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Lamia El Aaraje : “Le PS a donné des prétextes à l’Elysée pour écarter Bernard Cazeneuve”


C’est l’heure du bilan au Parti socialiste. Les tractations pour Matignon ont ravivé l’éternel conflit entre les tenants d’un rapprochement avec Jean-Luc Mélenchon et les pourfendeurs d’une alliance “contre-nature”. Les violentes divisions, étalées sur la place publique, au sujet de l’éventuelle nomination de Bernard Cazeneuve, en sont un puissant symbole.

Lamia El Aaraje, proche parmi les proches d’Anne Hidalgo, fait partie de la deuxième catégorie de roses. Anti-mélenchoniste viscérale, l’adjointe à la maire de Paris et patronne des socialistes parisiens dénonce l’attitude de son parti durant la séquence. Et presse la direction de convoquer un congrès en janvier 2025.

L’Express : Le Parti socialiste a-t-il, d’après vous, une responsabilité dans la non-nomination de Bernard Cazeneuve à Matignon ?

Lamia El Aaraje : Bien sûr, et je suis en colère. Plutôt que soutenir Bernard Cazeneuve, la direction du parti a préféré donner des prétextes à l’Elysée pour que l’hypothèse soit écartée. Dernier exemple, le 3 septembre, lors d’un Bureau national, quand nous avons déposé un amendement pour affirmer que le Parti socialiste ne le censurerait pas a priori, Olivier Faure et son entourage nous ont expliqué que c’était irresponsable car il ne serait pas de nos rangs ou du NFP. Dans l’assemblée, j’ai même entendu certains affirmer haut et fort que Bernard Cazeneuve n’était pas de gauche ! Il y a donc des censeurs dans notre famille politique, ce qui n’est absolument pas dans notre tradition. La gauche, emportée, écrasée par la figure tutélaire de Jean-Luc Mélenchon, s’est retrouvée dans la stratégie insoumise du “tout ou rien”. Résultat des courses : on se retrouve avec absolument rien, en la personne de Michel Barnier.

A gauche, certains affirment qu’Emmanuel Macron n’a jamais eu la volonté de le nommer…

Le Parti socialiste n’est évidemment pas l’unique responsable de la non-nomination de Bernard Cazeneuve. Le premier responsable, c’est Emmanuel Macron. Mais au moment où Olivier Faure avait l’opportunité de pouvoir, à un moment ou un autre, mettre toute sa force dans la bataille pour avoir un Premier ministre de gauche, il ne l’a pas fait. C’était sa responsabilité comme premier secrétaire, leader de la force qui doit être centrale à gauche.

A mon sens, il n’y a pas d’avenir à gauche si le PS ne reprend pas davantage de leadership. Ça n’est pas de l’incantation : nous sommes aujourd’hui à gauche la force qui a le plus d’élus locaux, et nous dirigeons nos collectivités depuis des années. Qui a porté les Jeux olympiques et paralympiques ? Qui a transformé Paris de façon radicale ? Ce ne sont pas les insoumis.

Mais le Parti socialiste, avec l’ensemble de ses courants, ne s’est-il pas tiré une balle dans le pied en étalant ses divisions sur la place publique ?

Le PS est un très grand parti, où une multitude de visions se confrontent, pour accoucher de positions communes. C’est sa force. Cela fonctionne bien quand les instances internes se réunissent régulièrement, que les textes d’orientations sont traités par le Premier secrétaire. La démocratie interne est, finalement, un gage de discipline. Aujourd’hui, il y a un sujet autour de sa pratique quotidienne au sein du PS, car Olivier Faure fait comme si son opposition n’existait pas.

Raphaël Glucksmann a beaucoup à nous apporter

Je me suis engagée dans le parti de Léon Blum, pas dans une formation autocratique. Quand les courants minoritaires ne sont pas écoutés, que la direction publie communiqué sur communiqué sans nous consulter, les instances internes ne sont plus des instances internes. En tout cas, le parti est en train de s’abîmer, et l’organisation du congrès est une question de survie. Il faut qu’il ait lieu en janvier 2025, afin de clarifier notre ligne sur le fond et la méthode.

