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Audrey Azoulay : “En Afghanistan, une génération de femmes est en train d’être sacrifiée”


L’Express : Vous êtes intervenue en ouverture des Rencontres géopolitiques de Trouville, dont le thème cette année est “les femmes et le pouvoir”, un pouvoir qui leur est souvent dénié, dans beaucoup de lieux de la planète. Comment favoriser l’accès des femmes aux différentes formes de pouvoirs ?

Audrey Azoulay Le nombre de femmes cheffes d’Etat ou de gouvernement a presque doublé en dix ans. Elles ne sont toutefois qu’une trentaine aujourd’hui à l’échelle du monde ! Cette situation vaut pour toutes les formes de pouvoir : des fonctions dirigeantes dans les entreprises à celles dans les administrations, en passant par la place accordée aux femmes dans les médias. A l’UNESCO, nous le voyons aussi dans le domaine des sciences : aujourd’hui, seul un quart des postes scientifiques de haut niveau en Europe sont occupés par des femmes.

Pour y remédier, des dispositifs concrets sont nécessaires, telles que les mesures de parité politiques mises en place dans plus de quatre-vingt-dix pays du monde pour assurer un nombre égal de femmes candidates ou élues. Mais ces dispositifs ne suffisent pas pour changer les mentalités, ce que Gisèle Halimi décrivait comme la “grande bataille” dans un entretien à l’UNESCO en 1975. L’éducation, l’un des piliers du mandat de notre Organisation, est en mesure de le faire.

Quels sont les points d’attention dans le domaine de l’éducation ?

Depuis 2013, la proportion de filles scolarisées en fin de lycée est désormais la même que celle des garçons dans le monde. Les filles étudient aussi de plus en plus longtemps. Elles sont aujourd’hui 90 % à achever le primaire contre 86 % dix ans plus tôt, 79 % à achever le collège et 61 % le lycée. Mais de nombreuses disparités persistent encore aujourd’hui. Deux-tiers des 754 millions d’adultes analphabètes dans le monde sont des femmes. En Afrique, 4 femmes sur 10 ne savent ni lire ni écrire.

Et si elles sont de plus en plus nombreuses à fréquenter l’école, les filles ne bénéficient toujours pas des mêmes chances que les garçons. Beaucoup restent freinées par des préjugés, des normes et des attentes sociales. Alors qu’elles obtiennent des résultats équivalents à ceux des garçons en mathématiques, les femmes ne représentent que 35 % des diplômés d’université dans les filières scientifiques selon les données de l’UNESCO – un chiffre qui n’a pas évolué ces dix dernières années. Et, de ce fait, elles sont aussi nettement sous-représentées dans les métiers qui en découlent.

C’est particulièrement préoccupant alors que les plateformes numériques sont devenues un nouvel espace de pouvoir. Les femmes représentent seulement 13 % des auteurs d’articles scientifiques sur l’IA et sont trois fois moins nombreuses que les hommes dans les entreprises d’intelligence artificielle. Si on ne rééquilibre pas les choses, nous allons continuer de reproduire en ligne les mêmes biais que ceux qui existent déjà dans la vie réelle, et même les amplifier.

La situation des jeunes femmes en Afghanistan vous interpelle-t-elle particulièrement ?

C’est une situation qui doit tous nous interpeller et pour moi c’est un combat essentiel. Depuis trois ans, l’Afghanistan fait face à une brutale régression qui cherche à effacer les filles et les femmes de l’espace public. Il est aujourd’hui le seul pays du monde à leur interdire l’accès à l’éducation au-delà de l’âge de douze ans. Toute une génération est en train d’être sacrifiée, alors que nous avions obtenu des progrès considérables ces vingt dernières années. C’est inacceptable et l’UNESCO appelle la communauté internationale à ne transiger en rien sur ce droit fondamental.

L’UNESCO se mobilise pour soutenir des modes d’apprentissage alternatifs. Nous travaillons en direct avec les communautés locales pour prodiguer des cours d’alphabétisation. Nous soutenons aussi les médias afghans pour qu’ils diffusent des programmes éducatifs. C’est le cas de la Begum Organization for Women qui a fondé une radio en mars 2021, puis une chaine câblée en mars 2024.

Ces contenus diffusés par les médias afghans partenaires de l’UNESCO ont déjà touché près de 17 millions d’Afghans, dont une large majorité de filles et de femmes.

Mais rien ne peut remplacer les enseignements prodigués dans une salle de classe. C’est pourquoi, dans mes fonctions de Directrice générale de l’UNESCO, je ne cesse d’appeler la communauté internationale à maintenir sa mobilisation pour un rétablissement plein et inconditionnel du droit des Afghanes à l’éducation.

Les femmes et le pouvoir”, du 19 au 22 septembre 2024, salon des gouverneurs du Casino Barrière. Retrouvez les débats en ligne.




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