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Thierry Breton : les coulisses de son départ fracassant de la Commission européenne


A Bruxelles, le siège de la Commission européenne au croisement de la rue de la Loi et du boulevard Charlemagne a été construit sur les ruines d’un ancien pensionnat de jeunes filles dirigé par les chanoinesses de saint Augustin. Mais la tempérance du philosophe romain a depuis longtemps déserté les lieux. Dans la citadelle de Berlaymont, les destins se font et se défont plus vite que l’institution se réforme. Thierry Breton, le commissaire français – sortant – au Marché intérieur vient d’en faire l’amère expérience. Alors qu’il y a encore une semaine, l’ancien patron d’Atos se coulait déjà, pour son deuxième mandat à Bruxelles, dans le costume de vice-président exécutif de la Commission, le voilà qui fait aujourd’hui ses valises.

Ce lundi 16 septembre dans un courrier adressé à la présidente de la Commission et publié sur le réseau social X, Thierry Breton a annoncé sa démission, avec effet immédiat. Surtout, il ne mâche pas ses mots, accusant très clairement Ursula von der Leyen d’être à l’origine de ce choix. Allant même jusqu’à qualifier sa gouvernance de “douteuse”. Quelques heures plus tard, l’Elysée proposait à von der Leyen un nouveau nom : Stéphane Séjourné, ministre des affaires étrangères démissionnaire et ancien député européen.

“C’est Dallas à Bruxelles”, observe un eurodéputé français. Que s’est-il passé en une semaine ? “Curieusement et avec un peu de retard, la machine anti-Breton s’est mise en marche et des intérêts auparavant divergents se sont alignés”, raconte un autre haut fonctionnaire européen. Au cœur de l’affaire, la taille du portefeuille qu’Emmanuel Macron souhaite voir attribué à la France. Depuis des années et singulièrement depuis la guerre en Ukraine, le président français a fait de l’autonomie stratégique du Continent le pilier de sa politique européenne. Une vision que le représentant de la France au collège des commissaires doit incarner.

Un périmètre vaste qui englobe aussi bien la réglementation de l’intelligence artificielle ou celle des grandes plateformes du numérique, que la reconquête industrielle dans des secteurs stratégiques comme l’IA, les biotechs, les batteries électriques, les métaux rares ou la consolidation d’une industrie européenne de la défense. Déjà, il y a cinq ans, l’étendue du portefeuille accordé à la France avait surpris certains Etats membres. Mais là, cette fois, le poids donné au futur commissaire français a fait sérieusement tiquer certaines capitales, notamment Rome, qui demande également un poste de vice-président exécutif.

La vision et l’influence de la France d’abord

Un début de “bronca” que la présidente de la Commission a habilement utilisé pour se débarrasser d’un ennemi. Entre elle et Thierry Breton, les relations ont au fil des années tourné à la guerre de tranchées. Au printemps déjà, elle avait menacé l’Elysée de poser son veto sur un possible deuxième mandat de Breton et Emmanuel Macron s’était presque résolu à ne pas reproposer l’ancien patron d’Atos comme futur commissaire français. Mais la dissolution du 9 juin, et le pataquès politique qui avait suivi, avait incité le président français à jouer la carte de la continuité.

Pour von der Leyen, l’agacement de certaines chancelleries ces derniers jours et l’hostilité de certains poids lourds du Parlement européen envers Breton l’auraient convaincue de remonter au créneau. Avec à la clé un curieux marchandage : Oui pour un “super-portefeuille” à la France, mais non pour Thierry Breton. Emmanuel Macron, qui cherche encore à peser sur la scène européenne, aurait tranché : la vision et l’influence de la France d’abord. Un “deal” gagnant-gagnant pour le locataire de l’Elysée et la présidente de la Commission. D’autant qu’en coulisses, au Parlement européen, une partie de la gauche, mais aussi des poids lourds de la droite du PPE, fourbissaient leurs armes contre Breton en vue de son audition, pointant les responsabilités de l’ancien patron dans la débâcle du géant Atos.

Reste à savoir si le président français à un fait le bon choix. “L’influence d’un commissaire ne se résume pas à un titre ronflant”, souligne un proche de la Commission. Lors de la précédente mandature, Margrethe Vestager, auréolée de son combat contre les Gafa, avait certes été propulsée vice-présidente de la Commission, mais elle avait été rapidement éclipsée, par Breton notamment. “Le poids politique compte, mais les compétences aussi. Or sur ces sujets industriel et numérique, Stéphane Séjourné est plutôt un novice”, attaque un bon connaisseur des arcanes bruxelloises.

Dans son costume de commissaire européen, l’ancien ministre des Affaires étrangères aura la lourde tâche de mettre en musique une bonne partie du rapport Draghi. Et notamment convaincre ses partenaires du collège de l’opportunité de lancer un nouveau grand emprunt européen. C’est à l’aune de ce résultat que l’on jugera de l’influence ou non de la France, et de son nouveau commissaire.




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