Silence radio. Officiellement, Israël n’a pas commenté l’opération qui a provoqué, cette semaine, l’explosion quasi simultanée de milliers de bipeurs et autres appareils de communication utilisés par des agents du Hezbollah au Liban. Officieusement, une mystérieuse et secrète unité israélienne est suspectée d’être liée à cette attaque faisant au moins 37 morts et près de 3 000 blessés : l’unité 8200.
Dans l’opération destinée à neutraliser le parti chiite pro-iranien, cette unité avait les “compétences pour monter toute la partie déclenchement des explosions”, juge auprès du Parisien Gérôme Billois, expert en cybersécurité au cabinet Wavestone. D’abord, dans la “conception du logiciel piégé”, qui aurait été placé dans chacun des appareils de transmission. Puis au moment de “l’émission du message pour déclencher les explosions”. “C’est la marque de cette unité”, assure auprès du même quotidien David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris.
L’équivalent de la NSA
Cette unité spécialisée dans la cyberguerre et le renseignement des Forces de défense israéliennes fait partie de la Direction du renseignement militaire israélien. L’unité 8200 (prononcer 8-200, shmoné matayim en hébreu), issue des premières unités de décryptage et de renseignement formées à la naissance de l’État d’Israël en 1948, est notamment chargée de décoder et d’analyser les informations obtenues par le service de renseignement. C’est la plus grande unité militaire des forces de défense israéliennes. La Croix indique que ce service, né en 1952, compte plusieurs milliers de membres – le chiffre précis est confidentiel – et deux tiers des effectifs de l’Aman, le renseignement militaire israélien.
L’unité 8200 est l’équivalent de l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA). “L’unité 8200 est probablement la meilleure agence de renseignement technique au monde et se situe au même niveau que la NSA à tout point de vue, sauf l’échelle”, rapportait Peter Roberts, directeur des sciences militaires du Royal United Services Institute, le groupe de réflexion des forces armées du Royaume-Uni, auprès du Financial Times en 2015. “Ils sont très concentrés sur ce qu’ils observent et ils mènent leurs opérations avec un degré de ténacité et de passion que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.”
Cette unité est “chargée de collecter les informations, de l’écoute et d’espionnage”, a pour sa part décrit, le 25 août dernier, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en visant ce jour-là la base de Glilot, située à 110 km de la frontière libanaise et à 1,5 km de Tel-Aviv, là où se trouve l’unité 8200.
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Une réputation entachée
En 2023, rappelle Reuters, Israël a indiqué que cette unité a utilisé l’intelligence artificielle pour aider à sélectionner les cibles du Hamas. En plus d’espionner les Palestiniens en Cisjordanie occupée et à Gaza, l’unité 8200 opère dans toutes les zones, y compris de combat. Et en temps de guerre, elle est étroitement intégrée au quartier général du commandement de combat.
Quelques jours avant les explosions de bipeurs au Liban, le 12 septembre 2024, le général de brigade Yossi Sariel, commandant de cette unité d’élite du renseignement militaire israélien, avait annoncé sa démission, dans le sillage de l’échec de son service à empêcher l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023. Accusé de cet échec, le service de renseignement de l’armée israélienne a connu une crise sans précédent et son commandant, le général Aaron Haliva, a quant à lui été le premier officier supérieur de l’armée israélienne à démissionner, en avril 2024.
En juin dernier, la télévision publique Kan a révélé l’existence d’un rapport de l’unité 8200 datant du 19 septembre 2023. Celui-ci détaillait des entraînements d’unités d’élite du Hamas en vue de raids contre des positions militaires et des kibboutz dans le sud d’Israël, soit moins de trois semaines avant que le mouvement islamiste ne lance son attaque sanglante. Comme le rappelle France Inter, Yossi Sariel, obsédé par le potentiel de l’intelligence artificielle, n’a pas tenu compte de cet avertissement. En effet, le système d’alertes rouges mis en place pour des informations de ce genre avait été aboli par le général de brigade, ce dernier ayant imposé un système central géré par des super-algorithmes. Celui-ci, extrêmement perfectionné en théorie, n’a rien compris dans la pratique au rapport qui lui a été envoyé et l’a… bloqué.
