Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier : que celui qui n’a jamais entendu son conseiller lui seriner cette maxime nous jette la première pierre ! Il est vrai que la diversification est une notion clé en gestion de patrimoine. Quelles classes d’actifs privilégier ? Quelle part de son patrimoine y consacrer ? Attention aussi aux arnaques. Trois banquiers privés ont livré à L’Express leurs conseils pour améliorer la performance globale de votre portefeuille.
“Le principal moteur d’une collection d’art est le plaisir”
Mathilde Courteault, responsable du département Art de Neuflize OBC, révèle la ligne conductrice à adopter pour investir sereinement dans ce domaine bien spécifique.
L’Express : Quel placement de diversification recommandez-vous ?
Mathilde Courteault : Créé il y a vingt-cinq ans au sein de la banque privée Neuflize, Neuflize OBC Art accompagne aussi bien les novices souhaitant se lancer dans l’art que les collectionneurs avertis. Nos domaines d’expertise sont très vastes et couvrent aussi bien les bijoux, les voitures de collection, les tableaux, les dessins et la sculpture – entre autres. Nous réalisons des inventaires de collections, accompagnons nos clients dans la vente de leurs œuvres et les aidons également dans leurs acquisitions.
Qu’apporte l’art à un patrimoine ?
Le principal moteur d’une collection est le plaisir. L’art relève de l’affect et de l’arbitraire. Posséder une œuvre, c’est avoir une petite part de l’histoire de l’art chez soi et s’en réjouir au quotidien ! En ce sens, il ne s’agit pas d’un investissement traditionnel, car les goûts personnels ne correspondent pas toujours aux pièces qui vont le mieux se valoriser dans le temps. Viser uniquement la plus-value peut d’ailleurs entraîner de grandes déceptions, d’autant que le marché est difficile à prévoir : des artistes très en vogue aujourd’hui peuvent être moins appréciés dans dix ans. Il est intéressant de constater qu’actuellement ce sont les ventes d’importantes collections privées qui attirent le plus d’attention. Les acheteurs y recherchent “l’œil du collectionneur”, la cohérence qu’il a donnée à ses acquisitions tout au long de sa vie.
Cependant, investir dans l’art permet aussi de diversifier son patrimoine avec des actifs tangibles. A partir d’une certaine somme, il est naturel de penser à la revente. Pour bien acheter, deux règles principales sont à suivre. Premièrement, il faut se concentrer sur des artistes reconnus par le marché, avec une œuvre riche et diversifiée, représentée dans des institutions culturelles ou muséales et de grandes collections privées. Deuxièmement, toujours préférer une œuvre de très grande qualité, au pedigree impeccable, à plusieurs œuvres de qualité moyenne. Cela ne garantit pas une plus-value à terme, mais limite considérablement le risque.
Est-ce adapté à tout le monde ?
L’achat d’art dépend bien sûr des moyens financiers car les prix peuvent atteindre des sommets, mais il est possible de trouver de très belles pièces à des prix abordables. Cependant, il ne faut pas investir au-dessus de ses moyens, car la rentabilité n’est jamais garantie. Il est aussi important d’avoir la capacité d’ajuster son budget pour acquérir l’œuvre qui vous plaît vraiment.
Comment s’y prendre en pratique ?
Souvent, les premiers achats sont timides et portent sur des objets peu coûteux, puis le collectionneur évolue et ses goûts s’affirment. Il est préférable d’éviter la monocollection pour limiter les risques. Avoir du temps devant soi est tout aussi essentiel : il faut généralement une génération pour qu’un artiste soit pleinement reconnu. Ce n’est pas un marché où l’on peut espérer obtenir des gains rapides. A ce titre, nous suivons l’évolution des goûts et les tendances pour conseiller les collectionneurs sur l’opportunité de réaliser des arbitrages au sein de leur collection et ce, au moment opportun.
“Le ‘private equity’, une source majeure de performance”
“Financer des entreprises non cotées est un investissement rentable, mais nécessite d’immobiliser ses capitaux pendant au moins dix ans”, rappelle Pascale Seivy, directrice commerciale France de Lombard Odier.
L’Express : Quel placement de diversification recommandez-vous ?
Pascale Seivy : Nous avons développé depuis quinze ans une expertise dans le “private equity” (ou capital-investissement, c’est-à-dire le financement d’entreprises non cotées), qui a permis aux clients de Lombard Odier d’investir dans plus de 5 500 entreprises non cotées. Choisir une entreprise non cotée est tangible pour les investisseurs et permet d’investir en dehors des marchés boursiers. 87 % des firmes américaines ne sont pas cotées en Bourse !
Qu’apporte le private equity à un patrimoine ?
Il permet de participer à l’économie réelle et de bénéficier des perspectives de croissance des sociétés avant leur entrée en Bourse. Ces dernières années, il a été une source majeure de performance. Il s’agit d’un placement illiquide permettant d’obtenir une prime de performance en raison de cette absence de liquidité. Selon Cambridge Associates, ce type de fonds a dégagé une rentabilité moyenne de 16 % par an au cours des quarante dernières années. La performance varie cependant selon la stratégie choisie et la maturité de l’entreprise ciblée.
Par exemple, le capital-risque finance des entreprises très jeunes et risquées, avec une attente de rentabilité plus élevée. En revanche, le capital-développement investit dans des structures déjà rentables souhaitant croître, présentant un niveau de risque moindre.
Est-ce adapté à tout le monde ?
