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Propos de Trump sur les immigrés haïtiens : “Il y a chez lui une volonté d’humilier les Caribéens”

Face à Kamala Harris, mardi 10 septembre, Donald Trump a repris haut et fort une théorie du complot affirmant que des immigrés haïtiens mangent des chats et des chiens domestiques à Springfield, dans l’Ohio… Corrigé immédiatement par un journaliste sur le plateau, l’ancien président a maintenu ses propos mensongers, tirés des réseaux sociaux d’extrême droite. Un symbole de son enfermement dans les bulles les plus extrêmes de l’Internet américain, mais aussi de son racisme décomplexé comme stratégie électorale.

Comme le souligne Jean Marie Theodat, auteur haïtien et professeur à la Sorbonne, le milliardaire new-yorkais n’en est à pas à ses premières insultes visant ce pays des Caraïbes, qu’il avait qualifié de “trou à merde” pendant sa présidence. L’auteur de Fatras Port-au-Prince (éditions Parole, 2021) raconte l’impact de ces propos sur la grande communauté haïtienne aux Etats-Unis et le rôle de la superpuissance américaine dans la crise traversée par son pays.

L’Express : Pendant son débat avec Kamala Harris, Donald Trump a repris une théorie conspirationniste en vogue chez les Républicains ces derniers jours, qui dit que des immigrés haïtiens mangent les chats et les chiens des Américains… Y a-t-il déjà eu un tel déferlement de haine contre la diaspora haïtienne aux Etats-Unis ?

Jean Marie Theodat : Donald Trump est coutumier du fait. Pendant sa présidence, il avait eu des mots encore plus abjects en parlant de Haïti, du Salvador et du Guatemala comme des shithole countries, c’est-à-dire des “trous à merde”, pour dire qu’il valait mieux aller chercher des Norvégiens ou des gens “civilisés” pour venir en Amérique.

Ce n’est pas nouveau, c’est récurrent et doublement insultant. Nous vivons ça de manière très sensible, puisque les Haïtiens sont plus d’un million aux Etats-Unis, entre la Floride et New York. Beaucoup ont la double nationalité et cela se traduira, je pense, par un vote massif des Haïtiens en faveur de Kamala Harris.

Comme vous le soulignez, la communauté haïtienne est particulièrement importante en Floride. Peut-elle avoir une incidence sur l’élection ?

Les élections américaines se jouent dans quelques Etats, à quelques voix près. Bien sûr, la Floride n’est pas un swing state [NDLR : un Etat pivot, susceptible de faire pencher l’élection d’un côté comme de l’autre], puisqu’elle est un bastion républicain. C’est d’ailleurs pour cela que Trump peut se permettre de telles boulettes. Mais je pense que ces propos ont été vivement ressentis au sein de la communauté haïtienne. Et au-delà des Haïtiens, ce sont tous les Caribéens qui doivent se sentir menacés, parce que les Jamaïcains, les Trinidadiens et les Portoricains sentent qu’il y a derrière cette affirmation de Donald Trump une volonté manifeste de blesser, d’humilier les Caribéens.

A quel point est-ce dangereux qu’un ancien président, qui peut le redevenir, répande de tels mensonges à la fois absurdes et racistes ?

Comme l’a très bien dit Kamala Harris, Donald Trump appartient au passé, c’est-à-dire à un registre politique qui considérait l’outre-mer, les autres pays, comme un poids négligeable dans la conduite d’une politique nationale. Aujourd’hui, par la présence massive des Haïtiens et des autres immigrés aux Etats-Unis, le président devrait comprendre que le monde a cessé d’être cloisonné par des frontières, par des barrières identitaires.

Nous vivons un monde global qui échappe complètement à l’intelligence tordue de M. Trump. Le sentiment d’appartenance, le sentiment de dignité, le sentiment de cosmopolitisme citoyen a complètement dépassé les frontières. Et c’est là que Donald Trump se trompe d’époque et d’élection, parce que l’élection américaine ne peut être une affaire strictement états-unienne. Le reste du monde les observe.

