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François Ruffin, “l’Après” et la guerre avec Mélenchon : les coulisses de sa nouvelle vie


Le député de la Somme adore ça, la confrontation. Dans sa triple carrière de journaliste, réalisateur et homme politique, il en a d’ailleurs fait son miel. Mais, à la Fête de l’Humanité, samedi 14 septembre, quelques minutes avant son débat face à plusieurs personnalités de gauche, dont l’insoumis et figure “antifa” Raphaël Arnault, François Ruffin semble un poil tendu. Sans doute savait-il à quoi s’attendre, après la parution de son dernier livre (Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié), étrillant la stratégie de La France insoumise et ses “campagnes au faciès”. Aussi, peut-être connaît-il trop bien son ancienne famille de rattachement pour comprendre qu’en amont la patronne des députés LFI, Mathilde Panot, et le néo-élu du Vaucluse ont minutieusement ficelé la séquence.

Fondus aux premiers rangs, en opération téléguidée, quelques militants du collectif de la Jeune Garde – fidèles d’Arnault – et autres jeunes insoumis huent copieusement l’arrivée du Picard et entament des chants antifascistes. “Je n’y suis pour rien”, se défend hors micro le député insoumis auprès du parlementaire communiste Nicolas Sansu, tête d’affiche du débat.

Et ce dernier, proche du conspué, de lui rétorquer : “Tu me prends pour un con ?” Le reste de l’échange est plus apaisé. François Ruffin parvient même parfois à emporter la foule… En coulisse, au retour cette fois-ci, c’est Raphaël Arnault qui tire la tronche. Et Ruffin d’arborer une mine satisfaite.

“Ça va péter, car t’as parlé des Noirs et des Arabes”

Telle est la vie du député de la Somme, depuis qu’il a, selon ses mots, “coupé la corde avec Jean-Luc Mélenchon” à l’entre-deux tours des élections législatives. Cultiver sa liberté, tenter, si possible, d’en faire usage à bon escient, vierge désormais de tout soupçon d’hypocrisie envers les insoumis. Désormais condamné aussi – et c’est le prix à payer – à passer sous les fourches caudines de ces derniers, comme à présent, lors de la tournée médiatique de son dernier ouvrage. La principale raison lui échappe pourtant, en passant la porte du studio de BFMTV, le 11 septembre dernier, pour sa première interview audiovisuelle. François Ruffin est persuadé d’avoir “lâché une bombe”, en affirmant que LFI “est un parti où il y a de la peur”. Ses amis le raisonnent : “Ça va péter, car t’as parlé du tractage au faciès, des Noirs et des Arabes.” La contre-offensive est lancée en Mélenchonie.

Qui, en interne, était déjà allé si loin dans la critique du patriarche insoumis ? Avait osé renvoyer dos à dos LFI et le Rassemblement national, reprochant notamment aux mélenchonistes leur “silence” concernant le jeune Thomas, poignardé mortellement lors d’un bal à Crépol, dans la Drôme – drame récupéré politiquement par l’extrême droite – quand ils s’étaient indignés, dans une symétrie inverse avec le RN, de l’agression raciste de Mourad, jardinier poignardé dans le Val-de-Marne quelques jours après ?

Il fut un temps où les reproches des frondeurs s’étaient surtout cantonnés au manque de démocratie au sein du mouvement. Le journaliste de carrière, lui, a également “craqué des off”, pour illustrer le prétendu “mépris” de Jean-Luc Mélenchon. “Quand il me racontait Hénin, c’était à la limite du dégoût : ‘On ne comprenait rien à ce qu’ils disaient, ils transpiraient l’alcool dès le matin, ils sentaient mauvais, presque tous obèses…'”, lui aurait dit Mélenchon. Et retranscrit quelques autres sorties, actant la rupture stratégique entre LFI et certains territoires : “Les régions qui ont voté RN sont des terres qui n’ont jamais adhéré à la démocratie et à la République”, aurait-il lâché au lendemain des législatives de 2022. François Ruffin a perdu quelques plumes, il le sait. Côté insoumis, en tout cas, point de doute, François n’est plus, pour l’heure, un camarade.

