier ministre et Thierry Breton. Michel Barnier apprécie l’actuel commissaire depuis les années 1980 et passait régulièrement une tête à son étage lors de ses visites à Bruxelles. Dans la capitale de l’UE, personne ne s’attend à ce qu’il demande à participer au Conseil européen à la place d’Emmanuel Macron.

En revanche, les Européens suivront de près ses positions sur les questions migratoires. En 2021, ils s’étaient étranglés lorsque, candidat à la primaire LR, il avait prôné un moratoire unilatéral sur l’immigration et la mise en place d’un “bouclier constitutionnel” qui permettrait à la France de s’exonérer du droit européen. Mais réagiraient-ils de la même façon aujourd’hui ? “Le consensus européen sur l’immigration est de plus en plus ferme et le président français n’est pas non plus laxiste sur ce sujet”, remarque un diplomate. Avec un Premier ministre de droite, la France est désormais au diapason de la majorité des pays européens.




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