Et le message de Donald Trump touche directement des millions de personnes, qui souvent le suivent aveuglément…

Le problème avec Donald Trump est qu’il est l’expression non pas d’une volonté tournée vers l’avenir mais au contraire des rancœurs nationalistes américaines totalement tournées vers le passé. C’est une position à la fois détestable, qui signifie qu’il va suivre les passions les plus absurdes de son électorat, mais c’est aussi la preuve que la démocratie américaine, porte-étendard du monde occidental, est aujourd’hui fatiguée, avec un leader politique qui exploite les passions les plus tristes, les obsessions les plus sottes d’une partie de l’électorat complètement déboussolée.

Des policiers haïtiens dans les rues de Port-au-Prince, en Haiti, le 20 août 2024

Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken se trouvait en Haïti la semaine dernière. Quel est le poids des Etats-Unis sur place et peuvent-ils contribuer à une sortie de crise ?

Les Etats-Unis sont d’abord le pays qui nous a empêtrés dans la crise. Dans cette partie du monde, les Etats-Unis disposent d’un leadership incontesté, ce n’est pas comme en Asie ou dans l’océan Indien où se trouvent des puissances rivales. Là, ils règnent sans aucune forme d’opposition, Cuba étant une parenthèse géopolitique inoffensive dans les Caraïbes.

En Haïti, nous avons cessé de regarder les Etats-Unis avec le regard de l’espoir

Les Américains ont le contrôle de l’air, des mers, et des réseaux terrestres parce qu’ils sont capables, grâce aux télécommunications, de savoir exactement ce qui se dit, où et quand dans le pays, mais ils laissent entrer en Haïti des cargaisons d’armes complètement illégales par vaisseaux entiers. Les Etats-Unis sont eux-mêmes un pays où plus il y a plus de deux armes de guerre en circulation par habitant, c’est-à-dire plus de 600 millions d’armes de guerre. Eh bien nous, en Haïti, nous avons 600 000 armes de guerre en circulation, type AK47 ou AR-15, c’est-à-dire des armes destructives qui viennent toutes des États-Unis.

Dans le même temps, les Etats-Unis laissent entrer vers leur territoire toute une partie de la drogue qui vient de l’Amérique du Sud et qui transite par Haïti. On considère que plus de 27 % de la drogue qui entre en Floride passe par Haïti, ce qui fait que nous avons le sentiment que les Etats-Unis ont, par souci peut-être de contrôler le trafic de drogue, transformé Haïti en une sorte de passoire. C’est pour cela que je parle parfois de trou noir dans lequel se mélangent argent sale, drogue, mais aussi argent du trafic humain. C’est comme si on avait voulu garder sous cloche une sorte de boîte de Pandore pour éviter qu’elle n’explose au visage de tout le monde. Mais les États-Unis ne font absolument rien qui puisse permettre une sorte de désescalade de la violence criminelle qui a lieu en Haïti parce que les armes continuent d’affluer et surtout, ils ne font rien pour punir les principaux coupables alors qu’ils en auraient les moyens.

Est-ce que le dossier haïtien sera géré différemment en fonction du vainqueur de la présidentielle américaine ?

Malheureusement, en Haïti, nous avons cessé de regarder les Etats-Unis avec le regard de l’espoir. Pendant les huit ans de la présidence Obama, jamais il n’a eu un geste favorable pour Haïti alors que nous sommes la première république noire de l’ensemble du Nouveau monde : les Haïtiens ont aidé à la guerre d’indépendance des Etats-Unis contre l’Angleterre en envoyant des troupes. Bien sûr, c’était Saint-Domingue à l’époque, mais du sang haïtien a été versé pour l’indépendance des Etats-Unis. Et aujourd’hui, nous sommes payés d’une ingratitude absolument crasse. Donc nous n’attendons rien de ce pays. Nous aurions plutôt besoin d’une sollicitude internationale plus large, de façon à sortir des griffes d’un hégémon qui ne fait rien pour améliorer les conditions de vie des Haïtiens.




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