“Quand nos adversaires historiques se servent de nos mots, il faut faire attention”

Qui sont-ils, d’ailleurs, ses camarades ? Il en a quelques uns, éparpillés dans l’ensemble des familles de gauche. Il y a ceux dont l’adversité commune au Palais Bourbon a forgé des liens, comme ces autres insoumis purgés : Alexis Corbière, dont il est proche, également Clémentine Autain, Hendrik Davi, Danielle Simonnet, ou encore Raquel Garrido, qui, ensemble, ont formé leur propre association, “L’Après”. Mais les cofondateurs n’ont pas saisi pourquoi François Ruffin ne les avait pas rejoints à leur tour. Ce dernier a préféré y intégrer une forme d’agent de liaison, entre lui et le collectif, Guillaume Ancelet, son bras droit et président du microparti Picardie debout. “Il est attaché à garder une marge d’action, les cadres collectifs, il préfère agir comme ça”, souffle Alexis Corbière. Un mal pour un bien, d’une certaine façon. “Il mène un combat frontal face à Jean-Luc Mélenchon, et ménage sa liberté en protégeant celle des autres”, estime, bienveillante, Raquel Garrido.

A L’Après, certains qualifient l’ultime sortie du Picard de “maladresse”, que lui-même a reconnu. “La lutte contre l’extrême droite passe par changer de conversation. La conversation d’extrême droite, c’est renvoyer les gens à leurs origines. Le discours de François peut être blessant quand on est noir ou arabe. Ça n’est pas ce que l’on attend de la gauche”, estime Raquel Garrido. “Quand nos adversaires historiques se servent de nos mots pour venir cliver à l’intérieur de notre camp, il faut faire attention et refermer la séquence”, conclut Guillaume Ancelet. Quel est son camp ? Il vient de la gauche radicale, il y reste, tant pis si la partie hégémonique de cette frange le rejette. Et tant pis pour ceux qui le rhabillent en socialiste en puissance : le PS ? “Ce ne sera jamais le moteur de l’Histoire”, écrit-il dans sa dernière note de blog, citant son héros, la figure communiste Maurice Kriegel-Valrimont. Le PCF l’observe d’ailleurs depuis quelque temps avec appétit et une pointe de méfiance. Léon Deffontaines, Amiénois comme Ruffin et ancienne tête de liste communiste aux européennes, bataille tant bien que mal pour que Fabien Roussel le rencontre. Une huile communiste analyse : “J’ai l’impression que François et Fabien pensent qu’ils sont en concurrence.”

“Est-ce que ça l’intéresse d’être connecté aux appareils ?”

Atterrir chez les écolos, dans cette nouvelle législature, n’était pas vraiment son premier choix. Mais “ils lui ont offert l’hospitalité”, ironise un ami, alors on ne chouine pas. Et le groupe parlementaire s’est même assorti d’une particule pour l’occasion, se nommant désormais “écologiste et social” ! De lui, on retient notamment qu’il avait à cœur de rencontrer ses confrères lors des journées parlementaires. Que, lors des trois premières réunions, “il marche un peu sur des œufs, […] prend un peu moins la parole, et écoute surtout ce qui se passe”. Mardi dernier, lors des traditionnelles retrouvailles de groupe, un écolo crève l’abcès. “A un moment, faudra peut-être qu’on ait une position de groupe quand l’un de nos membres se fait huer ou maltraiter en public, non ?” Un ange passe. Certains n’avaient pas retenu leurs coups contre Ruffin. Lui-même avait prévenu quelques collègues de la parution de son livre, mais pas la présidente, Cyrielle Chatelain. “Pour l’instant, il fait sans nous, je n’ai pas l’impression qu’il ait décidé que le groupe écolo serait son équipe”, presse une parlementaire.

Son équipe, la vraie, est “en phase de structuration”, assurent ses proches. Les mêmes qui réclament au Picard d’engager la fondation d’une formation politique. “Elle doit venir, je plaide en ce sens, affirme Baptiste de Fresse de Monval, maire (Les Ecologistes) de Margny-sur-Matz, dans l’Oise, qui l’aide à se constituer un réseau d’élus locaux. Avec son programme de rupture, il est obligatoire que l’aventure soit collective !” Tous ont en tête les dernières législatives, où François Ruffin a été balayé des négociations, car dépourvu d’appareil, alors même qu’il avait lancé l’idée du “Front populaire”, sur le modèle des élections de 1936. Le microparti Picardie debout est amené à évoluer, souffle-t-on. “Enfin, le nom en lui-même est bloquant”, ironise Guillaume Ancelet. Confidence d’un ami, qui ne trahit aucun secret : “Est-ce que ça l’intéresse d’être connecté aux appareils ? Je ne pense pas.” François Ruffin, se consacrera surtout à la promotion de son nouveau documentaire, Au boulot !, coréalisé avec Gilles Perret, sur la “réinsertion sociale des riches”. Un prétexte, dit-on, pour entamer un tour de France.




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