Avis négatif. Deux mots en forme de couperet pour les malades d’Alzheimer. Au cœur de l’été, les experts de l’Agence européenne du médicament ont fermé la porte à l’arrivée sur le marché de la nouvelle génération de traitements disponibles depuis quelques mois aux Etats-Unis. Trop risqués, pour un bénéfice trop faible. Malgré les promesses et les milliards investis, cette maladie, qui ronge les cerveaux et efface les souvenirs, continue de résister aux efforts des scientifiques et des laboratoires pharmaceutiques. La plupart des informations concernant Alzheimer s’avèrent plus déprimantes les unes que les autres. Raison de plus de se réjouir d’une autre nouvelle, qui se confirme étude après étude : la démence sénile, qui comprend la maladie d’Alzheimer et quelques autres pathologies, peut très largement être prévenue. Presque la moitié des cas, 45 % plus précisément, pourraient être évités dans les années à venir, selon les derniers calculs d’un groupe de 27 experts internationaux mandatés par la revue scientifique The Lancet.
Un enjeu massif, car au rythme actuel, on comptera 153 millions de malades dans le monde en 2050, contre 57 millions en 2019. “Quand je démarre une conférence, j’ai l’habitude de dire qu’à l’âge de 90 ans, une personne sur trois dans l’assistance développera une démence”, rappelle le Pr Philippe Amouyel, épidémiologiste et directeur général de la Fondation Alzheimer. De sombres prédictions, mais qui n’ont donc rien d’inéluctable. Mieux encore, même avec un parent ou un grand-parent atteint, même avec des gènes de prédisposition, les recherches les plus récentes montrent qu’il est possible de réduire fortement le risque de tomber soi-même malade. “Les centaines d’études compilées dans notre rapport pour The Lancet apportent un message d’espoir, en confirmant qu’il existe déjà au moins 14 facteurs de risque sur lesquels on peut agir”, insiste Gill Livingston, professeur de psychiatrie à University College of London et auteur principal de ce travail.
Prévenir la démence ? L’idée pourrait sembler saugrenue, tant cette pathologie paraît liée à notre inexorable vieillissement. Mais les scientifiques ont commencé à s’interroger voilà déjà plusieurs décennies, en constatant au fil du temps, dans certains pays riches, une légère diminution de l’incidence de la maladie, c’est-à-dire de la proportion d’individus atteints dans une classe d’âge donnée. Explications communément admises : l’allongement de la durée des études pour une part croissante de la population, et un reflux du tabagisme. Une amélioration difficilement perceptible pour le grand public car elle se trouve contrebalancée par l’augmentation du nombre de personnes âgées, mais tout de même : “Cela a permis d’envisager la possibilité d’une prévention, puisque l’incidence baissait déjà avec l’évolution naturelle de certains facteurs de risques”, rappelle Philippe Amouyel.
Gagner la course contre les lésions
Un constat corroboré par une autre observation. Alors que la maladie est caractérisée par l’accumulation de plaques séniles dans le cerveau, qui étouffent et tuent les neurones, certains individus, pourtant porteurs de ces plaques, meurent sans jamais avoir développé le moindre symptôme. Tout l’enjeu ne serait donc pas tant d’empêcher l’apparition des anomalies, dont les scientifiques peinent d’ailleurs toujours à comprendre l’origine, que de retarder le plus possible l’apparition des troubles. “C’est un peu comme s’il y avait une course entre l’impact de ces lésions et la capacité du cerveau à y faire face”, résume le Pr Bruno Dubois, ancien chef du service de neurologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et coauteur de Alzheimer n’est pas une fatalité, paru le 18 septembre (Harper Collins). Comment, dans ces conditions, mettre toutes les chances de son côté pour tenter de remporter cette course ?
Le niveau d’éducation compte beaucoup, mais comme il n’a cessé de progresser, ce n’est plus de là que viendront à l’avenir les gains les plus importants dans les pays développés. Les médecins ciblent aujourd’hui en priorité ce qu’ils appellent les “bourreaux du cœur”, c’est-à-dire tous les facteurs de risque cardio-vasculaires. Car ce sont aussi des bourreaux du cerveau : “Ils vont retentir sur la qualité de la vascularisation et donc de l’oxygénation cérébrale, elle-même déterminante dans l’apparition plus ou moins précoce des symptômes”, explique le Pr Dubois. Mesurer et traiter l’hypertension artérielle, éviter le diabète et l’obésité, ne pas fumer, limiter le plus possible sa consommation d’alcool, et ce tout au long de sa vie : autant de facteurs connus sur lesquels il est possible d’agir.
