“Je ne suis pas Joe Biden, et je ne suis certainement pas Donald Trump. Je suis d’une nouvelle génération de leaders.” Cette formule lâchée pendant le débat du 10 septembre, en apparence passe-partout, a été préparée à la syllabe près par Kamala Harris, avec un objectif bien précis : définir sa candidature. La forme aussi avait son importance, puisque la vice-présidente a délivré sa punchline avec une de ses mimiques qui la caractérisent, dans la solennité de son tailleur noir Dior. Joviale mais sérieuse, jeune mais expérimentée. Voilà l’image que Harris entend projeter dans cette campagne express.
La vice-présidente sait qu’elle reste relativement inconnue à l’échelle des 50 Etats américains. Figure familière en Californie depuis plus de vingt ans, Harris n’a fait irruption sur la scène nationale qu’en 2017, comme sénatrice, avant d’entrer par la petite porte de la vice-présidence à la Maison-Blanche. Avant le débat contre Trump, environ 40 % des électeurs d’Etats pivots (Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin) ne connaissaient d’elle que son statut de colistière de Joe Biden. “Chaque citoyen américain a déjà un avis tranché sur Donald Trump, souligne James Adams, politologue à l’université de Californie, à Davis. Mais les électeurs s’interrogent encore sur Kamala Harris. Or la manière dont elle est perçue déterminera le résultat de la présidentielle, et elle doit absolument réussir à se définir avant que la campagne Trump ne le fasse pour elle.”
A ce titre, le débat lui a rapporté des points précieux. Depuis deux mois, la campagne Trump la dépeint comme une arriviste, faible et stupide. “Pendant cette confrontation, elle a pu montrer qu’elle était forte et raisonnée, ce qui rend très difficiles les attaques de l’équipe Trump sur ce terrain”, estime James Adams. Si les Américains peinent tant à caractériser Kamala Harris, c’est sans doute parce qu’ils ne l’attendaient pas à ce niveau. Ces derniers mois, les médias, et notamment la presse pro-démocrate, ont multiplié les attaques contre cette vice-présidente impopulaire (dans les sondages), dépourvue de talent oratoire (selon le New York Magazine) et qui embarrassait son camp avec “son rire étrange” (d’après le New York Times). L’establishment en était persuadé : le premier défaut de Biden était son grand âge, le second sa colistière.
@lexpress @kamalaharris avait tout à perdre dans ce premier débat face à Donald Trump : elle n’a rien perdu. L’analyse de notre journaliste. harris trump sinformersurtiktok apprendreavectiktok usa
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Mais le 21 juillet, le destin de Harris bascule : Biden renonce à sa réélection et lui passe le flambeau. En trois jours, l’ensemble du parti se range derrière elle. “Il s’est passé ce que personne n’avait prédit : elle est devenue présidentielle et présidentiable du jour au lendemain, relate Tara Varma, de la Brookings Institution, à Washington. Elle a saisi cette opportunité d’une manière impressionnante.” Certes, ses proches ont réalisé un immense travail en coulisses pour rallier les cadres du parti démocrate avant même l’abandon de Biden. Mais le caractère enjoué de Harris, son énergie et même son rire galvanisent une partie de l’Amérique, démoralisée d’avance par la bagarre d’octogénaires qui se profilait. “Elle a renversé la table pour les démocrates parce qu’elle représente les changements de la société américaine, tout en étant elle-même très américaine dans son attitude”, poursuit Tara Varma.
“Cette campagne, c’est du Kamala tout craché”
A 59 ans, la Californienne électrise la campagne. Biden misait tout sur la peur d’un dictateur Trump, Harris le dépeint seulement comme “un mec bizarre”. L’air devient plus léger, l’espoir soulève les foules démocrates et le problème de l’âge change de camp, devenant un fardeau pour les républicains. Mais la communication n’est pas tout. Sur le fond aussi, Harris progresse à vitesse grand V. En 2019, sa première campagne présidentielle avait été calamiteuse : alors qu’elle faisait partie des trois favoris des primaires démocrates, elle avait dû abandonner avant même le premier scrutin dans l’Iowa, minée par les querelles internes et des sondages catastrophiques.
Mais la Californienne apprend de ses erreurs. “Elle est très loin d’être la candidate qu’elle était en 2019, avance William Galston, un ancien de l’administration Clinton. Non seulement ses positions politiques sont plus modérées, mais elle se montre aussi plus solide et articulée sur la politique étrangère et sur le patriotisme. Ce sont des points forts du président Biden. Elle l’a observé de près et a beaucoup appris à ses côtés.”
C’est une caractéristique que ses proches partagent volontiers : Kamala Harris ne lâche jamais rien. “Cette campagne, c’est du Kamala tout craché, sourit Marcia Godwin, une universitaire californienne qui la fréquente depuis vingt ans. Dès qu’elle entre sur une nouvelle scène, elle galère, elle échoue puis elle travaille pour trouver la solution. Et la fois d’après, elle renverse tout !” Pour passer le barreau en Californie, devenir procureure puis procureure générale, sénatrice et enfin vice-présidente, Harris a toujours dû batailler et briser des plafonds de verre. Sa “méthode”, qui mêle persévérance et optimisme, lui permettra peut-être d’en pulvériser un nouveau.
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