Réunir sur des cimaises non italiennes des pièces emblématiques de la galerie Borghèse à Rome, ça n’avait jamais été fait. C’est donc là l’occasion, unique, de s’en mettre plein les yeux au musée Jacquemart-André qui signe sa réouverture, après une année de travaux, avec cet éblouissant cortège de joyaux de la Renaissance et du Baroque.
Bernin, Botticelli, Caravage, Raphaël, Rubens, Titien… Que du lourd ! A l’origine de cette prestigieuse collection, Scipion Borghèse, neveu du pape Paul V qui le fait cardinal en 1605, s’abandonne sans limites à sa frénésie d’acquisitions. La position privilégiée du prélat dans la galaxie pontificale est un argument de poids pour s’approprier, parfois sous la contrainte, les plus beaux spécimens de la peinture et de la statuaire de son temps. Focus sur trois de ces chefs-d’œuvre montrés à Paris jusqu’au 5 janvier 2025.
Bernin, “Autoportrait à l’âge mûr” (vers 1638-1640)
L’artiste italien accuse à peine 40 ans quand il se figure de trois quart, le visage émacié montrant de légers signes de vieillissement. Ici, Bernin s’est focalisé sur la physionomie, esquissant l’arrière-plan et les vêtements de quelques rapides coups de pinceau qui donnent à l’ensemble un aspect inachevé. Repéré dès l’adolescence par Scipion qui le prend sous son aile, le surdoué du Baroque, héritier de Michel-Ange selon Paul V, est surtout reconnu pour ses sculptures, dont Neptune et le dauphin.
De son abondant corpus pictural (il serait l’auteur de plus de 150 tableaux entre les années 1620 et 1640), seule une douzaine de toiles attribuées à Bernin nous sont parvenues – pour la plupart des portraits et autoportraits de modeste format, loin de la peinture d’histoire qui a alors les faveurs du public. L’Autoportrait à l’âge mûr y a une visibilité particulière puisqu’il servit d’effigie aux billets de 50 000 lires avant l’avènement de l’euro.
Caravage, “Garçon à la corbeille de fruits” (vers 1596)
C’est l’un des premiers chefs-d’œuvre à rejoindre, dès 1607, la collection Borghèse, fruit de la saisie musclée par la garde rapprochée de Paul V d’une centaine de pièces dans l’atelier du cavalier d’Arpin, là même où le jeune Caravage officia comme petite main à ses débuts. Bonne pioche pour le cardinal, commanditaire probable de l’expropriation.
Sur ce tableau de 70 cm de hauteur, tout Caravage est déjà là, avec son réalisme saisissant, jusqu’à restituer le flétrissement des feuilles et la maturation des fruits, la sensualité de la composition qui voit le modèle, bouche entrouverte, pressant contre lui le panier en osier, et le fameux clair-obscur cher au peintre jetant une lumière crue sur l’épaule dénudée de Mario Minniti, l’adolescent de 16 ans qui posa pour le maître en devenir.
Dominiquin, “Sibylle” (1617)
L’avidité du cardinal Borghèse qui, lorsqu’il s’agit d’art, ne connaît plus de bornes, s’exerce aussi aux dépens de Domenico Zampieri, dit le Dominiquin, que le prélat n’hésitera pas à faire emprisonner pour le forcer à œuvrer pour lui. Cette Sibylle, parmi les douze prêtresses d’Apollon aux vertus divinatoires que compte la mythologie grecque, est reconnaissable à son lourd turban torsadé.
Au sujet couramment traité au XVIIe siècle, le peintre ajoute deux éléments insolites : un instrument de musique et un rouleau de partition. Une intrusion dictée par la passion commune pour les sept notes entretenues par le maestro et son commanditaire. Très apprécié à l’époque, comme l’attestent les nombreuses copies qui en ont été réalisées, ce grand format reste une pièce maîtresse de l’inestimable collection du goulu cardinal.
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