Le cycle de mondialisation heureuse ouvert en 1989 à la chute du mur de Berlin s’est refermé en 2022. Désormais, la géopolitique brutale des nations domine nos vies collectives. La guerre en Ukraine, la montée en puissance du nationalisme chinois et la menace islamiste donnent un avantage aux pays dont la lucidité et les moyens leur permettent de répondre à ces différentes menaces. Cette lucidité a longtemps manqué à l’Allemagne, dont les fondamentaux économiques reposaient sur un approvisionnement bon marché en hydrocarbures russes et des exportations de biens industriels vers la Chine. L’amont de ce modèle est cassé par les sanctions et son aval fragilisé par les difficultés économiques opiniâtres de l’empire du Milieu. Quant aux moyens financiers, ils manquent à la France.
Certes, notre pays est protégé par son papapluie nucléaire et son armée qui dispose d’équipements de pointe, dans le domaine aérien notamment. Mais notre endettement public très lourd nous empêche de faire progresser nos dépenses de défense autant qu’il le faudrait, notamment pour tenir lors d’un conflit de moyenne haute intensité. Nous atteignons péniblement 2 % du PIB, alors même que ce chiffre est celui demandé par l’Otan en temps de paix.
La France et l’Allemagne sont en outre affaiblies par une situation politique confuse. En France, personne ne peut dire comment et quand va se terminer le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. En Allemagne, la montée d’une AfD beaucoup plus extrémiste que notre Rassemblement national s’accélère, et rien ne dit que le chancelier Olaf Scholz sera encore au pouvoir après les élections législatives de septembre 2025.
Le “moment populiste” est passé
Invité à participer la semaine dernière à l’impressionnant Forum économique de Karpacz, le plus grand forum économique d’Europe de l’Est, dans les montagnes de la Basse-Silésie, j’ai pu observer à quel point l’ambiance était différente dans un pays comme la Pologne. L’économie polonaise ne représente encore que 4 % du PIB européen. Mais le chômage y est absent, les Polonais ont refusé l’immigration de masse et surtout, la dette publique est inférieure à 60 % du PIB. Ce pays peut donc investir massivement dans sa défense. Ce poste représente déjà 4 % du PIB, plus du double de l’effort français, et se dirige vers les 5 % à brève échéance, ce qui en fera le pays qui, rapporté à la taille de son économie, fournira l’effort le plus important de l’Otan.
Autre point crucial pour comprendre la dynamique politique et économique polonaise : le pays a déjà passé son “moment populiste”. Le centriste et ancien président du Conseil européen Donald Tusk a succédé en 2023 à la tête du gouvernement polonais à Mateusz Morawiecki, du parti Droit et Justice, l’équivalent polonais du RN, resté Premier ministre pendant six ans. Son pays s’éloignait de l’Europe pendant que Tusk travaillait au sein de l’Union. Durant la campagne électorale qui a précédé son retour, ce dernier a clairement dit qu’il avait pour objectif de placer la Pologne au centre de la scène européenne. Tusk est une personnalité remarquable, efficace promoteur du libéralisme économique et de la démocratie libérale. Son gouvernement se consacre en partie à réparer les entailles dans l’Etat de droit constatées sous la mandature précédente.
France-Pologne, l’espoir d’un nouveau départ
Lucide sur la Russie, sur l’immigration de masse et sur le libéralisme économique comme condition du progrès social, la Pologne fait aussi preuve de lucidité énergétique. Le pays a décidé de s’équiper de centrales nucléaires. Malheureusement, le choix polonais s’est porté sur l’américain Westinghouse, et non sur EDF, pour construire sa première centrale. Il faut voir dans cette décision l’insuffisant engagement de l’Union européenne sur le sujet de la souveraineté énergétique, et le relatif mépris français, depuis les années 2000, pour les pays d’Europe de l’Est.
La France signera d’ici quelques mois avec la Pologne un traité de Nancy, accord de coopération bilatérale à l’image des traités d’Aix-la-Chapelle avec l’Allemagne, de Quirinal avec l’Italie et de Barcelone avec l’Espagne. Ce traité couvrira la sécurité, la défense et l’énergie. Espérons qu’il sonne l’heure d’un nouveau départ pour une alliance renforcée.
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