Jeudi 4 juillet. Plus que deux jours de campagne avant que ne démarre la période de réserve du second tour des législatives anticipées. Au détour d’une formule prononcée sur les ondes de RTL, François Ruffin met fin à plusieurs semaines de rumeurs autour de son départ du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. À l’Assemblée nationale, “ma place ne sera pas dans le groupe de La France insoumise”, confirme-t-il. Le divorce consommé, s’ouvre dès lors une phase nouvelle : celle de “l’après”.
Très vite toutefois, d’aucuns comprennent que “l’après” est également le temps des règlements de compte. Les passes d’armes se succèdent. Jusqu’à ce mercredi 11 septembre, date de sortie en librairie de son dernier livre intitulé Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié ! (éd. Les Liens qui libèrent). Dans cet essai politique, François Ruffin pilonne comme jamais il ne l’avait fait auparavant LFI. Récit des vingt-quatre heures qui ont acté la rupture définitive du député de la Somme avec son ancienne famille politique.
Acte I : un livre aux airs de coup de poignard
L’affaire éclate ce mercredi. François Ruffin démarre sa journée sur le plateau de BFM TV. Neuf heures moins quart approche. L’échange entre le député de la Somme et la journaliste se déplace sur son essai à paraître le jour même. LFI ? “C’est un parti où il y a de la peur, où aucune place n’est accordée au débat”, élude l’instigateur du Nouveau Front populaire (NFP). Jusque-là, rien de bien nouveau. Mais dans la matinée, le contenu du livre est développé, expliqué, défendu dans un entretien au Nouvel Obs.
À nos confrères, François Ruffin brosse un bien sombre portrait de Jean-Luc Mélenchon. Celui d’un candidat qualifiant ses électeurs “d’obèses” qui “sentent mauvais” et “transpirent l’alcool dès le matin”. Celui d’un aspirant à la fonction suprême lorgnant avec gourmandise sur le vote des banlieues. Ou encore, d’un résigné, convaincu que les anciens bastions de la gauche, désormais captifs du vote frontiste, sont définitivement hors de portée. Hasard du calendrier, la description fait écho à un mot glissé par Jean-Luc Mélenchon à une manifestante samedi 7 septembre : “Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers. Tout le reste, laissez tomber, on perd notre temps.”
Le précepte ne surprend pas celui que Jean-Luc Mélenchon estimait au printemps 2023 “prêt” pour 2027. Depuis quelques années déjà, le Lider maximo des Insoumis aurait une formule attestant du bien-fondé de la voie qui le conduira – en est-il du moins persuadé – au Château : “Pour dénazifier l’Allemagne, ça a pris un demi-siècle, alors bon…”. Une stratégie électoraliste assumée en coulisses, confirme François Ruffin, qui dénonce “l’abandon” par son ancienne famille politique de la question sociale au profit de celle des minorités ethniques.
Dans les colonnes du Nouvel Obs, François Ruffin propose son analyse de La France insoumise version 2022. Un mouvement qui serait devenu le miroir du Rassemblement national (RN). Comme la formation d’extrême droite, LFI choisit ses victimes. Le jeune Thomas de Crépol, “tué car blanc” pour les frontistes. Le jardinier Mourad de Villecresnes, traité de “bougnoule” par son assassin, pour les Insoumis. Comme le parti à la flamme, celui de l’insoumission fonctionne selon une grille de lecture “quasi raciale”, égraine encore François Ruffin qui assure que “les 25 % de Français qui ont un grand-parent immigré” sont désormais la priorité de LFI.
Ce 11 septembre, c’est également un François Ruffin repenti qui se livre. Le fondateur du journal Fakir reconnaît avoir distribué de la propagande électorale ciblée pendant la campagne présidentielle de 2022. Aux “électeurs Noirs et Arabes des cités d’Amiens-Nord”, pour lesquels Jean-Luc Mélenchon est “un passe-partout”, un tract avec la photo du chef insoumis. Aux électeurs blancs, pour lesquels le patriarche constitue un repoussoir, une affichette sans. En résumé : un “tractage au faciès”. Deux ans et un divorce plus tard, François Ruffin admet : “Je l’éprouvais comme une honte quand je faisais ça.”
Acte II – Les lieutenants Insoumis montent au créneau
Dare-dare, dans les rangs insoumis, on s’empresse de contre-attaquer. La honte ? “C’est toi”, lui rétorque sèchement sur X la députée insoumise Danièle Obono, épinglée en octobre dernier pour avoir qualifié le Hamas de “mouvement de résistance”. De son côté, Aly Diouara, élu dans la circonscription de Seine-Saint-Denis de Raquel Garrido, entrée depuis en dissidence, lâche : “Ruffin ne vise qu’un électorat et nous savons bien vous et moi ce qui anime l’apôtre du “fâché/pas facho”… et ce n’est pas les gens des tours.”
Dans le sillage des deux élus insoumis, la députée de Seine-et-Marne Ersilia Soudais s’estime “soulagée qu’un homme qui n’a jamais rien compris aux luttes antiracistes ait quitté” le groupe LFI au Palais Bourbon, Antoine Léaument met en scène sa “déception” à l’endroit de François Ruffin : “Je l’ai découvert avec son livre Les Petits Soldats du journalisme. Il y expliquait comment les étudiants en journalisme sont formatés à la docilité vis-à-vis du pouvoir. Écrire ça, devenir insoumis, finir docile. Il a bien fait de partir.” D’autres s’autorisent à des comparaisons avec Jacques Doriot, collaborateur vichyste. “Le fantôme de Doriot ne réside pas dans le Nord mais en Picardie”, persifle la conseillère régionale d’Ile-de-France Julie Garnier.
Acte III – La défense fragile d’Eric Coquerel
Tandis que sur X les lieutenants insoumis chargent François Ruffin, les leaders de LFI restent en retrait. Il faut attendre le lendemain, jeudi 12 septembre, pour qu’un des leurs commente. Ou plutôt, démente. Interrogé au micro de France Inter ce matin, Eric Coquerel nie sans préambule, ni précautions les accusations portées par François Ruffin.
Selon le député de Seine-Saint-Denis, le “sécessionniste” ferait ses choux gras sur l’appareil politique insoumis pour servir ses “ambitions présidentielles”. “J’avais du respect pour François, mais il se livre à quelque chose qui ne me va pas du tout, et je reste mesuré dans mes propos”, élude-t-il. Toutefois, face aux éléments tirés du réquisitoire de son collègue picard, le président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale peine à se défendre.
Tente-t-il tout juste de reprendre un poncif sur lequel repose la stratégie mélenchoniste dénoncée par François Ruffin : la lutte contre le racisme serait un moyen de résoudre la question de la division des classes sociales. Et tandis que le leader insoumis n’a lui, toujours pas réagi à la charge de l’élu picard, une question reste en suspens : qui de Jean-Luc Mélenchon ou des frasques qui lui sont attribuées sera, ou seront enterrés en premier ?
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