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Augmenter les droits de douane : la dangereuse obsession de Donald Trump


Ce n’est un secret pour personne, Donald Trump est un homme d’obsessions. Immigration, Chine, sécurité… L’ancien président américain aime répéter inlassablement les mêmes mots et invectives lors de discours virulents. Pour convaincre ses compatriotes de le porter à nouveau à la Maison-Blanche, le milliardaire prévoit d’utiliser, à l’excès, un instrument à double tranchant, celui des droits de douane.

Une marotte qui ne date pas d’hier. Le 2 septembre 1987, celui qui n’était alors que promoteur immobilier s’offre simultanément une pleine page dans le New York Times, le Boston Globe et le Washington Post, avec une lettre signée de sa main, intitulée “Il n’y a rien de mal dans la politique de défense extérieure de l’Amérique qu’un peu de colonne vertébrale ne puisse guérir”. La missive s’adresse “au peuple américain” et débute par ce constat lapidaire : “Depuis des décennies, le Japon et d’autres pays profitent de la situation des Etats-Unis”. Après un long argumentaire, l’auteur conclut : “Il est temps pour nous de mettre fin à nos vastes déficits en faisant payer le Japon et les autres qui peuvent se le permettre.” Entendez par là : augmenter les taxes douanières. Un coup de com’ à près de 100 000 dollars de l’époque.

Des résultats peu probants

Près de quarante ans plus tard, la doctrine du candidat républicain n’a pas changé. “Le protectionnisme est une constante chez lui depuis les années 1980 en tant qu’instrument privilégié de son idéologie géo-économique, à la fois mercantiliste et isolationniste. Il incarne ainsi l’antithèse des élites américaines depuis les années 1970, dont l’approche consistait à ouvrir le marché intérieur aux pays tiers, afin de les attirer dans l’orbite militaro-économique des Etats-Unis et leur assurer leur défense en échange d’une utilisation du dollar comme monnaie de transaction et de réserve”, développe Raphaël Gallardo, le chef économiste du gestionnaire d’actifs Carmignac.

En mars 2018, déjà, Trump avait décidé de porter à 25 % les taxes sur les importations d’acier et à 10 % celles sur l’aluminium. Quelques semaines plus tard, les foudres du dirigeant républicain s’abattent sur Pékin, avec l’annonce d’une taxation de 25 % sur 50 milliards de dollars d’importations chinoises, marquant les débuts de la guerre commerciale. En représailles, la Chine cible les céréales américaines. Résultat, l’Etat fédéral est contraint de dédommager ses agriculteurs à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Quant aux biens chinois, une bonne partie de leur assemblage – voire de leur production – est relocalisée au Vietnam pour contourner les restrictions.

En dépit de ces mesures préjudiciables pour l’économie américaine, Donald Trump envisage, s’il est réélu en novembre 2024, d’aller encore plus loin : tous les produits importés pourraient être frappés de 10 % de droits de douane, contre une moyenne de 3,3 % aujourd’hui. Pour ceux provenant de Chine, la taxe grimperait même à 60 %. L’objectif ? Financer les baisses d’impôts que le prétendant à la Maison-Blanche entend renouveler, voire amplifier. Un simple calcul de coin de table met à mal ce raisonnement. D’après le think tank Tax Policy Center, une hausse de 10 % des droits de douane dégagerait 2 800 milliards de dollars de recettes sur dix ans. Si les baisses d’impôts actées sous la première présidence de Donald Trump étaient prolongées, le coût pour l’Etat fédéral se chiffrerait à 4 500 milliards de dollars sur la même période, sans compter les nouveaux rabais souhaités par le républicain, selon les données du Congressional Budget Office, une agence fédérale américaine.