Yossi Sariel a également été au cœur de révélations de The Guardian, en avril 2024, dont il se serait bien passé. Il a en effet laissé son identité exposée en ligne. Cette faille de sécurité embarrassante est liée à la publication d’un livre anonyme sur Amazon, The Human Machine Team, où il a laissé une trace numérique vers un compte Google privé créé à son nom. Dans ce livre, Yossi Sariel propose une vision radicale de la manière dont l’intelligence artificielle peut transformer la relation entre le personnel militaire et les machines.
Des recrutements dès le lycée
Avant sa démission, l’expérimenté Yossi Sariel a travaillé au sein de l’unité 8200 avec un personnel sélectionné parmi des jeunes personnes d’une vingtaine d’années. Certains ont été identifiés à partir de programmes de lycée très compétitifs, chargés de dénicher les meilleurs éléments en mathématiques et en informatique.
Beaucoup d’entre eux ont ensuite poursuivi leur carrière dans le secteur de la haute technologie et de la cybersécurité en Israël. L’entreprise de GPS Waze, vendue en 2013 à Google, a été fondée à la fin des années 2000 par trois vétérans de l’unité 8200. Les fondateurs des deux plus grands noms de la high-tech israélienne, Check Point et CyberArk, cotés au Nasdaq à New York, ont eux aussi fait leurs armes dans cette unité.
“Quand vous rentrez à moins de 18 ans dans cette entité, vous n’avez rien démontré mais vous êtes sélectionné, trié sur le volet, en fonction de votre potentiel”, expliquait dans nos colonnes, en 2019, Inbal Arieli, une ancienne lieutenante de l’unité 8200. “Non seulement vous devez être autonome et savoir travailler en équipe, mais il faut également prendre des initiatives et oser contredire des gradés, quitte à se quereller avec eux. Autant de points communs avec le fonctionnement d’une start-up”, indiquait-elle, avant de préciser que “les capacités” de ces personnes travaillant pour l’unité 8200 “peuvent aussi bien servir dans la finance, la santé ou ailleurs”.
Un livre et une série
Ces dernières années, des tragiques événements sont venus écorner l’image de cette unité. Le groupe NSO, qui vendait le logiciel Pegasus – capable d’espionner toutes les informations présentes dans un smartphone fonctionnant avec Android – a été créé par des anciens du service de renseignements, et plus d’un quart de ses employés sont issus de la prestigieuse unité. Des vétérans de cette section de renseignement ont conçu et vendu de puissantes technologies de surveillance d’ordinaire utilisées dans la lutte antiterroriste à des pays désireux de contrôler leur population ou leurs opposants. Jamal Khashoggi, journaliste dissident saoudien exilé aux Etats-Unis, assassiné et démembré au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul (Turquie), a été l’une des victimes.
Par ailleurs, parmi les opérations dans lesquelles cette unité aurait été impliquée, figure l’attaque du virus Stuxnet de 2005 à 2010 qui a désactivé les centrifugeuses nucléaires iraniennes. En 2010, Le Monde diplomatique indiquait que l’unité 8200 a mis en place à Urim, dans la région désertique du Néguev, l’une des plus importantes bases d’écoute au monde capables d’intercepter des appels téléphoniques, des courriels et d’autres types de communications, à travers le Moyen-Orient, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, ainsi que de localiser des navires.
Cette unité, mystérieuse, inspire la littérature et le cinéma. Le journaliste franco-israélien Dov Alfon a publié en 2016 un polar, Unité 8200 (Liana Levi), décrivant un jeu de piste haletant entre la police française, le service de renseignement israélien et des criminels chinois. Le directeur de la publication et de la rédaction de Libération a été officier des renseignements israéliens à l’unité 8200 lors de son service militaire et de ses mois de réserve. Une mini-série du même nom de six épisodes, réalisée par Dan Sachar et librement adaptée du livre écrit par Dov Alfon, avec pour acteur Patrick Bruel, est en outre attendue en France cette année 2024.
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