Partout, le chaos. Dans les rues de Beyrouth, ce mardi 17 septembre, les blessés se comptent par centaines, avec des mains arrachées ou l’abdomen en sang. Des morts, aussi, sont à déplorer. L’atmosphère a un goût de 4 août 2020, quand la déflagration de son port avait dévasté la capitale libanaise. A travers tout le Liban, plus de 2 800 personnes ont été blessées par des explosions simultanées de bipeurs, ces moyens de communication rudimentaires dont s’équipent les membres du Hezbollah pour échanger, persuadés qu’ils empêchent toute interception par Israël. Mais l’Etat hébreu, vers lequel tous les regards se tournent, a surpris la milice chiite par une opération à distance d’une ampleur inégalée et d’une portée inédite.
“Jamais le Hezbollah n’avait connu une telle faille sécuritaire dans son histoire, relate Lina Khatib, chercheuse associée à la Chatham House et spécialiste de la milice chiite. Si l’impact sur ses capacités opérationnelles reste limité, il s’agit d’un revers psychologique terrible, qui expose de manière béante la vulnérabilité du Hezbollah.” Des milliers de ses combattants ont été blessés par le petit bipeur dans leur poche, qui leur avait été livré depuis l’Iran ces derniers mois. De véritables bombes miniatures, fournies par l’organisation chiite elle-même.
Sans outil de communication, le Hezbollah dos au mur
Si son secrétaire Hassan Nasrallah, qui prononcera jeudi un discours télévisé, semble indemne, la situation de son état-major reste inconnue. D’après la presse saoudienne, de nombreux responsables de la milice libanaise ont été blessés et certains de leurs proches tués. Dès mardi soir, le Hezbollah a promis de sévères représailles à Israël. Mais en a-t-il encore les moyens ? Sur le plan militaire, oui. Les experts israéliens évaluent l’arsenal de la milice chiite à 150 000 roquettes, toutes pointées vers Tel-Aviv. “Mais le Hezbollah se retrouve vraiment dos au mur après cette attaque, poursuit Lina Khatib. D’un côté, la pression pour qu’il réponde à Israël va être immense et de l’autre, avec sa sécurité autant compromise, il est très limité dans ses capacités pour le faire. Chacun de ses plans militaires nécessite des technologies de communication, or le Hezbollah ne peut plus avoir aucune confiance dans ses outils…” La guerre de basse intensité avec Israël, qui se menait depuis le 7 octobre à la frontière sud libanaise, se trouve à un tournant.
Cette opération attribuée à Israël survient alors que, à Jérusalem, Benyamin Netanyahou menaçait ces derniers jours de renvoyer son ministre de la Défense, Yoav Gallant, selon lui trop timide sur la possibilité d’une guerre d’ampleur avec le Hezbollah. Par ailleurs, le gouvernement israélien vient d’annoncer un nouvel objectif officiel : ramener chez eux les dizaines de milliers d’Israéliens du nord du pays, déplacés en raison des tirs quotidiens de la milice chiite depuis près d’un an. Ce qui suppose de créer une nouvelle zone tampon dans le sud du Liban, plutôt que dans le nord d’Israël. Reste à savoir si cette attaque des bipeurs constitue un prélude à une offensive militaire au Liban, ou à l’inverse s’il s’agit d’un moyen de paralyser l’adversaire avant toute escalade irréversible.
D’autant que la milice libanaise accumule les revers ces dernières semaines. Depuis le 7 octobre, plus d’une dizaine de ses lieutenants ont été éliminés dans des frappes ciblées de l’armée israélienne. Le 31 juillet, c’était le corps de Fouad Chokr, le chef militaire du Hezbollah, qui était retrouvé sous les décombres d’un immeuble après un tir israélien dans la banlieue sud de Beyrouth la veille. La réplique tarde encore à venir, malgré une rhétorique enflammée depuis Beyrouth.
Ces hésitations libanaises viennent sans doute directement du régime de Téhéran, parrain et grand argentier de la milice chiite. “Pour l’Iran, le Hezbollah constitue le meilleur instrument de dissuasion et de punition que le régime pourrait imaginer, souligne Emile Hokayem, de l’International Institute for Strategic Studies. L’Iran ne décidera de le mettre vraiment en action uniquement s’il sent que sa propre souveraineté et sa propre sécurité sont en jeu.” Une guerre totale entre le Hezbollah et Israël ferait des dégâts massifs des deux côtés mais, comme pour le Hamas dans la bande de Gaza, il est probable que l’organisation libanaise se retrouve en grande partie détruite et hors combat pendant des années. Elle pourrait avoir plus à perdre que l’Etat hébreu, encore protégé par son Dôme de fer.
Néanmoins, la situation à la frontière entre le Liban et Israël peut basculer d’un côté comme de l’autre. Très vite après les explosions simultanées des bipeurs du Hezbollah, des rumeurs se sont propagées sur une offensive imminente de l’armée israélienne. Mais 24 heures après, rien ne semble avoir bougé. “Le Hezbollah était bien mieux préparé à une offensive militaire qu’à ce genre d’opérations, pointe Lina Khatib. On pouvait penser qu’une attaque de cette envergure serait l’étincelle qui provoquerait l’incendie mais, paradoxalement, elle pourrait avoir réduit les risques d’escalade en étant un objet de dissuasion pour le Hezbollah. La situation reste très volatile malgré tout.” Les prochaines heures et le discours de Nasrallah jeudi donneront le ton des jours à venir, qui feront date dans l’histoire du Liban et d’Israël.
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