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Blog de Barnier supprimé : ces communicants qui couvent l’”e-réputation” des politiques


Michel Barnier devrait savoir qu’Internet n’oublie rien. Lors de sa nomination, le 5 septembre dernier, il a été remarqué que le nouveau Premier ministre a très récemment supprimé son blog, créé lors de la primaire des Républicains (LR) de 2021. Sur ce site, désormais inaccessible mais dont les différentes pages peuvent être retrouvées dans les archives d’Internet, le candidat d’alors relaie ses déplacements professionnels, ses interviews données dans la presse – le 20 juillet 2022, il republie par exemple un entretien donné au Figaro titré “Le macronisme a vocation à disparaître en 2027”.

Dans un autre de ses éditoriaux, daté de 2021 et intitulé “Retrouver l’honneur du travail”, Michel Barnier étrille, entre autres, les “passagers clandestins” du système social qui vivraient “aux crochets” de l’Etat. Il se prononce pour une “transformation profonde” de l’assurance-chômage ou encore pour l’augmentation du nombre d’heures hebdomadaires travaillées. Interrogé par L’Express sur la suppression de ce blog, dont la dernière version enregistrée par le site Internet Archive remonte à juillet 2024, le cabinet de Michel Barnier a indiqué “ne pas avoir d’éléments” à fournir sur le sujet. On préfère ne pas s’étendre sur ces retraits.

Depuis une vingtaine d’années, nombreux sont ceux à avoir fait l’amère expérience d’un retour de bâton digital – à l’image de Rayan Nezzar, jeune porte-parole de La République en Marche contraint de démissionner cinq jours après sa prise de poste en 2018, mis en cause par d’anciens posts publiés sur son compte Twitter personnel, insultant copieusement diverses personnalités politiques. Plus récemment, la candidate du Rassemblement National (RN) de la première circonscription de Caen n’a eu d’autres choix que de retirer sa candidature au premier tour des élections législatives après qu’une photo d’elle arborant une casquette nazie a été retrouvée sur Facebook, et diffusée de manière virale sur les réseaux sociaux.

“Droit à l’oubli”

Pour éviter ce type de déconvenues, certains communicants et agences se sont spécialisés dans la gestion de la réputation numérique. Depuis 2019 et pour la modique somme de “50 euros pour les particuliers, et 200 à 300 euros pour une personnalité publique”, Malik Amghar a ainsi participé au “nettoyage” des profils numériques de plusieurs centaines de clients via son agence PR Consulting.

“Plusieurs d’entre eux étaient des hommes politiques, souvent novices, et voulaient s’assurer qu’aucune photo compromettante ou qu’aucun post gênant ne puisse ressortir sur les réseaux sociaux. Lorsqu’ils sont présents sur Internet depuis 15 ou 20 ans, leur empreinte numérique est énorme : ils veulent tout effacer”, explique l’entrepreneur. Derniers exemples en date ? Un jeune candidat à un poste d’élu municipal, gêné par les messages – peu matures – laissés sur son compte X (ex-Twitter) à ses 16 ans ; un aspirant à un poste politique “au niveau européen” qui souhaitait nettoyer ses abonnements automatiques sur la même plateforme – des comptes pro-russes, ou pornographiques, notamment – ; ou encore un “employé du Sénat” soucieux de dé-référencer de vieux articles de presse évoquant une affaire judiciaire dans laquelle il avait été mis en cause, avant d’être blanchi.

Pour satisfaire ces demandes, Malik Amghar s’appuie sur un système développé avec l’intelligence artificielle, lui permettant de supprimer toutes les photos ou messages générés par les propres comptes de ses clients. Pour le reste, ses équipes s’occupent de réaliser des demandes manuelles de suppression auprès d’anciens “amis” Facebook, ou de déposer des réclamations directes sur les sites des plateformes dédiées au fameux “droit à l’oubli”. Depuis 2014, ce droit défini par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) permet aux usagers de demander le retrait de certaines informations publiées en libre accès sur Internet et qui pourraient leur porter préjudice, par suppression de ces informations sur le site d’origine ou par un déréférencement de la page relayant ces données par les moteurs de recherche eux-mêmes. Selon les données publiées par Google, plus d’1,2 million de demandes ont été enregistrées en ce sens en France depuis dix ans, dont plus de 50 % ont abouti.