Le contrôle du taux de “mauvais cholestérol” (LDL-cholestérol) a été ajouté cette année à la liste par les experts du Lancet. Avec un message clef : même s’il n’est jamais trop tard, c’est dès la quarantaine qu’il faudrait, dans l’idéal, commencer à le surveiller et à le traiter – un âge où l’on ne se sent habituellement pas encore très concerné par les affres des maladies chroniques. “Au-delà de l’effet sur la qualité des vaisseaux, les études suggèrent un lien direct entre un excès de ce cholestérol et le dépôt des protéines qui forment les plaques séniles, même si les mécanismes exacts restent encore mal compris”, explique Gill Livingston.
Stimulation cognitive
L’autre grand ennemi du cerveau, c’est bien sûr l’isolement social et toutes ses causes : dépression, mais aussi pertes visuelles et auditives, qui tendent à couper ceux qui en sont victimes de leur environnement. Les traiter dès leur apparition, quel que soit l’âge, réduit le risque ultérieur de démence, même à plusieurs décennies de distance. “L’hypothèse, c’est que la stimulation cognitive renforce les connexions synaptiques entre les neurones. Notre encéphale est une machine à traiter des informations et les interactions sociales apportent énormément d’informations”, résume le Pr Dubois.
L’activité physique, dont les bienfaits sur la santé en général ne sont plus à démontrer, doit aussi être encouragée pour lutter contre la démence. Car au-delà de ses bénéfices cardio-vasculaires, elle renforcerait aussi directement les connexions cérébrales. Les scientifiques savent déjà que, au moins chez les rongeurs, le sport a un effet sur la gaine de myéline qui protège ces connexions. A l’Institut de psychiatrie et de neurosciences de Paris, Maria Cecilia Angulo a monté un projet avec le soutien de la Fondation pour la recherche médicale pour aller plus loin : “Nous allons vérifier s’il en va de même chez l’homme, et aussi voir quel type d’activité physique s’avère le plus efficace”, détaille-t-elle. Avec l’espoir, à terme, de pouvoir faire des recommandations toujours plus précises et pertinentes.
S’il est possible d’agir sur tous ces facteurs, il en est un, en revanche, dont il s’avère plus difficile de se protéger à titre individuel : la pollution de l’air. Son implication dans les démences ne fait guère de doute, et pas uniquement pour son retentissement sur le système cardio-vasculaire : “Il est prouvé que les particules fines liées à la circulation automobile et à la combustion de bois endommagent directement le cerveau”, indique Gill Livingston. A l’inverse, différentes études ont déjà montré le bénéfice des ZFE (zones à faibles émissions, où les véhicules les plus polluants sont interdits) pour protéger les personnes qui y résident.
Liste non exhaustive
A l’avenir, la liste établie par les experts du Lancet pourrait s’enrichir de nouveaux paramètres. Le manque de sommeil, une alimentation déséquilibrée, les infections, les pathologies mentales sont souvent évoquées, mais les preuves scientifiques ne sont pas, à ce jour, encore totalement au rendez-vous. Le rôle des polluants environnementaux tels que les pesticides ou les PFAS, également appelés polluants éternels, font aussi débat. En France, une équipe spécialisée dans l’épidémiologie des maladies neurodégénératives, bâtit une vaste étude pour répondre à cette question. “Nous travaillons sur l’exposome, c’est-à-dire l’ensemble des expositions environnementales : nous allons rechercher dans différentes cohortes des biomarqueurs de polluants, et voir s’il existe un lien avec l’apparition de démences”, détaille Cécilia Samieri, directrice de recherche Inserm à l’université de Bordeaux.
Ces connaissances feront-elles vraiment une différence ? “Tout dépend de la façon dont les individus, mais aussi les politiques, s’en saisissent”, relève Gill Livingston. Le potentiel de 45 % de baisse du nombre de cas ne sera atteint que si tous les facteurs identifiés sont traités. Avec toujours le risque, à titre individuel, que ces efforts s’avèrent insuffisants, puisqu’ils ne permettent pas de prévenir la totalité des cas de démence. “Ils ne seront pas vains pour autant, car les mêmes mesures participent aussi à la prévention de toutes les autres maladies chroniques, argue Gill Livingston. On peut penser que, dans tous les cas, ceux qui réussissent à les mettre en œuvre vivront une vie plus longue et en meilleure santé”. N’est-ce pas là ce que nous voulons tous ?
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