La stabilité du commerce mondiale en danger

Donald Trump est convaincu que ce sévère durcissement permettra de réduire le déficit commercial des Etats-Unis, tout en réindustrialisant le pays. Là encore, les faits sont têtus. “On sait que cela n’aura pas d’impact parce qu’un déficit extérieur signifie avant tout que le pays dépense trop et consomme trop”, assure Antoine Bouët, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). Quant à l’espoir d’une réindustrialisation, il est démenti par les chiffres. “On a observé que la hausse des taxes en 2018 n’avait pas créé massivement d’emplois dans l’industrie de l’acier, de l’électroménager, de l’automobile, etc. En revanche, elle a augmenté le prix de l’acier ou de l’aluminium pour les clients. Ceux qui arrivent de Chine et d’Europe sont plus chers à cause des droits de douane. Mais parallèlement, l’acier américain devient lui aussi plus coûteux, du fait du pouvoir de marché donné aux fabricants américains”, relate Lionel Fontagné, professeur à l’Ecole d’économie de Paris. “Donald Trump voit aussi les droits de douane comme un instrument de négociation puissant qui lui offre de la flexibilité sur le plan diplomatique”, complète la responsable de la recherche économique de Candriam, Florence Pisani. Ce fut notamment le cas lorsqu’il a mis la pression sur le Mexique pour que le pays réduise drastiquement le flux de migrants vers les Etats-Unis.

Si le milliardaire américain tient parole, les conséquences pour l’économie pourraient être considérables. Les experts du Cepii ont calculé que les Etats-Unis perdraient entre 1,3 et 2,3 % de PIB. L’inflation, que la Réserve fédérale américaine s’échine à combattre depuis plus de deux ans, repartirait à la hausse. “Elle pèse en particulier sur les ménages les plus défavorisés qui dépendent beaucoup plus des biens importés”, rappelle Florence Pisani. Le raisonnement de Trump ne tient pas la route, ajoute Lionel Fontagné : “Il pense que les Etats-Unis sont un si grand marché que la Chine va baisser le prix de ses produits pour y accéder. Cela marche en théorie, mais pas en pratique. Lors de la guerre commerciale récente, les exportateurs chinois ont fait passer les droits de douane dans les prix.” Et certains en ont même profité pour augmenter leurs marges. Surtout, la généralisation d’une taxe de 10 % à tous les pays sans distinction serait un bouleversement pour le commerce international. “Or celui-ci a joué un rôle important pour le maintien de la paix universelle depuis des dizaines années. Les répercussions géopolitiques pourraient être majeures”, craint Pol Antràs, professeur d’économie à Harvard, qui anticipe une chute de 5 % du PIB mondial si le programme du républicain est mis en œuvre.

Robert Lighthizer, l’homme de l’ombre

Cette politique agressive, Donald Trump la doit beaucoup à son conseiller économique de l’ombre, Robert Lighthizer, représentant au Commerce de 2017 à 2021. “Il a une grosse influence sur Trump. Il a développé une vision apocalyptique de l’économie américaine en estimant que la responsabilité de son déclin est imputée aux pratiques étrangères comme le dumping, détaille Antoine Bouët. Des pays chercheraient à évincer les entreprises américaines en pratiquant des prix bas grâce à des coûts de production bien inférieurs, tout en ne respectant pas les clauses environnementales.”

Sous Reagan déjà, Lighthizer avait été à la manœuvre lorsque des droits de douane avaient été appliqués sur les semi-conducteurs japonais. “Il est sceptique quant aux avantages du commerce mondial. C’est un protectionniste de la vieille école, doublé d’un négociateur commercial très expérimenté”, souligne Robert Gulotty, professeur de commerce international à l’Université de Chicago.

Désormais, l’adversaire de Kamala Harris espère capitaliser sur ses promesses de nouvelles taxes sur les importations, faisant fi de la théorie économique. Lors du débat du 10 septembre, il a pris de court la vice-présidente américaine en rappelant que Joe Biden n’était pas revenu sur ses mesures. “Son discours protectionniste lui avait permis de gagner l’élection de 2016 en coalisant autour de lui tous les oubliés de la mondialisation, dont il a été le premier porte-parole”, note Raphaël Gallardo. Même joueur joue encore.




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