Oui, à condition de disposer d’un horizon de temps adapté. Cette catégorie de placements s’est beaucoup démocratisée et il existe aujourd’hui des supports accessibles avec un ticket d’entrée beaucoup plus faible qu’auparavant. Cela permet aux épargnants en quête d’investissements tangibles et compréhensibles de participer à cette aventure. Cependant, il est important de ne pas avoir besoin de la somme allouée à ce placement à court terme, car les capitaux sont généralement immobilisés pendant dix ans, voire plus, le temps de finaliser les stratégies de sortie.
La vie d’un fonds suit traditionnellement deux phases, formant une courbe en J en termes de performance. Tout d’abord, l’investisseur s’engage sur un montant. Le gérant appelle les capitaux au fur et à mesure de ses besoins sur trois à cinq ans. La deuxième phase, dite de distribution, permet au gérant de commencer à sortir les capitaux des entreprises à mesure que les objectifs sont atteints. Cela peut se faire via des reventes ou des introductions en Bourse, redistribuant ainsi les gains à l’investisseur.
Comment s’y prendre en pratique ?
Nous recommandons généralement d’investir de 5 à 10 % de son patrimoine financier dans le private equity. La meilleure stratégie consiste à passer par un fonds. En gestion de fortune, il est souvent nécessaire d’apporter 100 000 ou 200 000 euros. Il est préférable de s’en remettre à un gestionnaire de patrimoine qui proposera des supports rigoureusement sélectionnés. En effet, dans le monde du non-coté, la dispersion des performances est plus importante que dans l’univers du coté, rendant le choix des gérants primordial.
Pour des patrimoines plus modestes, il peut être intéressant d’investir via des fonds de fonds. Ces derniers sont diversifiés au niveau des gérants, des secteurs et des zones géographiques, mais aussi des millésimes d’investissement. Chez Lombard Odier, nous avons adopté une approche très sélective : nous proposons à nos clients des fonds maison, mais nous sélectionnons également des fonds externes auprès des meilleurs gérants, offrant ainsi une gamme complète.
“Les infrastructures sont portées par quatre mégatendances”
Le financement de ces actifs essentiels à la société est en plein essor, souligne Claire Roborel de Climens, responsable des investissements non cotés et alternatifs de BNP Paribas Wealth Management.
L’Express : Pourquoi recommandez-vous l’investissement en infrastructures ?
Claire Roborel de Climens : Chez BNP Paribas Wealth Management, nous croyons fermement aux actifs non cotés et avons été précurseurs dans l’accès des clients privés à ces placements, en commençant par le private equity. Le financement d’infrastructures est plus récent, avec notre première offre lancée il y a trois ou quatre ans. Historiquement, ces fonds avaient des horizons d’investissement à très long terme (minimum quinze à vingt ans), difficilement compatibles avec les contraintes des clients privés. Cependant, depuis quelques années, des produits avec des durées de vie de dix à douze ans et des stratégies de création de valeur ont émergé.
Cet investissement est porté par quatre mégatendances : la décarbonation (énergies renouvelables, efficacité énergétique) ; la déglobalisation (unités de production locales, sécurité énergétique) ; la numérisation (infrastructures liées à la consommation de données, avec en particulier le développement de l’intelligence artificielle) et le changement démographique (urbanisation, traitement des déchets, transports et infrastructures sociales comme les crèches et les cliniques).
Qu’apportent les infrastructures à un patrimoine ?
Elles offrent une bonne visibilité et génèrent des revenus réguliers. D’ailleurs, chez les grands investisseurs institutionnels (assureurs, caisses de retraite, etc.), la part des investissements dans les infrastructures est passée de 3 à 6 % en dix ans. Pour les particuliers, cela reste encore émergent, mais nous constatons un intérêt croissant en raison de la diversification qu’apporte cette classe d’actifs dans un patrimoine, y compris par rapport au private equity traditionnel. Ce regain d’intérêt s’explique aussi par la capacité des infrastructures à se couvrir contre la hausse des prix, grâce à des contrats de long terme indexés sur l’inflation. En outre, ce placement est décorrélé des autres classes d’actifs et s’avère résilient en période de crise. Les fonds visent généralement un taux de rendement interne (TRI) à deux chiffres.
Est-ce adapté à tout le monde ?
Cet investissement attire les particuliers car il concerne des actifs essentiels à la société et à la vie quotidienne. Cependant, les montants minimums d’investissement demeurent élevés, ce qui peut constituer un frein. De plus, il s’agit d’un placement de diversification, à long terme, illiquide et risqué. Il faut donc investir en toute connaissance de cause.
Comment s’y prendre en pratique ?
Nous avons créé des supports “nourriciers” pour accéder à ces fonds, normalement dédiés aux investisseurs institutionnels avec des tickets d’entrée de l’ordre de 10 millions d’euros. Réglementairement, ces fonds nourriciers peuvent être souscrits à partir d’un minimum de 100 000 euros. Nous étudions également la possibilité de proposer une unité de compte, accessible via l’assurance-vie, avec un montant bien moindre. Nous envisageons aussi le lancement d’un fonds evergreen, c’est-à-dire ouvert et semi-liquide. Par rapport aux véhicules fermés, ces derniers offrent un peu plus de flexibilité, même s’ils restent des supports de long terme.
Comme pour toutes les classes d’actifs non cotés, il est essentiel de se montrer prudent et très sélectif dans le choix du support. Chez BNP Paribas Wealth Management, nous examinons les historiques de performances des gérants et privilégions ceux ayant déjà traversé des crises. Nous constatons un écart de performance significatif – de l’ordre de 8 % par an – entre les meilleurs fonds et les moins performants.
Un article du dossier spécial “Les meilleurs placements de la rentrée”, publié dans L’Express du 19 septembre.
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