“On ne peut évidemment pas demander le retrait de tout et n’importe quoi : il s’agit de données sensibles, pénales ou relevant de la vie privée, qui, en parallèle, ne relèvent pas ou plus du droit à l’information du public”, précise l’avocat spécialiste du numérique Alexandre Lazarègue. “Evidemment, plus vous êtes connu, plus ces demandes risquent de ne pas aboutir”, développe-t-il. C’est ainsi que la grande majorité des experts en communication contactés par L’Express avertissent du caractère indélébile des informations publiées sur les réseaux sociaux par les personnalités politiques. “Même si on tente de le supprimer, tout ce qui a un jour été publié sur le web risque d’être retrouvé : même les plus petits élus peuvent se faire surprendre par une capture d’écran prise par l’opposition, ou par une prise de position contradictoire laissée sur un site des années auparavant”, met en garde Axel Thomasset, partenaire en charge de l’e-réputation chez Havas Paris.

“Quand ça se sait, vous êtes ridiculisé”

Pour éviter le tant redouté “bad buzz”, le communicant Edouard Fillias, co-fondateur de l’agence Jin, recommande à ses clients de lui confier “toutes les informations positives ou négatives” qui pourraient ressortir d’Internet, afin de préparer d’éventuelles stratégies de communication sur le sujet. “Mais souvent, les personnalités politiques sont leurs propres ennemis : par déni ou par fierté, elles refusent de nous avertir sur certains contenus”, regrette le spécialiste, qui a notamment travaillé avec “plusieurs leaders de la droite et du centre” sur le sujet de leur e-réputation. Lorsque l’information sort finalement dans la presse ou sur les réseaux sociaux, ces derniers comprennent que la suppression préalable de leurs contenus n’a pas suffi, voire s’est avérée contre-productive. “Le problème, c’est que quand ça se sait – et ça finit toujours par se savoir -, vous êtes ridiculisé”, déplore-t-il.

Pour assurer la crédibilité en ligne de ses clients, Edouard Fillias conseille d’ailleurs de travailler sur une stratégie bien plus globale autour de la réputation numérique. “Notre travail, ce n’est pas seulement de calmer la tempête quand elle arrive. C’est aussi de construire une image cohérente de nos clients, en installant des contenus de référence sur leurs pages personnelles, en multipliant les interventions dans les médias traditionnels pour obtenir un bon référencement naturel, en choisissant une ligne éditoriale claire sur leurs réseaux sociaux…”, liste-t-il.

Cette expertise, qui nécessite la plupart du temps une équipe complète, des stratégies réfléchies et une fine connaissance des codes sur Internet, peut coûter cher – “jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros par an”, selon le communicant. Un investissement important, loin de rentrer dans le budget de tous les candidats, parfois dépassés par le sujet de leur réputation numérique. “Beaucoup d’élus ne savent pas gérer cette matière en constante évolution, ou recrutent des collaborateurs vite débordés”, explique Edouard Fillias.

Tentatives de caviardage

Dans le monde très subtil de la communication politique, de grossières erreurs peuvent ainsi desservir les personnalités les plus soucieuses de préserver leur image. Valentin, contributeur sur la plateforme Wikipédia depuis une dizaine d’années, s’amuse ainsi des tentatives peu habiles de certains collaborateurs politiques pour modifier les pages Wikipédia de leurs patrons. “Au début de chaque mandature, on a des assistants parlementaires qui tentent le coup : ils ajoutent, modifient ou suppriment des informations, sans aucune neutralité. Ça peut aller du simple ajout de toutes les commissions auxquelles ont un jour participé leur député à la vraie tentative de caviardage”, regrette le jeune homme. Pour dissuader les communicants les plus audacieux, la communauté Wikipédia répertorie chacun de ces cas sur une page dédiée, sobrement intitulée “Instrumentalisation et ripolinage de Wikipédia”.

Y sont notamment épinglés les cas de Laetitia Avia, députée LREM qui aurait demandé à ses collaborateurs de modifier à son avantage sa fiche Wikipédia, d’Eric Zemmour (Reconquête), dont les équipes de campagne auraient tenté d’arranger le contenu de certains articles en sa faveur, ou encore de Laurent Wauquiez (LR), pour lequel quatre internautes – dont deux identifiés comme de proches collaborateurs – tenteraient depuis 2018 d’orienter sa biographie à son avantage.

“Ma recommandation aux personnalités politiques sur le sujet est évidemment de ne jamais toucher à leur page Wikipédia. À partir du moment où vous modifiez ou supprimez un contenu, vous avouez que vous n’assumez plus ce qui a été dit dans le passé… Ce qui n’est pas vraiment souhaitable en termes d’image”, souligne Axel Thomasset, selon lequel certains politiques “ne se rendent pas encore bien compte des enjeux liés à leur réputation numérique”.




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