Avec du recul, pensez-vous que le Nouveau Front populaire et l’alliance avec les Insoumis étaient une mauvaise idée ?

Je ne dirais pas ça, car le NFP a permis la défaite de l’extrême droite et c’est déjà une forme de victoire. Simplement, alors qu’on avait signé un contrat clair, on s’est retrouvés trois semaines après le scellement de l’union dans un manque total de clarté. Avec notamment des prises de position problématiques des Insoumis vis-à-vis du Hamas ou sur la destitution du président.

Mais j’en ai ras le bol des accords électoraux noués à quatre – des hommes pour la plupart – dans une salle obscure, qui viennent écraser le poids des fédérations et la réalité sortie des urnes. Comment vais-je expliquer aux gens qu’on a préféré un Premier ministre de droite parce qu’on voulait Lucie Castets, rien que Castets à Matignon ?

Lors des deux dernières élections législatives, l’union des gauches a pourtant été salutaire pour le Parti socialiste…

Les dernières études montrent que 67 % des Français rejettent totalement LFI. Moi je ne rejette pas leurs électeurs, mais je ne veux pas faire alliance avec Jean-Luc Mélenchon. Il faut une union de la gauche, mais nous n’avons pas attendu LFI pour la pratiquer à Paris, et dans nos collectivités territoriales. Il y aurait donc une telle distorsion entre les enjeux territoriaux et nationaux ?

Les insoumis ne comprennent pas du tout ce qu’est la société française

D’autant que La France insoumise n’est pas de gauche. Ce mouvement pratique le populisme, joue sur nos divisions plutôt que sur le ciment qui permet de nous unir, flatte les communautarismes en ramenant les Français à leurs supposées origines ou religions.

Raphaël Glucksmann dresse plus ou moins le même constat. Dites-vous, à l’instar d’Anne Hidalgo – que l’on dit en partance pour son mouvement – que vous êtes “très proche de ses idées” et de celles de Place publique ?

J’ai très envie de travailler avec Raphaël Glucksmann que je rejoins sur la méthode et les enjeux. Il a beaucoup à nous apporter, et je pense que nous aussi, sur l’héritage de notre parti et son maillage territorial sans commune mesure à gauche. Je plaide pour un rapprochement de nos deux formations, pourquoi pas fonder un mouvement commun…

Quel rôle doit jouer le Parti socialiste durant cette législature ? Êtes-vous en phase avec Olivier Faure, qui assure que le groupe parlementaire censurera immédiatement le gouvernement du nouveau Premier ministre ?

Oui. Indépendamment de son parcours, c’est une trahison des électeurs, sur le fond comme sur la forme, et de l’esprit même du front républicain. Je n’imagine aucune personnalité de gauche entrer dans un gouvernement de droite.

Comment accepter que la formation la plus fragile de l’hémicycle qui, pour beaucoup de ses députés, doit ses sièges au désistement républicain, puisse être sous l’arbitrage du Rassemblement national qui fait la pluie et le beau temps sur la censure de son gouvernement ? Comment expliquerons-nous la prochaine fois qu’il faut faire barrage au RN ? Après avoir tué la démocratie sociale, Emmanuel Macron a tué la démocratie tout court.

A Paris, comment préparez-vous les échéances municipales ? Anne Hidalgo sera-t-elle candidate ?

La maire dira ce qu’elle souhaite faire quand elle le voudra. Ma responsabilité est de créer un cadre de réflexion et de travail en lien avec le PCF, les Verts et Place publique, permettant de construire une base de valeurs et de projets. Indépendamment de la décision de la maire, qu’elle prendra en temps voulu, nous avons dans notre équipe suffisamment de ressources et de talents pour construire notre candidature pour 2026.

A Paris, les insoumis ont fait une poussée spectaculaire lors des dernières échéances électorales. Peut-on toujours faire sans eux ?

A l’Hôtel de Ville, ils sont dans l’opposition et ont voté contre tous les budgets. Ils ne comprennent pas du tout ce qu’est la société française, et encore moins ce qu’est Paris. On ne peut accepter aucune tergiversation sur la laïcité, le vivre ensemble ou l’antisémitisme. Dans la capitale, il n’y a pas d’alliance possible avec LFI.




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