Débattre du nucléaire oui. Mais sans tomber dans la désinformation. C’est bien la préoccupation de la Commission nationale du débat public (CNDP) alors que les débats sur l’implantation de deux EPR à Gravelines viennent tout juste de commencer. Les précédents échanges sur l’implantation future de nouveaux réacteurs à Penly avaient laissé une impression très mitigée. Ils se résumaient bien souvent à une bataille de chiffres et d’arguments entre pro et antinucléaires, laissant une partie du public dans l’incapacité de se forger un avis. “Une perte de temps qui n’apporte aucune valeur ajoutée”, résume un expert du nucléaire.
Désormais, les paroles prononcées par les intervenants à l’occasion des débats pourront faire l’objet d’un rectificatif provenant d’une cellule de vérification des faits. “Après les débats sur Penly, on a ressenti un vrai besoin”, explique Luc Martin, qui préside cette nouvelle phase de débats. “Des informations scientifiques contradictoires circulaient. “On y perdait notre latin”, résume une source interne à la CNDP.
“Lors d’une réunion sur Penly, j’ai entendu dire que les rejets en eau des réacteurs nucléaires réchauffaient l’océan ou encore que le nucléaire n’était pas une énergie pilotable. Ces affirmations auraient dû entraîner des précisions rapides de la part de la CNDP. Or cela n’a pas été le cas”, pointe Jacky Audiard, un ancien d’EDF aujourd’hui à la retraite.
Ayant pris en compte les critiques, la CNDP souhaite désormais contribuer à démêler le vrai du faux dans un débat stratégique, qui va s’étaler sur quatre mois. “J’entends bien cette petite musique qui nous dit que tout cela ne sert à rien. Cependant, même si l’intention politique d’aller vers plus de nucléaire a été affichée, les autorisations et les études d’impact sont encore à venir. Par ailleurs, 60 % des projets soumis à débat ou concertation dans le passé ont été modifiés ou annulés”, assure Luc Martin.
Après le 17 janvier 2025, qui marque la fin des débats sur Gravelines, la CNDP produira un rapport de synthèse. EDF devra apporter des réponses aux différents points soulevés dans ce document. Puis, la CNDP donnera un avis sur la réponse fournie par l’exploitant des centrales. D’ici là, la structure tentera de faire la chasse aux mensonges et aux imprécisions. Ce ne sera pas facile. Dix événements d’une durée de 2h30 sont prévus, sans parler des rencontres avec les étudiants et les lycéens. Les équipes de la CNDP iront aussi à la rencontre des citoyens sur les marchés situés autour de Gravelines. Plusieurs webinaires seront également organisés.
Une expérimentation
“Sur un débat de cette nature, il y aura des milliers de contributions. Si tout le monde sollicitait la cellule d’investigation, cela deviendrait vite ingérable”, explique Luc Martin. Car celle-ci comprend à peine onze personnes. Des représentants aux profils très variés : France Nature Environnement (FNE), Greenpeace, Société Française d’énergie nucléaire (SFEN), Global Chance, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)…
Jean-Raymond Wattiez, chargé de mettre au point la structure, est conscient de ses limites. “On n’a pas forcément vocation à dire qui a raison et qui a tort. Et sur certains sujets, il peut y a voir des différences de point de vue au sein de la cellule”. “C’est une expérimentation, plaide Luc Martin. Notre ambition est de publier un communiqué dans les quinze jours lorsqu’une contre-vérité est repérée. Et de faire en sorte que les questions posées par le public reçoivent bien une réponse de l’Etat ou du maître d’ouvrage”. La conclusion tirée des vérifications pourra s’accompagner de la mention“validé”, “invalidé” ou “sujet à caution” si les informations disponibles ne permettent pas de trancher définitivement.
Le temps de parole sera également regardé de près. En 2022, l’association “Les voix du nucléaire” avait dénoncé un net déséquilibre en faveur des antinucléaires. “Les personnes n’ayant pas encore d’avis sur le nucléaire doivent pouvoir disposer des vraies informations pour se construire une opinion”, estime Jacky Audiard. “Lors du débat sur Penly, les institutions capables de défendre l’atome, comme l’IRSN par exemple, sont restées en retrait laissant un peu trop le champ libre aux opposants”, confie un observateur. “Dans ce genre d’exercice, le maître d’ouvrage et ses détracteurs ont toujours l’impression de ne pas avoir assez de temps de parole, commente Luc Martin. A nous de bien respecter l’équilibre”.
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