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Education : ces recettes miracles du Portugal dont la France ferait bien de s’inspirer


Un véritable choc ! Lorsque les résultats de la première édition Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) tombent, en 2000, le Portugal découvre avec stupeur qu’il se trouve tout en bas du tableau aussi bien en lecture, qu’en sciences et en mathématiques. Cette grande enquête internationale, dont la vocation est de mesurer tous les trois ans les performances des élèves de 15 ans dans plus de 80 pays, va engendrer une véritable prise de conscience. Un vaste plan d’action est mis en place. Quinze ans plus tard, les élèves portugais réussiront à atteindre la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en mathématiques et même à la dépasser significativement en lecture et en sciences. Le taux de décrocheurs, ces élèves qui abandonnent l’école, était de 39,3 % en 2012, il tombe alors à 13,6 %. Le pays, focalisé sur la lutte contre les inégalités, a surtout relevé le défi de faire progresser tout le monde, aussi bien les élèves en difficulté que les plus performants. “Le Portugal est la plus grande success story de l’Europe concernant Pisa”, résumait Andreas Schleicher, directeur de l’éducation et des compétences de l’OCDE en 2017.

Même si, depuis 2018, ses résultats tendent à stagner, le Portugal reste souvent cité en exemple. En France, notamment, bon nombre de spécialistes de l’éducation et d’économistes scrutent les méthodes mises en place chez nos voisins ibériques : refonte des programmes scolaires, instauration d’évaluations nationales ambitieuses, réforme de la formation des enseignants, autonomie des établissements… Autant de bonnes recettes qui semblent avoir fait leurs preuves. “On sait désormais qu’il n’y a pas de fatalité en éducation et que remonter la pente est tout à fait possible”, salue Eric Charbonnier, analyste à l’OCDE. La grande force du Portugal ? Avoir réussi à se fixer des objectifs clairs et à bâtir un plan sur le long terme. “Durant cette période, pas moins de sept ministres de l’Education, issus de trois partis politiques différents, se sont succédé. Même si les débats ont été parfois houleux, nous avons réussi à avancer dans la même direction sans perdre de vue le cap qui avait été fixé”, confie Nuno Crato, professeur de mathématiques et ministre de l’Education entre 2011 et 2015.

Le Portugal partait de loin puisque au début des années 1970, 18 % de la population portugaise était illettrée et moins de 5 % des jeunes allaient au bout de leurs études secondaires. Petit à petit, le pays va remonter la pente en portant notamment la durée d’instruction de huit à douze années, mais cette massification scolaire n’est pas allée de pair avec une amélioration des performances. Jusqu’au tournant de l’année 2000 où l’accent a été mis sur les programmes : leurs contenus ont été repensés et sont devenus à la fois plus ambitieux, plus progressifs et plus précis sur les buts à atteindre. “Les enseignants savaient qu’ils devaient mettre l’accent sur la fluence [NDLR : fluidité dans le jargon éducatif] en lecture. Mais les objectifs de vitesse variaient d’un professeur à un autre. Nous y avons remédié en donnant des consignes claires”, précise Nuno Crato. L’attention s’est surtout portée sur les enseignements fondamentaux comme les mathématiques et le portugais. “Si le nombre d’heures consacrées à ces matières a augmenté, ce n’est pas forcément ce facteur-là qui a fait la différence mais bien l’amélioration de la qualité de l’enseignement”, précise Eric Charbonnier.

“Culture de l’évaluation”

En France, la commission des Finances du Sénat, dans le cadre d’un rapport sur les conditions de travail des enseignants en Europe remis en juin 2022, vantait également un “dispositif intéressant” mis en place par le Portugal : la création de “cités scolaires” regroupant des établissements de niveaux différents, allant de la maternelle au secondaire, sous une direction centralisée. De quoi favoriser la transition entre les différentes classes, la collaboration des professeurs ou encore la poursuite d’options tout au long de la scolarité. Cette réforme s’est accompagnée d’une réorganisation territoriale. “L’Etat a fermé des écoles isolées dont l’état du bâti ou les taux de réussite étaient inférieurs aux moyennes nationales. Les élèves concernés ont été transférés dans des écoles plus grandes, souvent nouvellement construites”, détaille le rapporteur Gérard Longuet, ex-sénateur LR. Ce qui a également permis de limiter les coûts de structure en mutualisant certaines ressources humaines et matérielles. Preuve que les résultats ne sont pas toujours corrélés au budget consacré à l’éducation : en 2002, les dépenses représentaient 5,1 % du PIB contre 3,9 % en 2012, en pleine crise économique.

