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Mahsa Amini, deux ans après : que reste-t-il de la révolution en Iran ?


Il y a deux ans, une révolution partait d’un cimetière. Un cimetière, dans la ville de Saqez, dans la région du Kurdistan, au nord-ouest de l’Iran. Une région de montagnes et de rivières, habitée par un peuple qui sous la loi de la République islamique doit taire sa langue et sa différence. De la tombe de Mahsa Amini, 22 ans, est née le slogan “Femme, Vie, Liberté”, qui se répandra dans tout l’Iran.

Pourquoi cette mort-là plutôt qu’une autre, alors que dans l’Iran contemporain, les jeunes femmes sont régulièrement harcelées par la police des mœurs ? Peut-être parce que Jina (son prénom en kurde) ne revendiquait rien de spécial, c’était juste une étudiante de province en visite dans la capitale, qui ne portait pas de message politique et qui a vu sa vie brisée par l’acharnement des autorités. Pour un voile devenu obligatoire depuis la révolution islamique de 1979 en Iran.

Deux ans après, le souffle de ce mouvement qui aura fait tomber, pour la première fois, le voile des femmes en République islamique, n’est pas éteint. Il en reste une génération qui refuse de se plier aux lois obsolètes d’un régime au pouvoir depuis 45 ans, qui ne représente plus guère qu’une petite frange de la population. Il en reste des vidéos de jeunes femmes qui se dévoilent et les diffusent sur les réseaux sociaux, et dont les images sont régulièrement diffusées par des militantes en exil, comme Masih Alinejad. Il reste un Prix Nobel de la paix 2023, Narges Mohammadi, dont la santé se détériore et qui se voit refuser des soins.

Pour commémorer la mort de la jeune Mahsa Amini, trente-quatre femmes de la prison d’Evin, à Téhéran, où sont détenus les prisonniers politiques, se sont mises en grève de la faim. Liées au mouvement de protestation, elles font face à un harcèlement accru, comme le note l’universitaire Iris Farkhondeh, enseignante-chercheuse à la Sorbonne Nouvelle. Autre technique d’intimidation : le refus du droit de visite et de contact avec ses proches. C’est le cas de Narges Mohammadi, qui ne peut communiquer directement avec son mari et ses enfants. Des nombreuses ex-détenues ont aussi témoigné des viols et agressions sexuelles subis en prison.

Pendaisons et harcèlements

Si le mouvement ne connaît pas aujourd’hui les manifestations massives d’il y a deux ans, c’est aussi parce que le régime islamique fait usage sans limites de son arme la plus radicale, la condamnation à mort, pour contrer les manifestants. Le cas du rappeur Toomaj Salehi a été médiatisé à l’international, mais de nombreux détenus sont exécutés sans bruit. Sont particulièrement visées les minorités, comme les Baloutches, très actifs dans le mouvement de 2022, et les Kurdes, met en avant Iris Farkhondeh, qui suit de près les informations venues d’Iran pour les diffuser sur les réseaux sociaux.

Les journalistes sont aussi particulièrement ciblés. Le cas emblématique est celui des deux reporters qui ont révélé l’affaire Mahsa Amni : Elaleh Mohammadi et Niloofar Hamedi. Comme l’indique Jonathan Dagher, chef du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières, elles ont été libérées sous caution mais sont toujours sous la menace d’une réincarcération et ne savent rien de leur avenir. Les journalistes locaux font l’objet d’un harcèlement et d’une surveillance accrue, qui empêchent toute information libre. C’est aussi le cas des journalistes étrangers, dont la venue est strictement encadrée.

Pour la sociologue Mahnaz Shirali, “l’apparence de calme en Iran aujourd’hui est fausse. A tout moment, la société peut exploser.” Mais cette explosion ne signifie pas pour autant un renversement du régime, car il reste structurellement bien implanté, notamment en possédant les leviers économiques. Et aussi parce que la communauté internationale, préoccupée par le dossier du programme nucléaire iranien, refuse de prendre des positions radicales, comme le placement des Gardiens de la révolution, la milice du régime, sur la liste des organisations terroristes. Et ce malgré le soutien avéré de la République islamique au Hamas, aux Houthis, qui déstabilisent le commerce mondial dans le détroit de Bab El-Mandeb, et au Hezbollah libanais.

Aujourd’hui, les autorités iraniennes surveillent même les cimetières, ou mettent du temps à rendre les corps des personnes exécutées. Pour éviter tout rassemblement sur les tombes. Par peur qu’une autre révolution née d’un cimetière vienne secouer l’édifice anachronique de la République islamique.




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