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Fête de l’Huma : un monde parallèle où fleurissent les vérités alternatives, par Abnousse Shalmani


Que la réalité s’estompe au profit des “vérités alternatives”, nous le constatons chaque jour, sans pourtant parvenir à refuser le jeu devenu pervers du discours hors les faits. Par nous, j’entends les citoyens, englués dans des bulles d’entre-soi ; par nous, j’entends les médias, qui laissent filer des énormités, de crainte d’offenser ou de paraître partisan ; par nous, j’entends les paresseux que nous semblons tous être devenus, laissant couler des discours devenus exclusivement performatifs et qui se décollent de la réalité avec une inquiétante légèreté et comme dans une indifférence ouateuse. Comme si les vérités alternatives concernant “l’autre camp” se déroulaient effectivement dans un monde parallèle avec lequel nous n’aurions plus aucun lien.

La Fête de l’Huma est toujours l’occasion d’un tour de passe-passe spectaculaire, où le goulag et les cadavres, les purges et la haine s’effacent dans les travées et les discours au profit des lendemains qui chantent, sans que pourtant aucune voix ne s’élève pour dénoncer le délire in-humaniste d’une “fête” qui rassemble la crème de la crème des sectaires et des idéologues de la destruction – du capital, des opposants, des fascistes, des juifs, des autres. Forcément, la pensée magique tenant la main à l’obstination idéologique, on y assiste à des séquences délirantes : François Ruffin hué, Dominique de Villepin acclamé. Et pas hué n’importe comment : avec chant antifasciste sur fond de “Tu as trahi, camarade ! et tu ne mérites rien d’autre que des plumes et du goudron !”

Le souci n’est pas cette réunion faussement festive de radicaux déconnectés du réel qui voient venir les Waffen SS à l’horizon, ni même ce qui est dit, je suis pour la liberté d’expression totale : que même ce qui me fait horreur s’exprime pour me donner l’occasion de contredire, de contre-argumenter. Non, le souci, c’est l’inertie en face, qui sonne comme un abandon collectif : chacun dans son camp.

Tant qu’il y aura des idéologues…

Tant qu’il y a la cause. Cause qu’embrasse à tel point le député LFI Antoine Léaument, qui tient tant à faire oublier son faciès qu’il va à confesse et raconte qu’arrivé à Paris pour ses études et vivant dans un quartier populaire, il se sentait en insécurité, “je vous jure que c’est vrai. Pourtant j’étais déjà militant de gauche”. Sans rires ? Que l’insécurité concerne et consterne les classes populaires avant tout, que cette insécurité nourrisse les extrêmes droites partout en Europe, non, passez votre chemin car : “Le sentiment d’insécurité relève du racisme car il est construit socialement et n’est pas rationnel. Le racisme systémique ne relève pas seulement des actes ou propos violents commis par des personnes activement racistes”. Tous racistes et puis c’est tout ! C’est tellement plus simple que de ne pas laisser pourrir les victimes de violence au quotidien issues de l’immigration, car leurs agresseurs sont aussi issus de l’immigration. Et pourtant, je suis issue de l’immigration, je vous jure !

Et puis, il y a le conflit Israël-Hamas. Là, le réel combat péniblement les éléments de langage, les narratifs se cognent dans un brouhaha où chacun n’entend que ce qui correspond à son choix idéologique, politique, plus rarement humaniste. Toute forme de modération est brocardée et le débat devient impossible sauf à… se taire. Les explosions de bipeurs puis de talkies-walkies des terroristes du Hezbollah sont un nouvel exemple de cette guerre des narratifs qui ne passent pas le mur du débat. Seuls étaient visés et touchés les cadres ou les “combattants” d’un groupe terroriste – fabriqué et financé par la République islamique d’Iran.

Si on peut et on doit déplorer les décès de civils à proximité de ces terroristes blessés ou tués, il n’y a aucun parallèle possible avec les pogroms du 7 octobre en Israël. Et pourtant. On a vu et entendu, dès les premières heures, des “historiens” comme Vincent Lemire, qui nous avait déjà infligé le concept irréel de bon et de mauvais antisémitisme, faire un parallèle odieux entre un massacre de civils et une attaque contre des terroristes qui sont un poison pour leur propre population qu’ils volent, affament et tiennent en otage depuis 1982. Tant qu’il y aura des idéologues, il n’y aura pas de vérité commune.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste




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