La clé du succès réside surtout dans la mise en place de tests, aussi nombreux qu’exigeants, à différents niveaux de la scolarité des élèves. Un vrai chamboulement pour le Portugal, qui paradoxalement s’est longtemps montré hermétique aux comparaisons internationales. En 1995, soit quelques années avant le choc de la première édition de Pisa, le pays obtient déjà des résultats très médiocres dans l’enquête Timss qui sonde les compétences des élèves de 4e et de 8e années (équivalent du CM1 et de la quatrième pour la France). Même si officiellement, les décideurs politiques portugais remettent en cause la méthodologie de l’enquête, une prise de conscience commence alors à émerger. Au fil des années, une véritable “culture de l’évaluation” finit par s’instaurer. “La crainte de certains était que ces réformes engendrent une augmentation du nombre de redoublements. Ce qui n’a pas été le cas, bien au contraire puisque cette statistique-là est en baisse”, se félicite Nuno Crato. Et le scientifique d’insister sur l’importance de s’attacher à la “progression” des élèves plutôt que de se focaliser uniquement sur leur niveau.

Améliorer les résultats des plus faibles tout en faisant encore progresser les meilleurs : le Portugal aura réussi, durant cette décennie, à lutter contre les inégalités scolaires et sociales grâce à une batterie de mesures. Comme la mise en place de groupes de soutien après les cours, d’une aide financière aux élèves issus de familles à faibles revenus, la facilitation de l’accès à Internet et aux ordinateurs, l’introduction de modules de formation pour aider les enseignants à mieux repérer les difficultés rencontrées par certains enfants… A noter que, contrairement à la France, le Portugal valorise l’engagement des enseignants en matière de formation continue sur le plan salarial. Le taux de rémunération des professeurs fait d’ailleurs partie des plus élevés d’Europe. Et, à l’inverse de la France, ceux qui exercent dans les petites classes gagnent davantage que leurs homologues de l’enseignement supérieur. “Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’en satisfont. Et comme dans de nombreux pays, beaucoup estiment que leur métier devient de plus en plus difficile à exercer”, relativise Eric Charbonnier.

Une plus grande autonomie des établissements

Au-delà des élèves, les établissements scolaires portugais sont aussi régulièrement évalués. En 2019, la France est l’un des derniers pays européens à s’être doté à son tour d’un Conseil d’évaluation de l’école calqué sur le même modèle. Elle regarde également de près l’un des autres principaux facteurs de réussite du système portugais : une plus grande autonomie des établissements. Là-bas, les chefs d’établissement, chargés de bâtir un projet pédagogique spécifique, ne sont pas nommés mais élus par une assemblée générale constituée de représentants d’enseignants, de parents, d’élèves et d’acteurs locaux. Un mode d’organisation qui va dans le bon sens selon Philippe Aghion, professeur au Collège de France, à l’Insead et à la London School of Economics. “En France, on se heurte toujours à une certaine réticence, sans doute parce que l’on a trop tendance à associer autonomie des établissements et privatisation”, explique l’économiste. “Il est vrai qu’il est important de veiller à ne pas instaurer une mauvaise concurrence entre établissements, à ne pas favoriser les familles les plus informées par rapport aux autres au risque d’accroître les inégalités”, précise-t-il.

La relative stagnation, voire la baisse des performances des élèves portugais aussi bien en lecture, qu’en mathématiques et en sciences au classement Pisa depuis 2018 vient toutefois assombrir un peu le tableau. “Après 2016, on a lâché sur certains grands principes en diminuant le nombre de tests d’évaluation, en baissant le niveau d’exigence et en lâchant du lest sur le contrôle des résultats obtenus par les établissements”, regrette Nuno Crato, pour qui il aurait fallu au contraire maintenir le cap fixé. L’ancien ministre vient de rejoindre le Conseil scientifique de l’éducation nationale française. Une spécificité bien française cette fois, dont les autres pays pourraient bien s’inspirer selon Nuno Crato qui insiste : “L’éducation ne peut s’améliorer qu’en abandonnant le dogmatisme, l’idéologie et en respectant les données probantes, l’expérience et la science moderne.”




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