“C’était une catastrophe… On s’attendait à tout sauf à cela”, confie à L’Orient-Le Jour Iqbal, la propriétaire d’un supermarché à Nabatieh, dans le sud du Liban. Le pays du cèdre se réveille bouleversé, mercredi 18 septembre, après une série d’explosions simultanées de bipeurs, la veille, ayant fait au moins douze morts et près de 3 000 blessés, selon le ministère de la Santé libanais. Parmi les victimes des explosions figurent le fils d’un député du Hezbollah et l’ambassadeur iranien au Liban, légèrement blessé.
Les appareils utilisés par les membres du Hezbollah, parti chiite ennemi d’Israël, pour communiquer, auraient été trafiqués, selon des responsables américains s’étant exprimés auprès du New York Times. Le ministre libanais de l’Education a annoncé mercredi la fermeture des écoles et universités du pays, “en guise de condamnation de l’acte criminel” commis par Israël, selon un communiqué. Cet événement “place à nouveau Israël et le Hezbollah au bord d’une guerre totale”, s’inquiète Haaretz. “L’attaque attribuée à Israël a mis en évidence la faiblesse du Hezbollah et humilié ses dirigeants. Ce n’est pas le genre d’incident qui se termine tranquillement au Moyen-Orient”, affirme le quotidien israélien.
Camouflet technologique
Comment des centaines de bipeurs ont pu, par salves, exploser dans la main, la poche, ou le sac à dos de leur détenteur ? Les engins ont-ils été piratés à distance ou étaient-ils préalablement trafiqués ? Depuis plusieurs heures, les spéculations de la part de la presse et des analystes vont bon train, pour tenter de répondre à cette question.
“Les batteries utilisées dans les bipeurs peuvent prendre feu, mais ne sont pas capables à elles seules de provoquer les explosions meurtrières qui ont eu lieu”, remarque dans The Atlantic Robert F. Worth, spécialiste du Moyen-Orient. Le lanceur d’alerte américain Edward Snowden, établi en Russie, a également suggéré sur X qu’il y avait eu “trop de blessures constantes et très graves” et pas assez “d’incendies et de ratés” pour que la piste “des batteries surchauffées qui explosent” soit plausible.
As information comes in about the exploding beepers in Lebanon, it seems now more likely than not to be implanted explosives, not a hack. Why? Too many consistent, very serious injuries. If it were overheated batteries exploding, you’d expect many more small fires & misfires.
— Edward Snowden (@Snowden) September 17, 2024
“Infiltration de la chaîne d’approvisionnement”
Bien qu’une cyberattaque soit possible, elle semble peu probable étant donné la nature “low-tech” des bipeurs, explique au Washington Post (WP) Emily Harding, directrice adjointe du programme de sécurité internationale au Centre d’études stratégiques et internationales, qui penche plutôt pour la thèse d’une infiltration d’Israël au sein de la chaîne d’approvisionnement.
Elijah J. Magnier, analyste militaire, rappelle par ailleurs sur X qu'”Israël a l’habitude d’utiliser des engins explosifs piégés pour cibler des individus et des groupes considérés comme des menaces, en particulier dans les conflits avec les factions palestiniennes et le Hezbollah”. Il penche pour une utilisation d’explosifs très puissants comme “la cyclotriméthylène trinitramine” ou “le tétranitrate de pentaérythritol” dont “une petite quantité peut générer une explosion à grande vitesse”.
“Au-delà du modus operandi qui n’est pas encore connu, il s’agit de la plus grande faille de sécurité constatée à ce jour au sein du parti. Cette opération démontre que le Hezbollah s’est fait prendre de vitesse sur le plan technologique”, analyse Janane Khoury, conseillère en cybersécurité, auprès de L’Orient-Le Jour. Le Hezbollah s’était, en effet, tourné vers ces appareils rudimentaires pour passer justement sous les radars israéliens. Aujourd’hui, l’attaque a contribué à “mutiler des milliers de combattants et à peut-être paralyser la capacité du groupe à réagir si un conflit plus large éclatait bientôt. Elle a également révélé l’identité des victimes, brisant les efforts minutieusement déployés par le Hezbollah pour préserver l’anonymat de ses membres”, remarque The Atlantic.
“Un avertissement brutal”
Depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, le Hezbollah, mouvement chiite soutenu par l’Iran, et l’armée israélienne, échangent presque quotidiennement des tirs à la frontière israélo-libanaise. “Alors que 20 000 Israéliens ont été forcés de fuir le nord du pays, les responsables israéliens affirment depuis des mois que les attaques à la roquette du Hezbollah sont inacceptables et qu’il faudra détruire le Hezbollah. En début de semaine, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré que les perspectives de diplomatie s’amenuisant, l’action militaire devenait la seule option”, poursuit The Atlantic.
“Israël cherche-t-il à dissuader le Hezbollah de poursuivre ses attaques dans le nord du pays et à le contraindre à conclure un accord prévoyant le retrait de ses forces de la frontière israélienne ? Ou son objectif est-il d’entraîner l’organisation terroriste dans une guerre totale ?” s’interroge Haaretz. Quoi qu’il en soit, pour Marc Polymeropoulos, ancien haut responsable de la CIA, la série d’attaques constitue “un avertissement sévère et brutal” vis-à-vis du Hezbollah, “lui indiquant qu’il était totalement compromis et qu’une guerre serait désastreuse”, a-t-il déclaré au Washington Post.
Craintes d’une guerre totale
Reste désormais à savoir comment le Hezbollah et son allié iranien réagiront à cette opération. Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, doit s’exprimer, jeudi. “Le Hezbollah sentira qu’il doit réagir”, analyse pour le WP William Wechsler, directeur principal des programmes pour le Moyen-Orient au Conseil de l’Atlantique. “Aucune des deux parties ne souhaite qu’une guerre éclate, mais si cela devait se produire, les pertes des deux côtés, y compris parmi les civils, pourraient être très élevées”. “S’il décide de riposter à l’intérieur du territoire israélien, il est possible que cela dégénère en guerre totale”, renchérit Haaretz.
“Alors que Netanyahou promettait, il n’y a pas si longtemps encore, au public israélien que nous n’étions qu’à un petit pas de la victoire totale sur le Hamas, il semble aujourd’hui que nous soyons plus proches que jamais d’une guerre à grande échelle avec le Hezbollah également. La victoire [pour Israël], sur tous les fronts, n’est toujours pas à l’horizon.”, estime le quotidien israélien.
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