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Retailleau-Wauquiez, les secrets du duel pour Beauvau : la requête de Macron, l’appel à Kohler…


En politique, c’est important le sens du sacrifice. Laurent Wauquiez l’a bien saisi, lui qui, mercredi 18 septembre, dans un ultime coup de poker, appelle Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée : “Il faut qu’il y ait un équilibre, on ne peut pas avoir tous les grands ministères : vous me prenez à l’Intérieur et on vous laisse Bercy.” En politique, c’est important le sens de la hiérarchie. Michel Barnier est Premier ministre, chargé de composer un gouvernement, Laurent Wauquiez l’aurait-il oublié ?

Si les hésitations tenaillaient encore le nouveau locataire de Matignon, voilà de quoi faciliter son choix : à Beauvau, il faut un homme de confiance, et celui qui appelle dans son dos l’Elysée ne paraît pas correspondre au portrait-robot. François Fillon comme Valérie Pécresse, avec lesquels Barnier a échangé par téléphone, n’ont-ils pas insisté sur “la fiabilité” de Bruno Retailleau ? Depuis les premières heures de cette singulière cohabitation, le patron des sénateurs LR a montré un calme et une solidité qui rassurent. “Si Laurent veut Beauvau, je m’efface”, a-t-il aussi répété au chef du gouvernement. Oui, en politique c’est important le sens du sacrifice : voici Bruno Retailleau ministre de l’Intérieur.

Un SMS sans réponse et une photo

Tant pis pour les conseils de Nicolas Sarkozy. Selon lui, le véritable pouvoir politique se situe à la Justice. Place Vendôme, on se confronte aux vrais sujets, aux blocages… L’ancien président l’a dit à Bruno Retailleau lors d’une conversation téléphonique une dizaine de jours avant sa nomination, quand son nom circulait pour le poste de Garde des Sceaux. Il l’a redit à l’un de ses visiteurs plus récemment et en des termes plus… sarkoziens. “L’Education nationale, par exemple, c’est chiant : quand tu fais une connerie, t’as 100 000 profs dans la rue. À Vendôme, t’as 8 000 juges, tout le monde s’en fout !” Mais à l’Intérieur plane l’ombre de Clemenceau, et pour Retailleau qui avait en 2017 adressé un courrier à Emmanuel Macron pour que soit organisé “un événement officiel commémorant l’action de cette grande figure de la liberté et l’unité française”, cela n’a pas de prix.

Pour qu’une place soit libre, encore faut-il qu’elle soit vide. On ne réveille pas un flic qui dort. Comment alors fait-on comprendre à un ministre de l’Intérieur qu’il va devoir plier bagage ? Gérald Darmanin a envoyé un SMS de félicitations à Michel Barnier après sa nomination. Pas de réponse. Puis il a voulu partager avec lui quelques dossiers sensibles et urgents. Pas de réponse. Emmanuel Macron aime poser des questions dont il connaît les réponses. Le vendredi 13, il déjeune avec le nouveau chef de gouvernement, en place depuis huit jours. A-t-il vu le ministre de l’Intérieur ? Non. Le président s’en étonne. Dans les heures qui suivent, Gérald Darmanin a enfin des nouvelles de Matignon : il est invité à venir le lendemain. “On va prendre une photo” : Michel Barnier l’accueille, dans la foulée il le félicitera par tweet pour son action pendant les JO. Puis les deux hommes s’assoient. Gérald Darmanin a un dossier avec quelques notes sensibles. Voilà qu’il est interrogé sur ce qu’est un bon ministre de l’Intérieur. “Le ministre des policiers plus que celui de la police, le ministre des gendarmes plus que celui de la gendarmerie”, répond le sortant, pas mécontent de devenir, après Roger Frey et Raymond Marcellin, le plus long des ministres de l’Intérieur. Après le contrôle des frontières, il a envie d’ailleurs, il en a parlé à Emmanuel Macron, il en parle maintenant à Michel Barnier. Qui fait la sourde oreille : “Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?” Manifestement, rien, mais le président peut-être ?

La tentative du président

Le domaine réservé recouvre deux prestigieux ministères : le Quai d’Orsay et la Défense. Le second est occupé par l’un des meilleurs amis de Darmanin, Sébastien Lecornu. Jeudi 19 septembre, le président tente de plaider la cause du turbulent ministre démissionnaire de l’Intérieur en suggérant son installation aux Affaires étrangères. “Il fera le boulot, dit en substance Emmanuel Macron à Michel Barnier. Et l’avoir à l’extérieur, ce n’est pas forcément une bonne solution pour vous.” Immédiate et ferme est la protestation de l’hôte de Matignon qui ne digère pas les déclarations de Darmanin sur de supposées hausses d’impôts : “On ne peut pas révéler des échanges privés en les déformant.” Ces deux-là ne travailleront pas ensemble. Se croiseront-ils le 29 septembre à Tourcoing ? Gérald Darmanin profite de sa discussion du samedi pour inviter le Premier ministre, mais il sait bien que les gens du Nord préfèrent les corps ronds. Pas exactement le profil de Michel Barnier.

