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Viols de Mazan : au-delà de l’horreur, un électrochoc pour toute la société


Bien sûr, il y a l’horreur. L’horreur des faits subis par Gisèle Pelicot, violée durant plus de dix ans, par des dizaines d’hommes avec la complicité de celui qui était encore son époux. Des viols commis au domicile conjugal alors qu’elle était en situation de soumission chimique, filmés et conservés dans l’ordinateur de son mari, Dominique Pelicot. Des viols découverts en 2020 seulement et qui ont créé un électrochoc dans cette famille provençale si tranquille. Mais les premiers jours du procès de Dominique Pelicot et de ses 50 coaccusés, ouverts depuis le 2 septembre devant la cour criminelle du Vaucluse, montrent que les répliques de “l’affaire des viols de Mazan” vont bien au-delà de la sphère intime de la famille Pelicot. Elles ébranlent la société française tout entière. Pour au moins cinq raisons.

L’affaire révèle la banalité de la “culture du viol”

Dominique Pelicot et ses coaccusés ont l’allure de Monsieur-tout-le-monde, de nos voisins, de nos compagnons, de nos frères. Des hommes ordinaires – ils sont pompier, artisan ou ex-policier, ont 20 ans ou 60 – capables d’aller sur un site, d’accepter d’avoir des relations sexuelles avec la femme d’un autre et de la violer alors qu’elle est visiblement inconsciente. Mazan montre que le viol n’est pas l’apanage de pervers ou de tordus, l’histoire d’un dérapage ou d’un malentendu, comme nos imaginaires populaires l’entendent encore trop souvent, mais que n’importe qui peut commettre ce crime.

Elle dévoile l’étendue de la soumission chimique

Longtemps la soumission chimique a été traitée avec légèreté parce que liée au milieu de la fête et aux histoires de boîtes de nuit. Des affaires individuelles – celle de Laurent Bigorgne, le directeur général de l’Institut Montaigne, l’accusation contre le sénateur Joël Guerriau – avaient déjà montré que son utilisation s’était répandue dans tous les milieux.

Avec Mazan, la soumission chimique fait une irruption violente dans le quotidien banal d’une famille française. Les mots d’un avocat des accusés, lâchant “il y a viol et viol”, sous-entendant que, parce qu’il pensait la victime endormie mais consentante, son client n’avait pas violé, résonnent comme une provocation.

Elle interpelle sur la face sombre d’Internet

Pendant des années, ces viols en réunion ont pu être réfléchis, décidés et prémédités sur Internet : il a suffi aux agresseurs de Gisèle Pélicot de s’inscrire gratuitement sur la plateforme en ligne “Coco.gg”, de s’y identifier sous un pseudo anonyme, puis d’y échanger des messages éphémères, sans aucun archivage, aucune modération et aucun filtre. Alors que la plateforme n’a été définitivement fermée qu’en juin 2023 en France – malgré des demandes de suppression depuis 2017 –, les accusés ont ainsi pu profiter de “l’annonce” de Dominique Pélicot sans crainte d’être interpellés ou retrouvés.

Elle effraie par sa part de hasard

Il n’a tenu à un fil que nous ne sachions rien. Dominique Pelicot n’a pas été arrêté pour les faits de viol qui lui sont aujourd’hui reprochés. Mais pour avoir filmé sous les jupes de trois femmes dans un supermarché du Vaucluse. Il a fallu la vigilance des vigiles, puis la plainte des femmes concernées pour que l’enquête de police découvre les photos, vidéos et éléments conservés dans l’ordinateur du mari.

Dix ans plus tôt, en 2010, il avait été arrêté pour des faits similaires de voyeurisme, mais son épouse n’avait pas été mise au courant. Dans les premiers jours du procès, elle a regretté de ne pas avoir été alertée.

Elle nous oblige en raison de la dignité de la victime

Dès le premier jour, Gisèle Pelicot, désireuse d’une “publicité complète, totale, jusqu’au bout” a refusé que son procès se tienne à huis clos. Plus tard, elle a demandé aux médias qui ont, jusque-là utilisé une initiale pour la désigner, d’écrire et de dire son nom. Sa dignité, perceptible chaque jour dans les images et dans ses propos devant la Cour, contraste avec les dérobades des 51 mis en cause, certains apparaissant masqués. Seule une minorité a reconnu les faits, la majorité d’entre eux se défendent en évoquant un scénario libertin imaginé par le mari. Mais Gisèle Pelicot n’est pas une femme soumise et tient à le faire savoir. Elle a été droguée et violée. Elle reste victime mais ne s’enferme pas dans une posture victimaire.

Le procès est prévu pour durer quatre mois jusqu’au 20 décembre. De longs jours et de longues semaines qui seront sans doute parfois insoutenables par les faits invoqués ou par les défenses avancées par les accusés. Mais des jours et des semaines dont on peut espérer qu’ils contribueront à une prise de conscience sur l’horreur qu’il y a à considérer que l’on peut être tout-puissant sur le corps d’une femme. Déjà, les premiers jours ont montré que “l’affaire Gisèle Pelicot” nous concernait tous. Il nous reste un peu plus de trois mois pour en tirer les leçons.




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