Qui désigne le ministre de l’Intérieur ? Il existe une jurisprudence Pasqua. En 1986, pour constituer le premier gouvernement de cohabitation de l’histoire de la Ve République, Jacques Chirac réussit à imposer quelque chose à François Mitterrand – ce ne sera pas si fréquent. Autant le chef de gouvernement admet que le président ait son mot à dire pour la désignation du titulaire des Affaires étrangères et la Défense, autant il considère que l’Intérieur doit relever de sa seule autorité. Il a promis le portefeuille à Charles Pasqua, ce qui suscite quelques réticences chez Mitterrand. Chirac défend son choix, insiste sur son “républicanisme”. Le président, pince-sans-rire : “Avec Pasqua à l‘Intérieur, les ministres n’oseront plus se téléphoner.” Jean-Louis Bianco, secrétaire général de l’Elysée, racontera : “Voyant que Chirac tenait à Pasqua, le président ne suggère aucun autre nom pour l’Intérieur.”

Exigence contre brutalité

Presque quarante ans plus tard, Gérard Larcher peut conforter Michel Barnier dans ses certitudes : l’Intérieur, c’est le choix du Premier ministre, “ce qui n’exclut pas de discuter avec le président”. Et le chef de gouvernement a dès le premier jour les idées claires : il veut un homme de droite à Beauvau. Laurent Nuñez, qui fut secrétaire d’Etat de Christophe Castaner, ce serait une victoire trop évidente pour l’Elysée. Non, la droite se croit, la droite se veut chez elle à Beauvau. Elle n’a pas oublié la manière dont Nicolas Sarkozy avait transformé un traquenard en tremplin – nommé par Jacques Chirac en 2002 pour qu’il se coltine au problème de l’insécurité, il en avait profité pour se construire une stature avant la présidentielle de 2007.

Laurent Wauquiez le sait. Et puis succéder à son meilleur ennemi, Gérald Darmanin, serait une volupté de fin gourmet. Oui, il veut l’Intérieur, et saurait même accepter un titre de ministre d’Etat… Mais entre le Savoyard et le Ponot, il y a de la friture sur la ligne. Le premier estime un peu qu’il a perdu la primaire de LR en 2021 à cause du second ; le second considère que le premier est à Matignon uniquement parce qu’il l’a bien voulu. Il y a dix jours, un échange entre les deux tourne mal. “Ça a été brutal, j’ai été brutal”, reconnaîtra Michel Barnier après coup.

Le lendemain, le chef d’un gouvernement qui n’existe pas encore met les points sur les i : “Il n’y aura pas de ministre d’Etat dans mon équipe.” A la fin de la réunion en visioconférence, Laurent Wauquiez lance un osé : “Et pour moi ?” Le Premier ministre ne répond pas. Mais l’un de ses amis parle pour lui, qui confie alors : “En termes de faisabilité, c’est compliqué. LR à Beauvau est repoussoir pour Renaissance, alors Wauquiez à Beauvau l’est dix fois plus.”

“Emmanuel Macron n’incarne pas, il interprète”

En 1986, François Mitterrand avait glissé à Jacques Chirac : “Si vous avez des difficultés pour refuser des portefeuilles à vos amis, vous n’avez qu’à les mettre sur mon dos.” Emmanuel Macron n’aura pas eu à repousser Laurent Wauquiez tant son nom peinait déjà à franchir la Seine. Attendu au tournant par Renaissance, par les centristes, et par l’Assemblée tout entière. “Je te préviens, je suis encore plus rude que ma femme !”, lui glisse, cet été, le président du groupe PS Boris Vallaud, mari de Najat Vallaud-Belkacem, ex-conseillère régionale d’opposition en Auvergne-Rhône-Alpes.

De toute manière, pour le choix de l’Intérieur, Emmanuel Macron n’est pas loin d’être le pire des managers. Il a envoyé au casse-pipe Gérard Collomb, qui ne rêvait que d’un portefeuille de la Ville et de l’Aménagement du territoire ; il a renoncé à nommer Jean Castex devant la levée de boucliers de certains de ses amis ; il a savonné la planche de Christophe Castaner, en mettant quinze jours à confirmer une décision qui avait déjà fuité ; il s’apprêtait à propulser Jean-Michel Blanquer quand Gérald Darmanin a déboulé.

Le poste est évidemment sensible, unique dans son genre au sein d’un gouvernement. “Le ministre de l’Intérieur sait tout des déplacements des uns et des autres”, rappelle un ancien titulaire. Traditionnellement, c’est un proche du président. La situation aujourd’hui est tout sauf traditionnelle. A Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron a dit récemment n’avoir aucune opposition de principe contre Bruno Retailleau. Il est un vrai opposant au président, aucun doute là-dessus. “Sa force au départ, c’est de capter l’imaginaire de droite : il a compris l’importance de la victoire symbolique, observait le Vendéen quelques années plus tôt. La droite a besoin de cette incarnation : il comprend tout ça. Ça signifie qu’il a une intelligence et qu’il sait trouver son miel et son chemin. Mais il se heurte à une limite : il n’incarne pas, il interprète.” Il verra le comédien de près, chaque semaine en conseil des ministres.

Bruno Retailleau à Beauvau, enfin, les difficultés commencent. Gabriel Attal a déjà prévenu le Premier ministre : hors de question pour les députés Renaissance de voter une nouvelle loi immigration. Mais à LR on insiste déjà : seule “une surinterprétation de l’article 45 par le conseil constitutionnel, et à une voix près, a valu censure” de plusieurs articles du dernier projet de loi, il s’agit de les reprendre sans trop tarder. Et quid de la loi de programmation d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur ? Est-ce donc la droite qui va devoir en accepter son report pour cause budgétaire, en tentant de se justifier au nom du retour aux équilibres budgétaires, qui figure aussi dans son pacte législatif ? Gérald Darmanin avait l’habitude de dire à Beauvau : “Ce qu’on demande à un ministre, c’est de rapporter des noisettes…”




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